L'Ouest Hurlant

L'Ouest Hurlant

📚 L'ouest Hurlant, c'est le festival rennais des cultures de l'imaginaires. (Science-fiction, fantasy, fantastique) Et ici, vous êtes sur son podcast !

L'Ouest Hurlant

Le podcast de L'Ouest Hurlant permet de revivre ou de découvrir les tables-rondes et conférences qui se sont tenues lors de L'Ouest Hurlant. Il met à l’honneur les cultures de l’imaginaire : la science-fiction, la fantasy et le fantastique. Pour chaque épisode, une transcription est mise à disposition des auditeur·ices. L'Ouest Hurlant est un événement grand public, destiné aux curieux·ses en quête d’évasion, tout comme aux professionnel·les du domaine. Au programme, des conférences, des spectacles et des animations ludiques... Mais aussi des dédicaces, une librairie et des stands d’éditeur·ices. Bonne écoute !


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La flambée du solarpunk - Avec Architekton, Laura Nsafou et Fleur Hopkins-Loféron (Modération : Hugo Orain)

Mouvement artistique et politique dérivé du steampunk et de la climate fiction, le solarpunk est un genre plus que jamais d’actualité. Quelles racines prend-il dans la réalité de nos sociétés ? Quel avenir mais aussi quels espoirs porte-t-il au travers de ses oeuvres ?

Enregistré le 19/04/2025 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Avec Architekton, Laura Nsafou et Fleur Hopkins-Loféron (Modération : Hugo Orain)

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L’enfer, c’est les autres ! Avec Audrey Pleynet, Christelle Dabos, Geoffroy Monde (Modération : Ketty Steward)

Comment fait-on société dans les récits d'imaginaire où l'humanité est poussée à ses extrêmes limites ? Que se passe-t-il quand l'autre n'est pas humain ?

Enregistré le 19/04/2025 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Avec Audrey Pleynet, Christelle Dabos, Geoffroy Monde (Modération : Ketty Steward)

Transcription

L’enfer, c’est les autres
Ketty Steward. Bonjour Rennes, bonjour à tous, bonjour à toutes, donc je suis Ketty Steward, je suis modératrice pour cette table ronde, dont le titre vous a intéressé apparemment, ou alors vous êtes là pour le casting, parce qu'on a un casting de choix en effet sur ce thème, donc on n'a que des personnes primés. J’ai regardé leurs bios et nous n’avons que des premiers prix, donc c'est merveilleux. Donc je vous présente, je vais vous les présenter très brièvement et je les laisserai compléter puisque vous connaissez mieux le sujet que moi. Donc pour commencer, au milieu, nous avons Christelle Dabos, connue pour la Passe-miroir, qui est un best-seller, on apprend, en regardant sur internet qu’elle vit en Belgique et qu'elle est amoureuse des livres, est-ce qu'on a juste ?
Christelle Dabos. Alors tout Ă  fait, je vis en Belgique, je suis originaire du sud de la France, mais voilĂ , la Belgique est mon pays d'adoption.
Ketty Steward. On a ça en commun, j'y ai passé quelque temps, j'ai adoré. Donc juste à côté d'elle, on a Audrey Pleynet. Audrey Pleynet qui est romancière et nouvelliste et qui a remporté mais plein de prix, deux fois le prix Rosny Aîné, deux fois le prix des lecteurs de Bifrost, qu'est-ce que j'oublie dans la présentation ?
Audrey Pleynet. Petit prix Utopiales.
Ketty Steward. Ah, le prix Utopiales. Oui 2023 pour Rossignol qui va être le texte dont on va le plus parler aujourd'hui. Et puis pour compléter ce panel, on a Geoffroy Monde donc qui a eu l'an dernier le prix de la BD de l'Ouest Hurlant. Et alors quand on regarde c'est amusant parce qu'il y a des qualificatifs hyperactifs artistiques que j'ai trouvé et couteau suisse aussi
Geoffroy Monde. Ouais non c'est pas c'est pas complètement faux
Ketty Steward. Mais tu n'es pas suisse
Geoffroy Monde. Non pas du tout je ne suis pas aussi aiguisé non plus mais mais oui ça marche ça marche
Ketty Steward. Donc avec eux j'aimerais discuter, donc avec vous aussi on vous laissera un peu de temps, du thème de l'altérité donc on commence avec cette cette citation de Sartre. Donc on va pas la commenter, ça aurait été intéressant de la commenter parce qu'elle dit pas tout à fait ce qu'on lui fait dire aujourd'hui. Mais en tout cas, l'enfer c'est les autres. On va plutôt s'arrêter sur la question de l'autre et donc nos experts vont nous aider à explorer ce thème. Donc je m'appuierai sur l'expertise de Christelle Dabos pour parler du collectif, comment on fait collectif et comment on imagine des mondes où on fait collectif différemment. Audrey son truc c'est plutôt la rencontre, comment ça se passe, comment on fait pour faciliter la rencontre et Geoffroy, donc on va plutôt s'appuyer sur une BD qui s'appelle la Voie de Zazar. Et plutôt pour nous parler de solitude mais tu peux parler des autres sujets aussi si tu veux. Donc ma première question s'adresse à Christelle mais je vais commencer par une lecture d'extrait. J'aime bien quand les textes dont on parle sont avec nous.
“Un soleil rasant me heurte en pleine face. Pas de fenêtres, pas de ciel au bureau des plantes des écoles. Je remonte mon cache nez jusque sur la pointe de mon menton. Pourquoi appeler ça un cachet nez sans dec alors que c'est de toute façon interdit de se couvrir sa marque. Je préfère les hivers glacés de mon enfance au secteur nord-est à cette humidité ni vraiment chaude, ni vraiment froide qui me traverse les mailles. J'hésite. La bandoulière de mon sac me scie l'épaule. Je devrais aller à la médiathèque avant la fermeture pour rendre des livres, en empruntée d'autres, m'enfermer dans ma chambre, me préparer aux épreuves qui approchent, les refaire encore et encore en condition réelle. 7 heures de disserts théologiques, 6 heures de compots juridiques, je devrais. Je traverse le carrefour et je monte dans un bus, puis un autre. un autre puis un autre. Je m'enfuis. Je mets un maximum de distance entre Claire et moi. Sur une banquette réservée aux personnes à mobilité réduite, des gosses, pas encore marqués, ouvrent des emballages de chewing-gum pour lire des blagues cachées à l'intérieur. Je n'entends pas leur rire entre deux éclats de bulles, mais je les devine débiles. Qu'est-ce qu'en riait, Claire et moi, quand on avait leur âge. Les bus sont bondés à cette heure-ci. Mon manteau gris est comprimé par une foule d'anorak fluo. Je ne regarde personne dans les yeux, métal à fond. Depuis que je suis stagiaire, j'ai consigné tellement de plaintes, j'ai été témoin de tellement d'abus, que ça a consolidé ce que je savais déjà. Les gens sont infichus de respecter les Instincts des autres. Sans dec, c'est quoi cette société qui a besoin de brigades anti-abus pour fonctionner ? Je n'aime pas ma marque, même si je suis trop béni pour le dire à voix haute. Je ne veux pas que les gens sachent ce que je suis ni comment exploiter ma vulnérabilité. Et si je ne regarde jamais les yeux des autres, je regarde leurs marques à eux, hypocritement. J'en conviens.”
Donc c'est un passage qui a la voix d’Avril. Est-ce que Christelle, tu peux nous expliquer de quoi il s'agit ? On a entendu parler de marques, de différences entre les gens. Qu'est-ce que c'est ce monde ? Comment ça marche ?
Christelle Dabos. Oui, alors dans nous, alors c'était un monde avec une humanité qui ressemble extrêmement fort à la nôtre, à un détail près et pas des moindres. Tout le monde né avec un Instinct. Alors un Instinct avec le I majuscule, le haut instinct. Et en fait c'est une force irrépressible qui pousse chacun à faire le bien. Mais il y a des catégories d'instincts. Donc par exemple, les protecteurs ne peuvent pas faire autrement que protéger quiconque serait en danger. Les nourriciers ne peuvent pas faire autrement que donner à manger à quiconque aurait faim, etc. Donc il y a des instincts, des catégories d'instincts, des sous-catégories d'instincts, des sous-sous catégories d'instincts. On sent mon instinct de bibliothécaire. Et du coup toute une société s'est bâti autour de ça, avec la bureaucratie instinctive et ce principe où plus on sauve de vie, plus on s'élève dans la hiérarchie.
Ketty Steward.Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que finalement, cette classification des personnes est comme les livres. On le voit, la marque est quelque part sur la tranche.
Christelle Dabos. C'est la classification décimale instinctive, oui.
Ketty Steward. Et donc, quand on rencontre quelqu'un qui est autre, comment on le sait, comment on le sent, comment se font les liens et comment fonctionnent les gens entre eux ?
Christelle Dabos. Avec le système des marques, alors, je ne les décris jamais dans le livre, mais on sait que tous les personnages ont une marque en plein sur le visage qui dit quelle est leur catégorie d'Instinct. Donc, la première rencontre avec l'autre, c'est déjà l'Instinct. On sait quel instinct on est en face de soi.
Ketty Steward.Ils ne sont pas tous lisibles. Il me semble qu'il y en a qui ne sont pas très connus, qui ne sont pas très identifiables.
Christelle Dabos. Alors, il y a des angles morts. Donc, il y a les catégories d'instinct les plus connues, les plus répandues. Il y a des instincts orphelins. Donc là c'est en fait c'est la classe on met tout ce qu'on sait pas trop à quoi ça correspond. Donc par exemple une personne à un personnage comme ça dans le livre qui a un instinct orphelin et en fait son instinct consiste à manger les cafards. Voilà. Donc oui j'ai oublié de préciser il ya des principes instinctifs et donc un des principes c'est que tous les Instincts sont égaux. On pourra rajouter certains le sont plus que d'autres
Ketty Steward.Merci et donc ensuite de près un personnage qui s'appelle claire donc dont il a été un peu mentionné dans l'extrait aussi et claire c'est quoi son instinct. Qu'est ce qu'on imagine qu'elle est au début du livre voilà
Christelle Dabos. Qu'est ce qu'on imagine qu'elle est au début du livre ? Une confidente. Voilà donc les confidentes, ce sont les oreilles du Nous. Alors c'est vrai que je ne l'ai pas précisé mais le Nous finalement c'est ce qui relie tous les humains les uns aux autres. Les Instincts c'est un peu les émanations de la façon dont a s’incarne dans chacun. Mais voilà ils ont tous ce dénominateur commun, une sorte de grande inconscient collectif. Et donc les confidents ne peuvent pas s'empêcher d'écouter quand on leur parle donc c'est la raison pour laquelle ils ont toujours des casques sur les oreilles parce que sinon ils ne s'appartiendraient plus. Et il y a des cabines d'intimité où on peut se réfugier de temps en temps pour changer les piles oui parce que on a senti dans l'extrait c'est un monde un peu vintage je me suis un peu inspiré des années 80. Donc là il y avait, les malabar n'existe pas dans ce monde de fantaisies mais voilà les blagues à l'intérieur des chewing-gum c'était les malabar quoi. Et alors oui du coup c'est vraiment les baladeurs alors, j'allais dire à l'ancienne, mais ils reviennent à la mode donc au moment où je l'ai écrit ça n'était pas encore à la mode. Mais donc avec ces casques avec les mousses qui s’usent au bout d'un moment ,qui finissent par faire mal aux oreilles donc on doit les changer régulièrement, les piles qu'il faut changer, des cassettes qu'il faut rembobiner, tous ces petits gestes auxquels on était très habitué dans les années 80, moi j'ai pris énormément de plaisir à me les rappeler, c'est un peu ma Madeleine de Proust. Et donc, voilà Claire, elle a grandi avec Avril qui est confidente également et elles ont fait toutes leurs études à l'école de la confidence qui est un monde très silencieux. Donc personne ne parle à personne, on s'écrit sur des post-it et on a toujours un écouteur sur les oreilles.
Ketty Steward.Merci beaucoup. Alors un monde qui apparemment serait différent, mais moi j'ai vu quand même pas mal d'échos dans le vaisseau, vaisseau laboratoire de Rossignol où on a cette idée qu'il pourrait y avoir un méta-esprit ou quelque chose comme ça qui ressemblerait au Nous. Et la question de la différence aussi qui est plus ou moins visible de l'extérieur, mais c'est pas une marque. Comment ça marche dans ton monde ?
Audrey Pleynet. Alors maintenant Rossignol, on est sur une station spatiale, donc loin dans le futur, vous l'avez tous lu? On va pas faire de spoil. Dans une station spatiale, où en fait loin dans le futur, l'humanité a rencontré énormément d'autres formes de vie intelligente donc il y a énormément d'espèces différentes non humaines et toutes ces espèces se sont rencontrées on fait du commerce ensemble on fait beaucoup la guerre l'une contre l'autre également pendant longtemps. Et ça a mené à des échanges, commerciaux mais également amicaux également amoureux parce qu'il y a aussi des nouvelles formes de famille, des nouvelles formes de couple et d'amour et également une hybridation entre les espèces parce que les espèces sont devenu inter-fécondent parce qu'on s'amusait à faire des soldats, des super soldats avec des manipulations génétiques. Donc sur la station spatiale, les individus sont énormément déterminés par leur gêne, par leur ADN et le mélange qu'elles ont d'espèces en elle puisqu'il y a énormément d'hybrides et quasiment dans la station spatiale toutes sont hybrides. Et il y a l'idée également qu'on mélange aussi sa culture, sa langue, sa vision de la vie, de l'amour, du lien de la famille. Et alors, sans que ce soit un esprit comme le Nous, mais il y a l'idée que peut-être on arrive à une méta civilisation puisque à vivre ensemble et à partager ensemble on arrive à créer autre chose et à avoir mine de rien une culture propre à cette station spatiale et une culture propre à cette ultra diversité. Parce que dans Rossignol en fait étant donné que tous les individus sont uniques parce que hybride de plein d'espèces différentes. Et on considère également que chaque personne enfin chaque individu a eu une trajectoire de vie propre, comment il a vécu, comment il est né ou a éclos ou a été, plein de façon de naître comme il est venu enfin. On considère que tout ça fait que les personnes sont chaque personne est unique, donc au final l'égalité elle vient du fait qu'on n'arrive plus à faire des groupes de personnes pour dire que tel groupe est supérieur à telle groupe et tel espèce et supérieur à telle espèce parce qu'on considère tout le monde est unique en fait. Donc, c'est de là que vient l'égalité, vient de cette ultra-diversité. Et malheureusement, on aime bien faire des groupes, donc il y a quand même des personnes qui vont revenir avec des projets politiques pour essayer de re catégoriser, de remettre des dominations, peut-être un certain ADN et meilleur qu'un autre ADN, certaines capacités et meilleures qu'une autre. Il y a une question de télépathie également, comment on vit avec des personnes qui ont des capacités parfois un peu envahissantes, on va dire. Et puis, il y a une question également de classe, de classe sociale avec des richesses qui sont différentes, selon les espèces ou même les personnes hybrides. Donc, voilà, c'est un monde qui se veut très égalitaire, mais qu'on peut très facilement re catégoriser et donc refaire une inégalité.
Ketty Steward. Ça revient sur vos deux histoires, cette idée qu'on pourrait essayer de faire autrement, mais on retombe dans une envie de bien définir qui est dedans, qui est dehors. Et à quel endroit on met les frontières ? Audrey, c'est quoi Majo et Mino ?
Audrey Pleynet. Alors Majo, en fait, c'est quand les individus se présentent, ils se présentent généralement en présentant leur pourcentage, donc leur pourcentage des différentes espèces qu'ils ont en eux. Je suis 78% humania, donc c'est les humains qui ont évolué, je suis 5% tarnes, 6% exos, donc on donne son pourcentage. Mais pour simplifier, et c'est le problème dans la simplification, évidemment, tout le nœud du problème. Pour simplifier, ils peuvent dire je suis Majo humania, donc dire mon pourcentage majoritaire, mon espèce majoritaire dans mes gènes, c'est humania ou speak, ou tarnes, ou ou ha, j'ai une quarantaine d'espèces, donc je n'ai pas tout voulu les faire, ce serait une très longue énumération. Mais il y a certaines personnes sur la station qui refusent de présenter leur pourcentage, en disant je ne vais pas me scinder, me détailler, je ne vais pas te présenter une majorité qui veut peut-être pas vraiment dire grand chose si j'ai adhéré à une culture plutôt stationnelle et très diverse. La façon dont on a de se présenter sur la station en Majo ou en Mino et combien de Mino on donne, jusqu'à quel détail d'espèces on donne. C'est aussi quelque part une façon de se classer, de se repositionner et donc de prendre l'ascendant ou pas sur la personne en face. Donc c'est une histoire de marque aussi, mais il faut les dire en revanche, alors des fois il y en a qui disent oui, là ça se voit que tu es de telle espèce, ça se voit, il a des plumes, il est télépathe, c'est facile, mais il y a dans l'ADN il y a aussi des choses qui ne sont pas exprimées, voilà qui sont des gènes qui ne se sont pas exprimées. Il y a également des gènes qui sont récessifs et on peut dire j'ai une toute petite minorité de gènes de telle espèce, mais comme elle est récessive elle s'est effacée en moi, mais en revanche je sais mes parents, mes 5, 6, 7 ou 10 parents, parce que si on fait comme on veut, et bien pour eux c'était plutôt eux ce qu'ils avaient, ce qu'ils m'étaient en avant et je me sens culturellement proche de cette ascendance. C'est vraiment la façon dont l'identité se construit, comment elle est multiple et complexe, et laquelle on décide de mettre en avant de nos multiples personnalités. Ceux-là, parce que moi, j'ai multi-personnalité, mais laquelle on décide de mettre en avant et après dans un enjeu politique également ?
Ketty Steward. Et donc toutes les deux, vous avez dans vos histoires, en fait, des personnes qui ne sont pas tout à fait satisfaites avec le fonctionnement. On ne se retrouve pas, on ne rentre pas dans les bonnes cases, on ne va pas sur la bonne étagère, et il y a des questionnements existentiels. Il y a une envie d'être avec les autres, une envie d'être seule, qui revient aussi dans vos deux textes, et ça me permet de faire une transition vers la solitude, mais avant de donner la parole à Geoffroy. Je vais lire un extrait de Rossignol que j'ai choisi justement parce qu'il parle de solitude. Je crois que c'est un des rares. C'est le tout début.
“Je n'ai jamais apprécié la solitude. Elle ne m'a jamais convenu. Et il paraît évident qu'elle ne m'appréciait pas non plus. Ensemble, nous devenions folles. Moi, morose, elle, crispante. Tout sauf un havre de paix. Plus jeune, on m'a bien prévenu. Tu ne devrais pas être seul, seul avec toi-même. Tu as cette personnalité qui ne s'allume qu'avec les autres. L'absence de regard m'engloutissait dans un noir profond. Seul, tu ne te brilles pas. Terne, transparente, éteinte. La logique de leur môme échappait. Curieuse, je regardais ma peau, n'y trouvant aucune de ces teintes textures ou degrés de luminosité qu'ils évoquaient. Ni le château amant, des percales de ripon, ni la fluorescence des rips, des aufons. Juste du rose, légèrement zébré d'or. De la peau du mania, commune mais familières. J'ai haussé les épaules, détournais les yeux, prétendant que cela ne me touchait pas, évitant de dire qu’eux aussi manquer de lumière. Et je glissais de nouveau lentement dans la station. Nul besoin de se presser. Je voulais montrer au monde, à moi, que je ne les avais pas écouté, que mon haussement d'épaule n'avait pas été fin. À petit pas, je remontais les cursives, je passais devant les jardins suspendus de Tria et plongeais jusqu'au quartier médian. Alors doucement, le pied a peine posé sur le rebord des chutes gravitationnelles. Je m'approchais d'un stationnien. En frôlait un autre, même les spexcolos, dont les antennes, plus meuse, faisaient naître en moi l’écho vide de leur voix et de leur pensée vagabonde, quel qu'il soit, je tremblais puis repartais vers un autre groupe, ouvrant mon esprit au télépathie, aux odeurs suaves, à leur vibration invisible que ma peau captait dans un frisson glacé. Je déambulais nonchalamment, petit humania, ayant l'air de rien, l'air de tout. Un signe de suffisance caractéristique de mon espèce. Mais à cet instant, l'enfant que j'étais, ne recherchait que leur présence, leur chaleur, leurs âmes, leurs palpitations. Alors oui, je leur donnais raison à ceux qui m'avaient mis en garde. Je ne voulais pas m'éteindre, disparaître dans l'invisible, dans l'insensible. Et si mon existence tenait aux autres, il m'était facile d'obtenir un surcroît de vie en me fondant dans la foule des stationniens. La lente valse des silhouettes, des formes étranges, aux couleurs que mes yeux ne pouvaient pas percevoir pleinement. Les sons feutrés d'une bulle de verre abritant une famille de six russes, des circonvolutions de leur forme éthérée, les sifflements de changements de pression. Cette place d'échanges et de commerces foisonnants à toute division du cycle était devenue mon refuge, l'endroit où je me souviens avoir grandi. Je m'asseyais dans un coin, à même le sol, sans prendre la peine de trouver un siège qui correspondait à ma morphologie bipède, et je regardais émerveillé puis somnolente toute cette vie, des murmures, des souffles télépathiques de certaines espèces, même lointains, effleuraient mon esprit et me berçaient autant que le va-et-vient de la foule face à moi. Si je fermais les yeux, si j'oubliais les limites de mon corps, de mes membres sur le métal dur de la station, je me fondais dans ces voix, dans ce mouvement.”
Ketty Steward.C'est toute la poésie de l'écriture d'Audrey, donc pour ceux, les trois, au fond, là, qui avaient pas lu. Donc c'est Rossignol. Et donc je reviens à cette question de être avec les autres, donc dans un système plus ou moins bien réglé et avoir besoin parfois de se retrouver seul ou de regarder un peu les autres depuis un endroit un peu particulier. Et c'est là que je me rends compte que j'ai oublié de donner l'image que je voulais qu'on projette de la planche que j'avais choisie. Peut-être que je peux la décrire. Mais non, je suis incapable de faire ça en plus, que je n'ai pas d'image mentale, donc je n'ai même pas le souvenir de la planche que j'ai choisi.
Geoffroy Monde. Tu sais pas quel moment de l'histoire.
Ketty Steward. C'est le moment oĂą Frank et Carol se rendent compte qu'il va falloir faire quelque chose parce qu'il n'y a plus de sang.
Geoffroy Monde. Oui. Ok. Page 76. Je vois. Non. Aucune idée. Mais je vois le moment de... C'était très impressionnant. Je vois le moment de la BD. Je vois à peu près.
Ketty Steward. Et bah voilà. L'idée c'était de te demander mais qu'est-ce que c'est que cette scène ? On ne comprend pas ce qui se passe. On voit une personne, on la voit, on la revoit seule et puis après on voit les deux et on ne sait pas trop...
Geoffroy Monde. Ouais j'arrive pas à me rappeler assez précisément mais j'imagine qu'il y a une ellipse où... Ouais. Je saurais mieux en parler, si tu l'as...
Ketty Steward. Bah sinon tu peux peut-être nous raconter de quoi il s'agit puis je te montre dès que je la trouve.
Geoffroy Monde. Oui je peux vite fait expliquer la première partie du récit qui justement tourne autour de la solitude du héros. Ce qui se passe c'est qu'on va suivre un personnage qui s'appelle Carol et qui part en croisière avec sa femme dans un vaisseau spatial, un vaisseau qui traverse la galaxie Et en fait, le récit commence avec le réveil de Carol dans son lit, dans sa chambre et un vaisseau entièrement vide et donc il va se retrouver tout seul dans un vaisseau à la dérive sans possibilité de communiquer avec qui que ce soit donc ne sachant pas si des gens savent qu'il est là dans ce vaisseau à la dérive. Il comprend assez vite qu'il a eu un attaque de pirate de l'espace, qui a kidnappé plein de gens, tué d'autres personnes et donc voilà c'est la première partie du récit c'est une histoire de survie. C'est une histoire de survie à bord d'un vaisseau. C'est assez clair pour tout le monde comme ça. Une histoire de survie à bord d'un vaisseau et donc une survie aussi bien physique, de trouver à bouffer, à boire mais aussi mentale de trouver à pallier la solitude qui le fait progressivement devenir fou. Et donc. Oui voilà oui c'est une page où en effet ça représente bien la façon dont Carol va fonctionner pour se nourrir socialement dans sa solitude. Et en l'occurrence donc il va tomber sur un cadavre dans un placard réfrigéré et ce cadavre il va s'en faire un ami avec qui il va commencer par parler. Puis au final il se balade ensemble dans le vaisseau et on vit bien sûr toutes ces scènes à travers le fantasme de relationnel de Carol avec ce personnage de Frank.
Ketty Steward. Frank il a l'air plus humain. Je trouve que Frank. Il a l'air plus humain et presque plus vivant que Carol.
Geoffroy Monde. Oui en fait, comme on sait déjà que Carol fantasme toute cette relation, on a un peu du mal à adhérer à son point de vue. Et donc dans cette page, il y a en effet le fait que Carol parle avec Frank et dit mais regarde j'ai mangé tout ce qu'il y avait il reste plus rien. Il se nourrissait de pochette de sang qu'il avait trouvé dans un laboratoire. Parce qu'il n'y a plus de nourriture réellement et il dit mais regarde il n'y a plus de sang je peux plus rien faire. Et il dit à Frank mais du coup comment on fait et donc ce qu'il faut garder en tête c'est que toutes les répliques de Frank sont juste des projections de Carol. Et du coup Frank lui dit mais s'il y a encore un moyen de se nourrir et Carol dit non mais quand même t'es sûr c'est pas terrible et tout. Et Frank mais bien sûr qu'il faut le faire c'est important que tu survives Carol t'es quelqu'un de très important. Et donc voilà il se dit ça à lui même pour se justifier de commencer à bouffer son seul copain à bord. Qui est déjà mort donc c'est pas, c'est moralement on va dire une forme de cannibalisme qui est un peu plus accepté on va dire.
Ketty Steward. Il n'a pas trop mal
Geoffroy Monde. Voilà il a pas trop mal mais il est vivant pendant qu'il se passe ça puisqu'il est fantasmé par Carol. Donc il coupe les membres d'un type qui lui parle en même temps et disant oui bah vas-y il prend juste la main pour le moment. Voilà c'est une des diverses formes que prend une diverses formes de relations sociales qui va occuper Carol dans sa solitude qui dure un peu plus d'un an, presque deux ans.
Ketty Steward. Est ce que j'ai dit que j'étais psychologue clinicienne ?
Geoffroy Monde. Je l'ai vu dans les échanges qu'on a fait, je pensais arriver plus en retard et juste pas assister ici mais bon je suis là, faut le faire, faut le faire.
Ketty Steward. Non j'ai trouvé ça extrêmement intéressant et puis là, on est dans quelque chose qui est assez caricatural en fait ce personnage. Donc il y a le cinéma en plus, beaucoup de films qui vont traverser ta narration. Et en fait dans cet échange avec un être qu'il va nourrir lui-même, en fait moi, j'ai vu quelque chose peut-être même une caricature de ce qu'on fait quand on écrit, qu'on se fabrique ces petits personnages à qui on va donner des répliques mais c'est pas du tout nous.
Geoffroy Monde. Oui bien sûr.
Ketty Steward. J'ai trouvé ça intéressant et puis j'ai pensé aussi à ces conversations qu'on peut avoir puisque le thème c'est quand même l'autre. Ces conversations qu'on peut avoir avec des gens et ne pas entendre qu'ils disent ou avoir des gens qui n'écoutent pas et qui vont répondre et chacun reste sur sa ligne. Donc voilà j'ai trouvé ça, c'est pas si répugnant que ça vraiment, ça se lit bien.
Geoffroy Monde. C'est assez léger quelque part tout en étant blanc
Ketty Steward. Et très logique en fait que voulez-vous qui se passe d'autres. Et donc voilà moi je m'intéresse à comment on fait, comment on se décide à écrire ça. On a le résultat on se dit ben ouais c'est super mais c'est quoi le cheminement pour se dire je vais écrire ça je vais proposer ça peut-être on va me dire oui enfin voilà.
Geoffroy Monde. Ouais je vois. Pour faire vite sur cette question là parce qu'en fait elle est plus plus vaste que juste avoir cette idée scénaristiquement. En fait, c'est surtout qu'il y a un projet derrière l'entièreté du livre, un projet purement scénaristique d'amener le héros à une évolution précise, en quelque chose que je ne... que je peux spoiler, on s'en fout. Mais en fait, ce personnage, dans ce récit de SF et de vaisseaux spatiaux, va devenir un vampire, va se transformer en vampire. Mais par les circonstances qui l'entourent, pas selon la logique mythologique du vampire, ou un vampire doit d'abord vous attaquer ou autre. Là, ça va être une logique presque froidement scientifique de comment quelqu'un peut devenir un vampire. Donc, privé de lumière du soleil pendant des années, il va développer une sorte d'allergie et de souffrance, il crame quand il se met au soleil, à la lumière du soleil, et aussi avec les problèmes gravitationnels d'être dans un vaisseau. Par survie pure, il va devoir se nourrir que de sang pendant des années, donc il commence à avoir une appétence pour le sang qui fait que le reste de la nourriture ne lui plaît moins. Et il y a plein d'autres critères qui en font un peu la figure parfaite du vampire mais sauf que ça ne colle pas avec avec cet univers et ça fait quelque chose d'un peu bizarre. Et donc comme il fallait lui donner un goût du sang, il fallait passer par ce genre de scène qui s'impose un petit peu comme ça.
Christelle Dabos. C'est un peu un mix entre Dracula et Robinson Crusoé.
Geoffroy Monde. C'est ça ouais ouais c'est ça.
Christelle Dabos. C'est génial, j’adore.
Geoffroy Monde. Il y a aussi plein de choses très anecdotiques en fait je joue avec les circonstances de telle manière qu'à un moment il se prend juste un coup dans la gueule et ça lui pète les deux dents de devant. Donc c'est pas que ces canines se sont allongés, c'est comme il y a plus de dents autour on voit ces canines. Il y a des jeux comme ça sur différents aspects qui en font à la fin un archétype de vampire mais c'est un peu étrange.
Ketty Steward. Merci beaucoup. Donc, oui, je voudrais vous interroger en fait tous les trois sur la question des normes. Parce que finalement donc on a ici un personnage qui va devenir autre chose, qui va un peu sortir de l'humanité donc par la solitude et par tout ce qui lui arrive. On a ce cheminement : comment on sort, comment on dégringole de la société, il aurait pu devenir sdf mais il est devenu vampire c'est autre chose. Et chez toi, Christelle, on a cette personne, un personnage qui ne trouve pas vraiment sa place donc qui se retrouve un endroit un peu particulier pour observer son monde, on voit pas intégrer. Et puis chez toi aussi finalement avec quand même une norme qui est pas si claire à définir que ça, donc tout le monde serait hors norme, en tout cas ce vaisseau représente quelque chose d'un petit peu particulier. Donc j'ai envie d'un peu de vous entendre sur ce questionnement là de la norme : est ce que c'est quelque chose qui vous a poussé à écrire ou c'est venu en écrivant et qu'est ce que voilà qu'est ce que vous avez à en dire ?
Christelle Dabos. Alors en fait je ne m'étais pas du tout posé cette question-là jusqu'à ce que justement on aborde ce sujet. Mais oui, clairement, effectivement, je pense que, déjà moi, je ne me suis jamais reconnu dans aucune des petites cases. Je pense que je ne suis vraiment pas la seule à voir ce ressenti-là. Mais généralement, ce que j'écris, c'est souvent un reflet de mon monde à moi, de la réalité qui m'entoure. Et ce côté, effectivement, on nous pose des petites étiquettes et ensemble, on ne se réduit pas juste à ça. Donc là, dans Nous, l'étiquette à laquelle vraiment chaque personne est réduite, c'est l'Instinct. Mais il y a quelque part un sentiment de complétude lorsque la personne fait l'expérience que son Instinct est assouvie et qu'elle peut vraiment... Il y a un sentiment d'absolu qui fait que de façon très éphémère tout paraît avoir un sens. Mais dès que ça, ça s'arrête, l'extase cesse et à nouveau, les personnes sont ramenées à un sentiment de bon, je suis qui, en dehors de ça. Mais voilà, c'est un petit peu le reflet aussi d'un vécu de me dire, bon, dans cette société où on est, effectivement, on aime bien mettre une étiquette sur quelqu'un. Moi, je pense que c'était mon tout premier déclic d'écriture. Donc, bien avant Nous, bien avant la passe miroir, souvent on me demande, c'était quoi, pour moi, l'élément déclencheur. Et en fait, c'était un texte qui parlait d’un bouffon qui voulait devenir chevalier. Et ça m'a fait un tremblement dans tout le corps. Et à ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi. Je me suis dit, c'est fort, quand même, comme réaction pour ce que j'écris. Mais en y réfléchissant, c'est juste parce que j'avais cette étiquette de la personne qui fait toujours bonne figure, qui amuse la galerie, qui est toujours dans la dérision. Et en fait, je m'interdisais complètement l'expression des émotions plus graves, des choses peut-être moins avouables. Et ça, je ne voulais pas le montrer. Mais en fait, c'est ça dont j'étais en train de parler à ce moment-là.
Ketty Steward. Merci.
Christelle Dabos. Avec plaisir.
Audrey Pleynet. Alors, pour ma part, je l'ai pris dans le sens où, c'est la question de la norme, je l'ai pris dans le sens où Rossignol est également l'histoire d'une vie. En fait, l'héroïne commence, enfin, le personnage principal on l’a suit de son enfance, qui est le passage que tu as lu, jusqu'après l'adolescence et puis l'arrivée à l'âge adulte. Et elle devient mère également, parce qu'on parlait de l'Autre aussi qu'on produit qui est l'enfant et l'Autre qui nous a produit, qui est le parent. Et c'est très présent dans Rossignol, la question de transmission et de parentalité. Et c'est vrai que, moi, mon personnage principal, dans son enfance, elle n'a pas les étiquettes, elle n'a pas les codes, en fait, quelque part. Tout est très beau, tout est très libre. Elle vit très intensément la station où elle est née, où elle a toujours vécu, avec des yeux un peu émerveillés. Elle a des amis, toutes les espèces et sous-espèces possibles. Elle fait beaucoup d'expériences, mais à un moment de sa période d'adolescence, elle ne fait pas la même chose. Voilà, elle teste des choses. Mais au fur et à mesure, ce qui va commencer un peu, lui faire comprendre qu'il y a des règles et des cases et qu'elle va devoir choisir où elle se situe, c'est les mots que les personnes autour d'elle vont commencer à mettre. Demander ses majos, ses minos, son ADN, demander des remarques rapides sur certaines de ses fréquentations, de ses choix, et en fait, ça se construit un peu au fur et à mesure. Et c'est vraiment un esprit au début très libre et qui finalement commence à avoir tout autour des murs qui se mettent et des petites briques qui se construisent. Qu'elle se construit elle-même aussi, parce qu'on se donne nous-mêmes notre norme. On s'impose aussi nous-mêmes à certains codes de comportement. Et je vais rester là également parce que le regard de sa mère lui fait dire que c'est... ça la rendrait, sa mère serait fière d'elle si elle faisait ça, donc elle fait le contraire parce qu'elle est en pleine adolescence. Donc on se construit par opposition aussi, donc au final il y a certaines oppositions qui se font par rapport à ce qui peut être attendu ce qui est de la bienséance. Donc en fait on est aussi sur cette construction de l'identité de la personnalité et de cette sortie de l'enfance, en fait ou tout d'un coup tous ces normes là se clarifient, et on se dit qu'ils les a mis. Est-ce que c'était déjà là avant ou pas. Parce que c'est aussi la question sur la station spatiale, au niveau politique les choses aussi, à ce moment là, commencent un peu à dérailler mais en fait peut-être que ça déraillait déjà depuis longtemps. Mais le personnage ne le voyait pas parce qu'elle était dans une enfance qui était très, qui voyait pas plein d'aspects du monde. Et elle s'éveille à ça puis elle s'éveille aussi à une certaine conscience politique. Et tout d'un coup, on chausse les lunettes un peu de tout ça et on aurait du mal à ne plus le voir. Donc voilà toutes ces normes et ces règles apparaissent un peu dans le récit au fur et à mesure. Et voilà, pour mon personnage, elle les interroge aussi beaucoup en fait.
Ketty Steward. Il y a une norme qui reste en place dans le vaisseau où Carol, je ne sais pas pourquoi je retiens pas son nom, il se retrouve tout seul. Et finalement, en fait, on découvre qu'il a une relation amoureuse donc c'est sa femme. Ils sont mariés, ils sont un couple, ça prend beaucoup de place dans sa vie il revisite un peu son histoire ce qu'elle était sa vie
Geoffroy Monde. Via des flashbacks
Ketty Steward. Et dans la discussion avec son ami comestible. Et donc oui je voudrais interroger ça, cette situation du couple parce que quand on regarde un peu donc ce que tu en fais on voit une forme de solitude à deux. Que je trouve présenté de manière super intéressante, c'est-à-dire que jamais il se rend vraiment compte qu'il n'est pas complètement aligné.
Geoffroy Monde. Non complètement. Je suis content que tu aies vu ça, c'est chouette. C'est une intention que j'ai que j'ai pas forcément explicité au lecteurice. Donc, j'ai ça en tête, de décrire une histoire d'amour minable, pas synchrone, mais vécu par le héros comme quelque chose où il n'y avait pas de soucis. A priori, les choses ont l'air de bien allé, sa femme, en l'occurrence qui apparaît dans des flashbacks, à très peu d'interventions. On ne la voit jamais physiquement. Et donc, elle a clairement une présence fantomatique sur lui. Et cet aspect là de leur relation, c'était un peu pour décrire effectivement cette forme d'amour, enfin qu'on appelle l'amour, qui est plus souvent une projection fantasmée de ce qu'on souhaite de son compagnon ou sa partenaire. Et qui en fait ne donne pas de réalité à la personne en face. Et en l'occurrence le parallèle qu'il fait avec son ami comestible qui le fantasme, qui lui fait dire des choses, qui lui fait avoir des valeurs, c'est le même procédé psychologique qu'il applique dans sa relation amoureuse, où il fantasme ce qu'est sa femme, ce que sont les ambitions de sa femme, ce qu'elle représente et qui existe que dans sa tête. Et en effet, on comprend par les flashbacks ou autre, qu'il est assez absent, qu'il n'a pas l'air de l'écouter très bien parce qu'il a l'air d'oublier sans arrêt qu'il y a des trucs à faire. Et et on comprend, le lecteur comprend, mais pas le héros, par des éléments scénaristiques pures, que sa femme avait potentiellement une liaison et et qu'il savait rien d'elle quoi. Qu'il était juste un mari très minable et qu’il finira certainement par jamais s'en rendre compte.
Ketty Steward. Cet aspect de projection, on le retrouve aussi dans les stèles.
Geoffroy Monde. Oui exactement qui sont une bonne représentation graphique de cette idée là.
Ketty Steward. Est-ce que tu peux expliquer ?
Geoffroy Monde. En fait, à peu près au milieu du récit, Carol se retrouve secouru par un vaisseau qui retrouve son vaisseau, son épave qui dérivait. Et qui dit “c'est bon vous êtes sauvé, venez avec nous. Par contre mauvaise nouvelle, en effet plein de membres ont été kidnappés et votre femme est morte”. Donc, au milieu du récit, il apprend la mort de sa femme et elle reste quand même très présente dans toute l'histoire. Et dans ce monde de science-fiction, les stèles associés aux personnes décédées sont équipés d'un mécanisme de projection qui projette une énorme image virtuelle de la personne décédée. Mais présenté sous des auspices assez ringards, kitsch, où il y a plein de petites colombes autour ,des nuages, des rayons lumineux. Et donc, quand il prie, quand il se recueille devant sa femme, on voit cette projection incroyable qui bien entendu est bien réel dans le réel du récit. Mais qui est encore une représentation de à quel point il fantasme une femme magnifique, grandiosse, une sainte même par rapport à l'icronographie utilisée et qui voilà représente bien ce qui se passe en vérité dans sa tête.
Ketty Steward. Merci beaucoup et donc l'Autre effectivement peut être l'Autre dans la relation d'amour et il y a des relations d'amour dans vos histoires à vous. A quoi ça ressemble ? Vu les mondes qu'on a décrit, comment on peut tomber amoureux ou pas dans ce genre de monde et qu'est-ce qui se passe ?
Christelle Dabos. Oui alors c'est toute la question. Sachant que, alors moi, ce qui m'a toujours beaucoup intéressé c'est vraiment l'amour mais pas avec les petites étiquettes, encore elle, qu'on peut donner. Donc souvent, on me dit tu fais de la romance, ça me fait parfois un petit peu grincer parce que je me dis non c'est pas de la romance. C'est vraiment, j'essaie d'explorer autre chose donc là dans Nous. C'est toute la relation qui se fait entre Claire et Goliath, sachant qu'ils ont chacun leurs propres problématiques et que l'autre n'a pas vocation à sauver l’autre. En fait, chacun doit d'abord faire un chemin intérieur. Il y a des dilemmes d'intérieur qui doivent être dépassés. Donc pour le personnage de Goliath, lui c'est quelqu'un qui s'est énormément construit par rapport à la figure de son frère, qui a voulu devenir protecteur et qui veut vraiment brasser la voie de la sanctification par rapport à ça.
Ketty Steward. Est-ce que tu peux expliquer la voie de la sanctification ? Je ne suis pas sûre qu'on en ait parlé.
Christelle Dabos. Ça me paraît tellement évident. C'est le fait d'intégrer la bureaucratie Instinctive, d'avoir suffisamment sauvé de vie. Donc pour pouvoir prétendre à la sanctification, il faut avoir sauvé 11 vies avant sa majorité. Et après il y a des grades. Déjà on commence à vertueux. Puis au bout de 111 vies, ça devient un ange. Il y a des chiffres qui augmentent, archange, etc. Et puis après il y a les très haut, tout en haut, qui sauvent des milliers, des millions de vies. Donc Goliath, il est tout en bas pour le moment. Lui, son rêve, de pouvoir devenir un saint. Et il s'est extrêmement identifié à ça. Donc lui, son identification s'est faite par rapport à, non seulement cet objectif, mais du coup, son Instinct qui va lui permettre de le faire. Et Claire, elle, elle n'est pas du tout dans la même dynamique que lui. Alors Claire, c'est quelqu'un qui a pu tout avoir. C'est difficile d'en parler sans début. Est-ce que c'est vraiment un spoiler ? Je ne sais pas parce que ça intervient pas dès le début du récit, mais pas non plus à la moitié.
Geoffroy Monde. Moi, j'ai dit qu'il finissait vampire et que la mère, la femme, elle meurt. J'ai spoilé tout le truc. Dans cette pièce, c'est bon, on peut...
Christelle Dabos. C'est moi, je pense que c'est pas un vrai spoiler, mais je pense que le lecteur s'en doute assez rapidement.
Ketty Steward. Et puis, je pense que c'est pas pour ça qu'on continue de le lire enfin il se passe plein de choses.
Christelle Dabos. Donc voilà, Claire n'a pas d'Instinct voilà comme ça c'est dit. Dans un monde où tout le monde est supposé en avoir un, elle n'en a pas mais elle se fait passer pour une confidente. Et donc voilà, elle grandit avec un énorme sentiment d'imposture, de culpabilité dans un premier temps, parce que ce ne sera pas toute sa dynamique. Mais donc, on a d'un côté un personnage qui ne vit que pour un modèle de société, qui s'identifie complètement à cette société là. Et de l'autre, quelqu'un qui a un secret qui est une véritable bombe en fait. Et toute la relation d'amour, voilà pour moi elle n'était même pas envisageable tant que chacun doit mettre de l'ordre dans sa propre vie et affronter ses propres démons intérieurs. Et voilà, il y a des choses qui doivent être embrassées intérieurement, transcendées et là il y a peut-être une rencontre qui peut vraiment se faire. Mais sachant que je n'aime pas du tout non plus les histoires de jalousie, de possessivité, ces choses-là, la personne m'appartient, moi ça ne m'intéresse pas trop.
Ketty Steward. Il y a de l'amour aussi chez toi.
Audrey Pleynet. Il y a de l'amour. Alors moi, c'est horrible, j'ai été hyper vache avec l'amour romantique, le couple en fait, parce qu'elle se met en couple à un moment avec une personne qui est humania, genre 100%, genre espèce pure. Alors qu'elle est très hybride quand même. Et en fait c'est vraiment, je ne suis pas allée sur un côté romantique et romantisme et c'est la question très utilitaire de l'amour et c'est pourquoi on se pense amoureuse et c'était à voir avec la question de la solitude du passage que tu as lu. Mon personnage, elle grandit dans cette idée, donc dans cette station quand même, il y a plein de monde donc la solitude n’est pas facile à avoir. Mais elle a l'impression que quand le regard des personnes, c'est comme si on braquait un projecteur, et elle se mettait tout à coup, comme une automate, on met une pièce dans la machine et elle se met à s'activer, donc on n'existe que sous le regard des autres, on existe que quand quelqu'un nous prête de l'attention ou nous regarde et dès que les personnes se détournent, on retombe dans l'inaction. C'est difficile de savoir qui suis-je, si je ne suis pas par rapport à. En fait c'est la question que l'on construit, son identité en comparaison, en relation avec d'autres et quand on est vraiment seul, est-ce qu'on est vraiment, voilà.
Ketty Steward. LĂ  on retrouve l'existentialisme de Sartre, comme dans cette citation qui sert de titre.
Audrey Pleynet. Et donc c'est vrai que Victor, l'homme qu'elle rencontre, lui, il brille, il brille par lui-même, c’est un soleil, très charismatique. Et elle a l'impression que cette lumière retombe sur elle, la fait exister et c'est pour ça qu'elle va l'aimer enfin qu'elle va être dans cette relation avec lui. Parce qu'il l'a fait briller, la fait exister, et elle ne l'aime pas lui pour lui même mais pour ce que ça lui fait ressentir à elle. Donc, c'est toujours là une grande question d'Aristote sur l'amour etc. Mais le vrai sentiment d'amour, pas amoureux, mais d'amour dans Rossignol, il est sur la relation qu'elle a avec son fils, qui est une relation d'amour dans le sens également où c'est une relation de deuil. Parce que j'ai dit tout à l'heure c'est à dire qu'elle a fait un enfant avec un autre stationnien hybride, oui c'est dur à prononcer, c'est intéressant, stationniens.
Ketty Steward. C'est pas moi qui l'ai écrit.
Audrey Pleynet. Je sais, je me demande qui c'est. Cette autre stationnien hybride était, donc très très hybridé, mais ils ont réussi lors d'une nuit dont ils se souviennent pas grand chose à avoir un enfant. Enfin elle est tombée enceinte et donc son enfant est très différent d'elle. Au point qu'il y a des questions que son enfant ne pourrait pas vivre dans son milieu naturel à elle. Sur la station spatiale, les pièces s'arrangent pour que tout le monde puisse vivre ensemble, malgré les besoins physiologiques très différents. Mais elle a dû faire des choix dans sa grossesse : est-ce que mon enfant entendra ma voix ? Est-ce que je pourrais lui chanter des chansons ? La chanson, enfin, la comptine est très importante dans Rossignal. Est-ce qu'il aura une durée de vie qui se rapproche de la mienne ? Ou alors lui, il va vivre quatre jours et mourir. Parce qu'il y a des choix à faire dans quelle gêne activée ou pas. Et quand il naît, elle ne s'est pas reproduite. Elle a créé de la différence, elle a créé de la différence génétique. Elle a créé de la différence dans une autre forme d'expérience de vie. Son enfant, son fils va avoir une autre expérience de vie. Ils voient les choses différemment parce qu'il est très différent aussi physiologiquement. Et puis après, il va se faire ses propres rencontres, ses propres potes. Donc c'est un deuil. C'est le deuil de dire je ne me suis pas reproduite, j'ai fait autre chose. Et clairement, j'ai eu des enfants, le premier, je me suis loupé, je ne me suis pas reproduite, il n'était pas pareil. Déjà, c'est un garçon.
Ketty Steward. Tu sais que ce n'est pas le but quand mĂŞme.
Audrey Pleynet. Oui, mais dans la langue française, se reproduit. Ce mot, franchement, je suis en train de me dire, ce n'est pas le bon mot. Déjà, mais là, elle a vraiment, c'est là, ou vraiment, ce sentiment d'amour, de l'autre pour l'autre. Elle l'aime dans ce qu'il est lui, avec l'acceptation que ça n'a rien à voir avec elle, en fait, quelque part. Alors que le sentiment amoureux en couple avec Victor, elle n'aimait pas lui, elle aimait ce que ça lui faisait ressentir à elle. Donc, c'est la question de ce regard de l'autre et de l'altérité qu'on accepte totalement. C'est pas pour parler de soi, mais moi, mais moi, mais moi. Non, c'est ce deuil qui va jusqu'au bout de l'histoire. Et elle a aussi une relation avec sa mère qui est très compliquée, très conflictuelle et complètement en opposition. Mais quand elle devient elle-même mère, il y a une relecture de cette relation qu'elle avait avec sa mère avant où elle comprend que sa mère n'a jamais fait le deuil d'avoir fait une enfant différente d'elle-même. La mère pensait vraiment qu'elle allait tout donner, les valeurs, le truc politique, tu es exactement comme moi ma fille et tu vas vivre comme mais comme la fille n'avait pas le même vécu, même pas les même ADN, même pas le même vécu puisqu'elle a toujours vécu sur la station. La mère n'a pas accepté en fait et c'est vrai que sa mère n'a pas fait le deuil. Mais quand elle, quand mon héroïne devient elle-même mère, elle a cette relecture de cette relation à cette autre autre qui nous a créé et qui nous présente le monde parce que c'est le taf des parents. Donc voilà c'est aussi un peu ce travail de transmission.
Christelle Dabos. Juste en t'écoutant, j'ai une sorte d'énorme déclic existentielle peut-être. Mais en fait on parle de construction de personnages mais en fait c'est très valable pour nous que, finalement, plus il y a processus d'identification, plus on s'identifie à quelque chose, à un rôle, à un personnage, plus on passe à côté de l'amour, et que l'amour se fait lorsqu'on s'oublie. Moi, c'est vraiment ce que j'entends dans ma vie, mais c'est beau.
Audrey Pleynet. Je mets le mot de deuil dessus parce que c'est un petit déchirement, en fait.
Christelle Dabos. Ah ben oui, il y a une petite mort.
Ketty Steward. Et ça fait écho à ce que tu disais, sur la possessivité, en fait. Renoncer à posséder, renoncer à tenir. Et quelque chose aussi, un autre niveau de l'altérité qu'on retrouve dans vos trois œuvres, aussi, c'est l'évolution que peuvent connaître les personnages. Alors chez toi, je vois que c'est très clair, c'est juste pas le même à la fin qu'au début. Et donc, cette idée d'avoir l'autre en soi, et on le voit aussi dans ces flashbacks, où il se ressemble pas, déjà, et il redécouvre et on découvre en même temps que lui qui il était. Mais cette idée qu'il y a plusieurs formes de nous, alors c'est bizarre de le dire comme ça. Mais en tout cas, je pense que ça se sent encore plus chez toi, Audrey, cette idée qu'on voit vraiment son évolution, et comme des couches qui sortent comme ça de ses yeux, et que vous ferez me dire, elle voit des choses, et ce n'est plus la même personne, enfin, on dit je, et c'est plus le même je, en fait. Comment vous travaillez ça ? Parce que, finalement, vous créez des personnages, donc vous avez des personnages qui ne sont plus tout à fait les mêmes, qui connaissent des changements assez importants. Comment on gère ça ? Je peux poser une autre question, sinon ?
Christelle Dabos. Non, c'est passionnant. Déjà, c'est quoi, un personnage ? Vraiment, quand je pose la question, c'est vraiment en essence, parce qu'on me demande, c'est quoi, la relation que j'ai moi-même avec mes propres personnages ? C'est pas mes enfants, ce sont pas mes amis. Ce que j'ai réussi à réaliser, je me dis en fait déjà une énorme déséquilibre c'est que j'ai extrêmement conscience d'eux et l'inverse n'existe pas. Ce sont des chats, voilà. Ce sont mes chats à moi alors. Et du coup la question c'était ? Oui qui évoluent, qui évoluent ? Oui, voilà. En fait, dans mon cas spécifique, mais je pense que c'est certainement commun à d'autres personnes, j'évolue en même temps que mes personnages. Donc généralement ce que j'aime vraiment bien, moi c'est ce qui m'a toujours passionné dans l'écriture, donc un acte profondément égoïste comme vous allez vous rendre compte, c'est que les personnages ont généralement en commun avec moi une problématique et on va traverser ça ensemble, voilà. Il y a des choses qu'il faut lâcher. Généralement, moi, c’est souvent des peurs. Dans Nous, par exemple, chaque personnage j’ai un point commun avec. Donc avec Goliath ,par exemple, c'est un hypocondriaque, donc il est absolument...
Ketty Steward. J'ai trouvé que c'était super bien rendu.
Christelle Dabos. C'est du vécu. C'est du vécu, voilà, il n'y a pas à chercher. Parce que c'était une époque où je faisais des crises d'hypocondrie à répétition et donc j'ai dit bon ben très bien, on va y aller ensemble, mais vraiment à fond par contre. Et ça va, je ne fais plus d'hypocondrie depuis. Et pour Claire, elle, c'est le côté madame bonne figure, donc quelqu’un qui s'est vraiment créé un personnage pour faire illusion et donc qui est toujours dans le sourire, qui veut correspondre un petit peu à ce qu'on attend, qui veut répondre aux attentes des autres et qui se réfugie toujours d'ailleurs ce sourire de façade et moi aussi je suis très très comme ça. Mais pourquoi ? Parce qu'il y a d'ailleurs la peur de déplaire, la peur de ne pas être acceptée, la peur de ne pas être aimée. Voilà, si on va vraiment jusqu'au bout du dossier racine, et ben je me dis bah on va traverser ça ensemble aussi. Voilà, on va y aller.
Ketty Steward. On a quand même un moment où elle signe des dédicaces.
Christelle Dabos. Oui, oui, oui, alors ça c'est le petit plaisir personnel que j’ai. Disons que je précise que c'est un livre qu'elle n'a pas écrit, mais elle se retrouve effectivement à devoir dédicacer un livre qui porte son nom, mais c'est pas elle qui l'a écrit quoi. Donc c'est toute une mise en scène et tout. Mais oui, il y a tout ce phénomène effectivement des dédicaces et des gens en fait qui projettent sur eux qui disent, vous êtes incroyable, vous êtes un génie, non ? En plus elle ne ment pas, donc à chaque fois elle répond, je n'ai pas écrit le livre, mais personne ne la croit. Donc j'ai pris énormément de plaisir, j'avoue, j'avoue. Et même, alors là je suis un petit aparté, les médiathécaires aussi je me suis bien fait plaisir, parce qu'il y a toujours des bibliothécaires dans mes histoires, des bibliothèques et des bibliothécaires et là vraiment, j'ai dit, on va y aller aussi à fond avec eux. Donc, mais voilà, c'est un chemin qu'on fait à deux, moi et les personnes, donc je ne suis jamais la même à l'issue de quand j'ai terminé d'écrire un livre, il y a quelque chose, généralement. C'est pas que je suis quelque chose en plus, j'ai l'impression que j'ai perdu quelque chose en chemin, mais dans le bon sens. Il y a des choses que j'ai lâchées, dont je me saisissais sur lesquelles je m'agrippais pour me dire que c'est moi, c'est ce que je suis. Je me suis dit bah non, hop, je me lâche. Et notamment il y a comme ça le personnage de Modeste dont on n'a pas parlé, mais qui compte. C'est un personnage dont on ne sait pas du début à la fin si c'est un garçon ou une fille. Donc comme c'est écrit en je, ce personnage-là, lui, ne se met un genre. C'est là que je me suis rendu compte à quel point la langue française était sexuée au passage, mais j'ai bien bien bien salomé pour éviter les adjectifs, les participes passés qui étaient un compromettant. Et les autres personnages non plus, n'arrivent pas. Et ça ne, ça n'a aucune importance en fait. Mais en fait, même moi je ne le sais pas. Et je dis, ça ne change absolument rien à ce qu'est le personnage en essence. Donc voilà, c'est une aventure partagée entre eux et moi.
Audrey Pleynet. Pour ma part, j'avais pensé, je voulais faire un personnage qui évolue également dans sa manière de voir le monde parce que l'idée dans Rossignol, une des questions qui étaient posées, c'était la question de l'engagement politique. À quel moment, en se fondant sur quoi de soi, de son identité, de son parcours, de sa déconstruction, on décide d'agir dans un sens ou dans un autre. Parce que dans un monde très complexe, comme dans la station, il y a des courants politiques divers, on lui demande de se positionner, elle a tellement d'amis et de familles, plein de points de vue différents, mais à un moment, il faut se positionner. En fait, c'était pour aller à l'encontre de ce stéréotype du héros qui vous arrive comme un pack, vous savez, le Captain America, il a déjà tout son set de valeur qui est prêt, on sait ce qui va défendre, ce qui ne va pas défendre, il a une origine story généralement, un trauma d'enfance. J'adore Chris Evans, je ne veux pas dire attention, ce n'est pas contre lui, mais il y a l'origine story du héros, c'est le trope de la femme dans le frigo qui fait qu'un jour le héros s'est mis en route. UNE origine story, UN gros trauma. Et là, je voulais montrer qu'il y a des couches, que c'est complexe, et que ce n'est pas parce qu'on a un méga gros trauma d'enfance, que c'est ce qui va guider après notre action. On peut aussi le prendre pour ce qu'il est, un certain trauma d'enfance, le gérer d'une manière, mais par rapport à d'autres valeurs, d'autres choses que l'on adhère, d'autres personnes qui vont venir nous parler de elles leur vécues. Et finalement c'est à ça plutôt qu'on va adhérer, qu'on va vouloir défendre. Donc c'était beaucoup plus complexe que juste ça, qu'il y a plein de couches, et qu'à la fin c'est toujours un choix, en fait, le choix de dire : qu'est-ce que dans ma vie je vais choisir pour appuyer cet engagement politique ou pas, et là c'est en plus vraiment un engagement de savoir si oui ou non on continue à vivre ensemble sur une station spatiale, avec une technologie qu'on ne maîtrise pas, mais qui nous permet de vivre ensemble. Et c'est un vrai projet politique, c'est vraiment assez fort, comme enjeux.
Ketty Steward. Toi tu savais déjà l'arrivée donc c'est plutôt les étapes d'avant qui était
Geoffroy Monde. C’est ça mais il ya plus contrairement à d'autres bouquins que j'ai pu faire. Dans la voix de Zazar, il y a un vrai parti pris de justement pas faire évoluer le héros, de le laisser dans sa médiocrité. En fait, sa solitude forcée lui impose quelque part de ne pas évoluer parce qu'il n'est pas confronté à ses erreurs. Il fait dire aux gens qu’il fantasme toutes les choses qui vont dans son sens.
Ketty Steward. Il n'y a pas de bibliothèque dans son vaisseau.
Geoffroy Monde. Pas de bibliothèque et c'était volontaire. En effet, il n'y a pas de quoi s'enrichir mentalement. Du coup, il devient une version soit égale à lui même, soit un peu pire, puisque en plus il mange des gens. Et donc il y avait un peu ce parti pris de le rendre médiocre de A à Z. Les vrais victimes de l'histoire c'est bien sûr sa femme qui apparaît jamais, qu'on voit jamai,s qui n’a pas droit à une réalité dans le récit et qui reflète l'idée de leur couple. Et il y a un tout petit, je lui laisse un tout petit moment de grâce à la toute fin où quelque part il se sacrifie dans un acte de vengeance. Donc ensuite on peut quand même réfléchir : est-ce que la vengeance personnelle c'est du sacrifice ou est-ce que c'est pas au contraire un acte de narcissisme extrême de donner sa vie pour quelque chose qui nous a posé problème. Mais en l'occurrence c'est quand même un acte, on va dire de façon romanesque, c'est un acte de bravoure que je lui offre à la fin. Mais oui dans ce récit là il y a très peu d'évolution du personnage en dehors du truc très formel du vampire qui est presque un gimmick
Ketty Steward. Alors c'est l'heure des autres je crois que c'est votre tour. Avez-vous des questions pour mes invités ?
Public. Bonjour, comme c’est la première question, elle n'est pas forcément réfléchie parce que c'est la mienne. Mais je me disais, quand vous faites un personnage vous abandonnez quelque chose mais dans ce cas ce que vous abandonnez est-ce que vous le mettez dans le personnage ?
Geoffroy Monde. Moi très directement oui
Ketty Steward. Le cannibalisme ?
Geoffroy Monde. Non ça je garde ça je garde, ça j'ai vraiment du mal à me débarrasser. Pour rejoindre complètement ce que t'as dit tout à l'heure sur ce qu'on met dans nos personnages et qui nous font évoluer. Le côté très foireux dans sa relation amoureuse du héros, reflétait directement un truc que je comprenais chez moi-même. Je prenais beaucoup de place, je ne laissais pas beaucoup de réalité aux personnes avec qui j'étais, et c'était assez ridicule. C'est le côté où tu tombes amoureux toutes les deux secondes, parce qu'en fait tu tombes pas amoureux, tu t'imagines des choses sans arrêt. Tu t'aimes exactement, et ça du coup, j'ai l'impression de l'avoir un peu en partie laissé derrière moi grâce à l'écriture de ce personnage ridicule que je ridiculise de A à Z et qui m'a un petit peu fait passer à autre chose sur cet aspect.
Ketty Steward. Peut-être si vous lisez cette BD, ça vous aidera aussi à passer. Peut-être si vous avez ce problème aussi.
Christelle Dabos. Disons que comme j'ai déjà un peu abordé le sujet, j'aurais l'impression d'être un peu redondante donc je laisse bien volontiers si tu veux. Est-ce qu'on répond bien à la question ?
Ketty Steward. Si non, vous pouvez aussi lire les livres et vous verrez en fait ce qu'il y a dedans.
Public. Mais du coup, justement pour continuer la question précédente, quand vous écrivez le personnage, est-ce que d'une certaine manière, si vous êtes psychologue clinicienne, vous pourrez peut-être aussi donner votre avis. Est-ce quand on crée le personnage, est-ce qu'on n'en fait pas une espèce de poupée vaudou avec ses propres angoisses et tout ça, et après on s'amuse à piquer des petites épingles en disant, tiens, cette facette que je déteste de moi, tu vois, on pourrait exorciser de faire sortir de soi, en fait, une espèce de thérapie en quelque sorte.
Christelle Dabos. Oui, oui, oui. Je crois qu'on peut se l'avouer, on est entre nous. Donc oui, il y a quand même de ça. Après, je pense que c'est commun à beaucoup de personnes, en tout cas qui sont dans l'acte d'écriture, il y a ces phénomènes qui seront les prises d'autonomie des personnages qui se mettent à faire des choses qui n'étaient absolument pas prévues, donc on fait un petit plan, mais non. Alors je ne sais pas si dans la BD, on peut se le permettre, parce que c'est peut-être un peu plus...
Geoffroy Monde. Si, si, il y a aussi de ça. Moi, la première forme de ma BD, c'est un long texte, un rond entre guillemets, donc il y a toute la place pour ces choses-là.
Ketty Steward. Vous ne faites pas de plans sinon...
Christelle Dabos. Oui, c'est qu'on va être surpris. Oui, alors effectivement, si on est dans l'improvisation totale, de toute façon, mais il y a quand même, ses moment où les personnes se mettent à faire des pas de côté et le pire, c'est qu'ils ont raison. Voilà, c'est que généralement, moi, par exemple, j'avais intellectuellement prévu quelque chose en me disant, voilà, sur le papier, c'est bien. En fait, au moment de l’acte d'écriture, tout un coup, le personnage va se mettre, il va prendre une décision, il va dire quelque chose, c'était pas du tout ce que j'avais prévu, je dis mais il a tellement raison et c'est beaucoup plus logique ainsi. Mais il y a ces moments pour moi, c'est vraiment des moments de grâce où il y a presque quelque chose qui relève de l'émancipation, donc le personnage j'ai l'impression tout un coup il m'échappe et c'est les moments que je préfère voilà.
Audrey Pleynet. Oui moi j'aime bien c'est quand je leur mets une grosse épreuve un gros trauma bien dans la tronche et je me dis, ils vont pas s’en relever. Et en fait si. Parce que moi j'ai pensé que c'était quelque chose peut-être que j'aurais vécu de façon très traumatisante et qui m'aurait beaucoup impacté. Puis finalement, dans Rossignol, à un moment elle perd une collègue, c'est dur, ça l'a fait un peu valdinguer mais au final elle retombe sur ses pattes. Il y a un deuil qui se fait, quelque chose qui se fait puis elle en retire de cette expérience ce qu'elle a en retirer. Et puis enfin, c'est toujours en elle, elle l'intègre parce que ça encore des couches, encore une couche en plus. Mais voilà donc des fois mon plan a raté, en fait, de maltraiter mes personnages.
Ketty Steward. Comme j'ai été interpellée, je vais quand même répondre à deux choses, peut-être le côté poupée vaudou. Moi, ce que je trouve intéressant, c'est quand sciemment, on décide de mettre des personnes. Moi, je sais que j'ai une collègue que j'ai mise comme personnage, un personnage raciste à qui il arrive des soucis. Ça lui a sauvé la vie de devenir un personnage et c'était pas du tout involontaire. C'était, toi, tu seras dans Blanche-Neige et le Triangle quelconque, où je sais d'où ça sort. Il y a des phrases, ce sont ses phrases et ça m'a évité un passage à l'acte. Et donc, je suis parmi vous et pas en prison. Donc ça, ça peut arriver, ça peut servir à ça. On a débordé, on a le droit de déborder ou pas, s'il y a une dernière question. En plus, on a eu que des voix masculines. Donc, parfait.
Public. Merci, je voulais juste reprendre par rapport aux questions d'avant, parce qu'on parle des autres et des extériorisations négatives, par exemple, sur les personnages. Est-ce qu'il y aurait l'autre versant, le versant positif ? Est-ce que les autres, c'est forcément l'enfer ou est-ce que c'est aussi une extériorisation de bon côté et de bons points qui sont pas forcément conscients, qui sont peut-être conscientisé de votre propre personnalité ou d'autres choses ou sous forme d'idéals, sous forme de bon côté, qui sont peut-être plus difficiles ou au contraire plus simples à extérioriser sur quelqu'un d'autre ? Est-ce que l'enfer, c'est forcément les autres ou est-ce que ça peut être le bien, en fait, aussi ?
Audrey Pleynet.Alors moi, dans Rossignol, j'ai une relation extrêmement positive entre deux personnages, mon héroïne et sa meilleure amie, Loniha, qui fait partie en Majo des Ra, qui est un de ces deux grands serpents cafards.
Geoffroy Monde. On voit très bien ce que c'est.
Audrey Pleynet. Et en fait, je voulais justement montrer une relation hyper positive déjà entre deux femmes, nous ne sommes pas en opposition. Donc en plus, c'est une relation d'amitié qui compte beaucoup plus que les relations amoureuses qu'elle peut avoir et ça la construit énormément, ça lui apporte énormément. Dans sa vie, ça éclaire, enfin c'est une relation très lumineuse en fait et ça éclaire beaucoup de choses et c'est peut-être le vécu que je voulais mettre de moi que j'ai des amis extraordinaires et qui finalement comptent énormément, vont énormément compter dans la construction de ma personnalité et je voulais remettre ça également, vraiment une relation d'amitié très forte et lumineuse. Voilà, donc oui, il y a aussi des choses positives qu'on peut mettre aussi.
Christelle Dabos. Alors, il y a deux choses qui me viennent plus spécifiquement là dans Nous, pour la relation entre Claire et Goliath, ce qui est extrêmement intéressant pour moi de voir, c'est la façon dont en fait, ils vont se confronter. Donc l'autre peut aussi avoir, on va dire, cet effet de justement nous mettre en face de ce qu'on n'a pas envie de voir. Donc, Claire, son côté, Madame Bonne-Sourire, ça Goliath, il le voit tout de suite et ça le gonfle. Donc, très vite, il dit, non, là, tu n'étais pas sincère dans ton sourire. Non, je veux vraiment, qu'est-ce que tu penses vraiment, qu'est-ce que tu ressens vraiment et il va quoi. Alors qu'elle, elle pensait vraiment qu'elle faisait, qu'elle bluffait, enfin qu tout le monde croyait en son sourire. Donc il y a cet effet-là. Et bon, là, du coup, d'une relation qui est, on va dire positive. Mais j'ai envie d'aller plus loin dans cet enfer, c'est les autres. Il y a aussi ces autres qui ne font pas forcément du bien, qui vont parfois nous appuyer sur ce qui fait mal. Mais c'est très bien parce qu'ils nous confrontent aussi à quelque chose. Alors moi, là, ça, je vais être un peu débordé, du coup, ce n'est pas forcément par rapport à des personnages, mais notamment l'expérience que j'avais eue sur la presse sortie du Tome 4 de la Passe-Miroir, qui a été quelque peu houleuse. J'avais fait une fin qui n'a pas fait forcément l'unanimité, voilà. Et voilà, j'ai reçu des messages de lecteurs mécontents, voilà. Et sachant que moi, une de mes peurs racines, c'était décevoir l'autre. Donc, j'ai pu faire l'expérience d'être confronté à une peur racine de façon massive, sachant que, je me suis dit, ça ne change absolument rien, en fait, que c'est l'histoire que j'avais envie d'écrire. Et du coup, j'ai pu transcender cette peur-là. Et merci, voilà. Merci.
Ketty Steward. Christelle disait, d'ailleurs, tout à l'heure, ils ont tous une de mes caractéristiques, en fait. Il y a ça aussi dans la création du personnage, c'est qu'on écrit à partir de soi, on n'écrit pas à partir d'ailleurs. Ça vient de nous, donc ça va être le regard qu'on porte sur des gens qui auraient pu exister, mais ça vient forcément de nous. Le personnage qu'on va pas aimer, va parler de nous, on est tout le temps en fait dedans et négatif ou positif. Oui, ça vient forcément d'une confrontation avec un aspect de nous, d'une confrontation avec ce qu'on aimerait bien-être, des hypothèses, si j'étais ce genre de personne, qu'est-ce que je ferais. Donc ça passe toujours par la même moulinette qu'on travaille avec notre regard d'auteur, d'autrice qui va se nourrir aussi des rencontres qu'on fait. Mais on ne peut pas prétendre être, malgré le côté un peu magique de où j'ai perdu le contrôle, c'est peut-être l'inconscient ou autre chose, peu importe le nom qu'on veut lui donner, mais ça va quand même parler de nous d'une manière ou d'une autre, donc ça s'assume aussi.
Christelle Dabos. Et juste pour rebondir, ça me fait penser, encore un nouveau déclic que j'ai en direct, que finalement, il y a une connexion extrêmement directe entre amour et vérité. C'est-à-dire que lorsque les autres font tomber nos masques et toutes les histoires qu'on se raconte à propos de nous-mêmes et que ça on finit par lâcher, on revient finalement à ce qu'on est en fondamentalement et du coup nous ramènent à notre propre vérité. Et donc pour moi c'est l'amour et finalement la vérité, cette révélation de vérité c'est vraiment étroitement lié.
Ketty Steward. Et bien ce sera le mot de la fin. Merci avec tous et toutes d'ĂŞtre venus. Merci. Merci et merci pour les questions.

En cours de lecture

La surproduction peut-elle éteindre l'imaginaire ? Avec Stéphanie le Cam, Allan Dujiperou, Nicolas Marti, Fanny Valembois (Modération : Bénédicte Coudière)

Pour la première fois, La Ligue des auteurs pros et L'Observatoire de l'imaginaire seront réunis autour d'une question brûlante, qui touche l'écosystème littéraire de l'imaginaire francophone : fait-on face à une surproduction galopante qui nuit aux acteurices du milieu ?

Enregistré le 19/04/2025 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Avec Stéphanie le Cam, Allan Dujiperou, Nicolas Marti, Fanny Valembois (Modération : Bénédicte Coudière)

Transcription :

Bénédicte Coudière. Bonjour à toustes ! Alors petit disclaimer avant de commencer nous sommes ici pour la table ronde : “la surproduction peut-elle éteindre l'imaginaire ?”. Je me permets de le préciser car il y a deux conférences au même moment, et qu'il y a eu sur les réseaux sociaux un petit échange des salles donc voilà ! Si vous n'êtes pas là pour ce sujet il y a aucun problème, on ne vous en veut pas mais sachez que c'est de ça qu'on va parler aujourd'hui ; c'est maintenant ou jamais pour quitter la salle, après oui, c'est bloqué vous êtes là et vous n'aurez pas le choix.
Bienvenue à toustes et merci d'être là ! Merci d'être là sur le festival et dans la salle puisque maintenant on a déterminé que vous étiez bien là pour ce sujet. Nous allons donc parler de “la surproduction littéraire peut-elle éteindre l'imaginaire ?” et avec moi, aujourd'hui, j'ai (on va commencer par là, comme ça on fait dans l'ordre des gens qui sont assis) : Nicolas Marti, tu es créateur et éditeur des éditions Sillex, une maison d'édition qui cherche à replacer l'auteurice au centre du modèle éditorial. Nous avons Fanny Valembois, tu es spécialiste des démarches de décarbonation des organisations culturelles. Pierre-Marie Soncarrieu qui es… fondateur d'ImaJn’ère ?, président, voilà (excusez-moi c'est la seule fiche que je n'ai pas), président du festival ImaJn’ère qui est à Angers, tu participes aussi à l'Observatoire de l'imaginaire. Nous avons aussi Stéphanie Le Cam : tu es maître de conférence en droit privé à l'Université Rennes 2, tu diriges l'Institut des Sciences Sociales du Travail de l'Ouest et la Ligue des auteurs professionnels. Et nous avons Allan Dujiperou qui est fondateur de Fantastinet, il y a plus de 20 ans maintenant quand même, et tu es aussi à l'initiative de l'Observatoire de l'imaginaire.
Le thème aujourd'hui est donc “la surproduction peut-elle éteindre l'imaginaire ?” et pour commencer ce sujet, d'où vient cette surproduction ? Qu'est-ce qu'on peut en dire ? Est-ce qu'elle existe ? Est-ce qu’il y a moyen de la quantifier ? On va parler chiffres dans un premier temps, je pense.

Allan Dujiperou ?. Ah, il me laisse parler des chiffres [en parlant de Pierre-Marie].
La question de la surproduction, c'est une question qui touche tous les domaines et pas uniquement le domaine littéraire. Il faut se rattacher à des chiffres, et ça reste quelque chose qui est de l’ordre d’une perception de façon globale.
Au niveau de l'Observatoire de l'imaginaire, on observe les chiffres seulement autour de l'imaginaire et notamment ceux de la production. Ce qu’il est important de dire, c'est qu’en termes de chiffre d'affaires - parce que ça peut guider - le chiffre d'affaires est passé de 50 millions d'euros selon GFK en 2016 à 74 millions en 2023, ce qui veut dire qu'il y a quand même une progression assez importante du chiffre d'affaires, tout bêtement. Et en termes d'inédits adultes, on est passé·es de 900 en 2017 à 770 en 2023. Tout ça pour dire que déjà, on n'est pas forcément sur un emballement.
Il faut qu'on apporte une précision importante pour recontextualiser aussi : l'Observatoire de l'imaginaire s’appuie sur les modes d'édition classiques. Aujourd'hui, nous ne suivons que les éditeurices, dit·es traditionnel·les, donc les éditeurices à compte d'éditeurices, on ne travaille pas sur la partie auto-édition, sur la partie auteurice à compte d'auteurice ou participatif ou collaboratif, etc. Ce n'est pas par snobisme, je le précise, c'est juste que nous sommes toustes bénévoles et qu'à un moment, il faut qu'on arrive à suivre les choses, donc on s'appuie sur les bases de BDFI et nooSFere notamment. Voilà, je ne sais pas ce que je peux dire de plus. On peut le comparer aux chiffres qui ont été annoncés, dont on parlait tout à l'heure, en littérature globalement. Selon le SNE [Syndicat National de l’Édition], on a un passage de 111 503 parutions en 2022 à 104 304 en 2023. Donc aussi une tendance à la baisse de façon générale, mais qui doit être effectivement pondérée par rapport aux différents genres.
Bénédicte Coudière. Genres et types de publications.
Allan ?. Genres et types de publications effectivement. C'était le moment le plus boring. [rires]
Stéphanie Le Cam ?. Je prends la relève. Peut-être, pour remettre en perspective, parce que ce que tu dis est très juste : c'est que tu regardes la littérature de l'imaginaire et sur un temps relativement court. Si on dézoome un peu et qu'on regarde l'ensemble de la production éditoriale sur un temps plus long, c'est-à-dire depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ce qu'on constate c'est quand même vraiment une explosion du nombre de références. On estime sur la base de données Électre qu'on a fait +50% du nombre de titres entre 2000 et 2023, 2000 étant déjà en très très forte augmentation si on le compare à 1950. Alors, évidemment, au milieu du XXe siècle, on n'était pas du tout dans une situation de surproduction éditoriale, donc il y avait un intérêt réel à augmenter le nombre de titres ; d'ailleurs ça a boosté la croissance aussi en termes de ventes, etc. Par contre, et je m'arrête là pour l'intro, mais ce qu'on observe depuis les années 2010 c'est qu'il y a un découplage, c'est-à-dire qu'on continue à faire plus de titres, par contre on ne vend pas plus d'exemplaires. La machine est en train de...
En tout cas, en général, évidemment, je ne parle pas de l'imaginaire.
MDR c ki même ? Allan Dujiperou ? OK je parie sur Allan. Ça veut dire, probablement, que comme on a un chiffre d'affaires qui continue à augmenter on a plus de ventes ; mais par contre, on est sur des volumes qui sont plus importants comme tu le disais, donc moins d'exemplaires par titre. Effectivement, nous on étudie sur la durée de vie de l'Observatoire, puisque c'est des chiffres qu'on peut suivre et donc sur lesquels on peut avoir une constance. Je voulais réagir au côté surproduction. Si on avait le même chiffre d'affaires pour une continuité d'augmentation, on pourrait parler de surproduction. Là, on a quand même... Les gens continuent à acheter un peu plus. Après, il y a tous les enjeux écologiques, etc. Et les revenus des auteurices qui rentrent derrière.
Nicolas Marti. Alors plus qu'une absence de surproduction, je pense que ce qu'on montre, c'est qu'il n'y a pas d'emballement de la surproduction ou que l'emballement de la surproduction s'interrompt. Par contre, il y a une vraie discussion à avoir sur le fait qu'on est déjà dans une situation de surproduction, et ce depuis un bon 20, 30 ans. Et donc la question est un petit peu différente. Je suis d'accord que l'emballement, tous les chiffres le montrent, on est à -5%, je crois, sur la dernière année. -5%, à priori, c'est bien, ça veut dire que ça se calme. Mais en réalité, sur le global de ce qui est vendu et de ce qui est montré, sur la manière dont fonctionne, je pense qu'on aura l'occasion d'en reparler, le système éditorial, la manière dont on essaie d'inonder les tables de libraires, etc. il y a déjà une logique de surproduction qui est en place, pour le coup, de manière très systémique et sans grande difficulté.
Pierre-Marie Soncarrieu ?. C'est là où l'Observatoire de l'imaginaire est extrêmement prudent avec le mot : pour parler de surproduction, il faut que la production arrive à saturation d'un élément quantitatif. Or, pour l'instant, du point de vue de l'imaginaire, ce n'est pas le cas, le chiffre d'affaires n'est pas à saturation, il continue d'augmenter. Les maisons d'édition continuent à accepter, et donc continuent à produire, et les ressources nécessaires à ça, on peut en discuter, sont encore suffisantes. Ce qui veut dire que, du point de vue purement factuel de l'Observatoire de l'imaginaire, basé sur les chiffres, la surproduction n'existe pas. Après, il y a plusieurs biais qu'on a évoqués, qui sont la partie pour les libraires, quelle est la place disponible pour la vie de la nouveauté ? Il y a aussi le biais de “est-ce que cette production est suffisante pour permettre la vie d'un·e auteurice” ? Ce qui est compliqué à gérer. Ou alors la partie sur les auto-éditions, les micro-éditions, les éditeurices à compte d'auteurices qui sont des chiffres qui n'entrent pas dans nos chiffres.
Donc toute cette partie là, qui est hors de notre spectre, pourrait arriver à la surproduction. Cependant, et c'est là le point de départ de l'Observatoire de l'imaginaire, d'un point de vue purement factuel, chiffré, accessible à toustes, la surproduction n'existe pas.
Bénédicte. Alors c'est bien, ça me laisse une ouverture très factuelle sur la crise du papier d’il y a quelques années, qui a entraîné justement des problématiques liées à la production de livres de façon générale - et pas qu'en imaginaire, et, du coup, à l'impact écologique que peut avoir ce type d'industries qui est l'industrie du livre.
Fanny Valembois. Peut-être juste rappeler que ce n'est pas parce qu'on parle à la fois de surproduction, d'impact écologique, etc., que c'est forcément d’un point de vue moralisateur. On parle de données, de données physiques, de données économiques, etc. et on n'est pas méchant·e ou mauvais·e par essence parce qu'on a publié un titre, ou au contraire qu'on n'a pas publié. Donc voilà, juste dire, c'est des sujets qui sont complexes, on va essayer de les aborder avec un peu de nuances.
Je trouve intéressant ce que tu viens de dire sur le fait que le marché n'est pas saturé aujourd'hui, parce que c'est sans doute vrai, moi je ne connais pas bien le marché de l'imaginaire. Par contre, on peut observer ce qui se passe dans les autres segments éditoriaux, où le marché est saturé. Et avant de parler des impacts écologiques, on peut peut-être déjà regarder ce que ça veut dire en termes d'impact ne serait-ce qu'économique. Je ferais la passe à ma camarade Stéphanie juste après, mais ce que tu disais dans les autres segments, ce qu'on observe, c'est effectivement que le marché n'a pas su corriger. C'est-à-dire que pendant 60 ans, la manière de fabriquer de la croissance, c'était de faire plus de titres. Ça a très bien fonctionné. Les éditeurices ne sont pas des gens idiot·es, ils ne font pas de la surproduction parce qu'iels sont bêtes, iels font de la surproduction parce que pendant 60 ans, ça a façonné le marché, et qu'à chaque fois qu'iels sortaient un nouveau titre, iels créaient de la croissance.
Ce qu'on observe depuis 2010, c'est que ça ne marche plus, en tout cas pour la littérature générale, on va dire, et les sciences humaines, et que ce qui se passe maintenant c’est qu’à chaque fois qu'on fait un nouveau titre, ça baisse le tirage moyen. Et ça le baisse de manière très très spectaculaire parce que, dans les années 80, on était à 14 000 exemplaires vendus par titre. Aujourd'hui, on parle des tirages, on n'a plus les chiffres de vente moyens, on est à 4 700. Donc on a divisé par 3 le nombre d'exemplaires, dans les versions optimistes, vendues et, ce qui est directement connecté à ça, c'est la rémunération des auteurs et des autrices. Donc ça c'est quand même le premier point. Je ne dis pas que c'est ce que fait la littérature de l'imaginaire, je dis que : attention à ce moment où le marché va être saturé et où c'est important d'avoir imaginé et pour être capable de changer, il faut être capable aujourd'hui de se dire : comment j'arrive à faire de la croissance - si la croissance est mon objectif - autrement que par les volumes. Et c'est tout le problème de la filière aujourd'hui, c'est que l'industrie du livre, elle ne sait fabriquer de la valeur économique qu'en vendant un objet neuf. Et donc elle est dans un système industriel qui doit fabriquer des objets et les vendre neufs parce que sinon elle ne crée pas de valeur. Et tant qu'on n'aura pas trouvé une alternative à ça et qu'on n'arrivera pas à réimaginer des manières de créer de la valeur pour l'ensemble de la filière, on aura cette tentation de fabriquer plus d'objets. Voilà, je n'ai peut-être pas trop envie de monopoliser la parole, je ne sais pas si tu veux rebondir sur ce sujet là. Et je pourrais revenir après sur les autres sujets.
Stéphanie Le Cam. Moi, c'est vrai que je vais plutôt intervenir sur l'aspect rémunération des auteurs et autrices. C'est-à-dire que pour prolonger un tout petit peu et tirer le fil de la rémunération. (Je rapproche le micro, vous m'entendez.) Et bien, on a quand même noté une baisse colossale, entre 20 et 25% de rémunération depuis 25 ans maintenant de la rémunération des auteurs et autrices en lien avec le contrat d'édition. Évidemment, je ne parle pas d'auto-édition. Évidemment, je ne parle pas de toutes les activités connexes qui permettent encore de remplir le frigo. Mais très clairement, le premier retour qu'on a de nos membres, c'est qu'iels sont eux-mêmes contraint·es de multiplier les projets éditoriaux pour pouvoir s'assurer de vivre de leur activité d'auteurice toute l'année. Donc, ça veut dire que elleux-mêmes, et iels ne sont pas forcément très fièr·es de le dire, c'est assez tabou, mais elleux-mêmes participent en quelque sorte au mouvement de surproduction pour pouvoir rester en activité d'auteurice en sachant que c'est une activité extrêmement exigeante, qui demande une implication totale de son esprit, de sa force de travail, et que bien souvent, la pluriactivité vient ralentir le processus créatif, nous éloigne de notre public et donc, voilà, la surproduction devient à ce moment-là une sorte de solution de sortie pour rester en activité professionnelle.
Allan Dujiperou. Je pense que tout à l'heure, quand Pierre-Marie disait d'un point de vue factuel, il n'y a pas de surproduction, il ne fallait pas y voir une attaque. Le sujet était plus mécanique, de se dire qu’aujourd'hui, on a un certain nombre de parutions, on a un chiffre d'affaires qui continue à croître, donc, il y a une base de revenus, on va le dire comme ça, qui existe d'un point de vue éditeurice, auteurice, etc.
Effectivement, sur cette volumétrie-là (et c'est ce que tu précisais en disant qu'on a chuté par 3 le nombre de tirages), ça veut dire que mécaniquement, l'auteur, l'autrice, touche 3 fois moins. Je pense qu'il y a deux questions qui sont associées à ça, qui sont la surproduction et le risque écolo, etc., et je te rejoins sur le fait qu'il y a toute la projection et la multiplication qu’il y a eu depuis les années 50, et il y a la rémunération des auteurices. Nous, le point qu'on abordait simplement c'est “comment on définit cette surproduction ?” La surproduction, si on parle de surproduction par saturation du marché, ce n'est pas la vraie réponse aujourd'hui puisqu'on voit qu'il y a encore une marge de progression, et qu’il y a certains genres qui continuent de se déployer : on peut parler de la romantasy qui encore fait +117% entre 2023 et 2024. Et la question qu'il faut creuser maintenant c'est : comment on arrive à ce que les auteurs et autrices (et je pense que c'est ton combat et c'est le combat de nombreux éditeurices), peuvent vivre de leur plume avec ces contraintes-là ? Donc voilà je voulais juste re-situer la façon dont on avait répondu tout à l'heure, bien entendu on sait que pour les auteurs et autrices les revenus c'est quand même pas ouf, et qu'il y a énormément de travail à faire à côté. C'était simplement le fait de dire que si on regarde factuellement le nombre de parutions, on voit que ça baisse donc il y a un désemballement ; on va espérer que ça perdure un peu parce que c'est bien pour tout le monde. Et, le deuxième élément, qui est que, malgré tout : le chiffre d'affaires continue de progresser, de façon significative sur les littératures d'imaginaire, donc le marché n'est pas arrivé à saturation. Voilà c'était plutôt ça le propos.
Bénédicte Coudière. Justement ça m'intéressait de savoir ce que tu en pensais, Nicolas, sur ces questions de production, etc., toi qui a mis en place Sillex, qui vise, justement, à redonner un peu de place à l'auteurice.
Nicolas Marti. Moi, il y a deux observations. La première c'est qu'effectivement on parle de progression du chiffre d'affaires : alors c'est très vrai. Faut pas oublier que le chiffre d'affaires c'est une donnée qui n'intègre aucun coût en réalité. Or, les coûts ont explosé, et quand je dis explosé : pour vous rendre compte, nous, grosso modo, on vend nos ouvrages 25 euros, pendant très longtemps on faisait 25 euros frais de port inclus, parce qu'après tout pourquoi pas ? Aujourd'hui, si on fait ça, on va vraiment mettre la clé sous la porte dans l'heure en fait, ça n'est pas possible. On est sur une explosion des coûts de transports, entre 30 et 60% à peu près selon le transporteur que vous utilisez, le coût du papier à quasi-doublé, donc “les chiffres d'affaires augmentent” je pense qu'il y a une vraie adéquation à faire entre l'augmentation du chiffre d'affaires, telle qu'elle se présente, parce que les coûts des livres ont aussi augmenté. Si je prends vraiment strictement l'imaginaire, les ouvrages ont augmenté, en moyenne, de prix. Il y a quelques éditeurices qui font encore de la résistance et vraiment, c'est merveilleux, parce que j'adorerais pouvoir faire ça. Mais, d'une manière générale, on a tendance quand même à pousser un petit peu les prix, et les auteurices n’en bénéficient que très marginalement, on ne va pas se mentir. Et, d'autre part, sur ta question de comment est-ce que nous on gère ça : nous en général on publie un titre ou deux par an, et en fait là on arrive à saturation du modèle.
Pendant très longtemps on pouvait… Enfin, pendant très longtemps, non, pendant quatre ans, on s'est dit “OK, c'est jouable, on peut sortir un titre par an, le défendre à fond, essayer de faire en sorte que ça se passe bien”. Aujourd'hui, en fait, on est dans une situation très complexe où si on veut vraiment pouvoir maintenir le niveau de nos sorties il faudrait qu'on sorte, peut être, quatre voire cinq titres par an ; et je parle vraiment juste économiquement. Quelque part, moi, ça m'indique qu'il y a une logique derrière. Dernière observation, à propos de ce que tu disais : ça exclut l'auto-édition et je crois vraiment vraiment vraiment que la marge, comment dire, le volume de livres qui paraissent en auto-édition ne fait que croître. Pour le coup, tous les chiffres l'indiquent.
Pierre-Marie Soncarrieu. Alors je retire ma casquette “Observatoire de l'imaginaire” et je mets ma casquette “Comptable”, qui est mon vrai métier. [rires] Et tu as tout à fait raison : jusqu'à présent on parlait de chiffre d'affaires, chiffre d'affaires n'est pas bénéfices. Généralement, quand on parle d'augmentation du chiffre d'affaires, c'est-à-dire que ça prend en compte l'inflation, c'est vous, dans la salle, public, qui est capable de mettre plus d'argent dans les achats de livres. Vous êtes capable d'acheter plus de livres sur une année. Cela ne veut pas forcément dire que vous êtes capables d'améliorer le niveau de vie des auteurices. Ni même des éditeurices. Ni même capables d'assurer une pérennité pour les maisons d'édition. Ça n'est absolument pas la donnée.
Sauf que, le prix de vente du livre, bah c’est le chiffre d'affaires. Et, fort heureusement en France encore, les marges et les bénéfices des maisons d'édition, ça fait partie du secret des affaires et on n'y a pas accès. Donc juste sur la partie prix de vente des livres oui on n'est pas à saturation puisque il est encore possible d'augmenter, par un effet mécanique de l'inflation. Mais est-ce que ça permet la viabilité de tout l'écosystème ? C'est une autre question sur laquelle l'Observatoire ne se prononcera pas.
Stéphanie Le Cam. On n'en a pas avec nous aujourd'hui mais je pense que ça serait vraiment intéressant de se demander aussi ce que ça représente, ces questions, du point de vue des libraires. On parle de marges économiques : il y a une étude qui est sortie l'an dernier au moment des rencontres nationales de la librairie, une étude xerfi qui disait, en gros, que dans les deux ans, vu les projections économiques actuelles, toutes les librairies indépendantes seront déficitaires. Les petites dès l'année dernière, les moyennes cette année, les grosses l'année prochaine. C'était les prévisions économiques.
Ce qu'on voit actuellement c'est effectivement une grande tension sur la librairie, notamment indépendante. Il y a eu une étude extrêmement intéressante qui a été publiée à ce moment-là sur la diversité commercialisée en librairie, et ça dit aussi quelque chose de l'impact de cette surproduction sur le métier de libraire. C’est une étude qui portait sur 400 librairies si je ne dis pas de bêtises - 424 librairies, qui ont été étudiées sur 7 ans. Iels ont pris toutes les données de vente, toutes les sorties de caisse sur 7 ans, sur 400 librairies. Donc ça fait 350 millions de références vendues. Et, ce qu'iels observent, c'est que pour un libraire, sur cette période, en moyenne - j'essaie de trouver mon chiffre - juste sur les romans, toutes catégories confondues, il a manipulé 320 000 titres différents. Est-ce que vous imaginez ce que ça représente ? Et ça, c'est uniquement ce qu'il a pris en librairie. Ça exclut tout ce qu'il n'a pas pris en librairie. Dans ces 320 000, il y avait 37 000 nouveautés. Sur 7 ans. Imaginez.
On a tous cette expérience je pense, c’est une expérience qui touche les petites maisons que j'ai autour de moi, de dire que les libraires ne prennent pas mes livres. Il y a une association à laquelle je vous invite à adhérer, qui s'appelle l'association pour l'écologie du livre, qui a fait une petite étude qui dit, en moyenne, les jours d'office, c'est-à-dire les jours où les librairies reçoivent les nouveautés des éditeurs, on leur propose 313 titres chaque jour. Voilà, c'est ça la réalité d'un libraire aujourd'hui. Il y a 4 jours d'office par semaine. Donc, quatre fois par semaine, on leur propose 313 nouveautés. Est-ce que vous imaginez ? Est-ce que c'est possible, en fait, de lire ? Et de lire autre chose que les trucs mainstream hyper poussés par les gros distributeurs, par les grosses maisons d’édition qui ont des moyens, qui garantissent, etc. ? En fait, là, on commence à toucher à : je tue toute capacité d'intégrer de la diversité, de la petite maison d'édition, etc.
Fanny Valembois. Avec une baisse de lectorat en plus, ce qui est une vraie question, aussi, qui doit être prise au sérieux par toustes les acteurices de la chaîne du livre.
Stéphanie Le Cam. Et si on veut faire la transition avec les sujets environnementaux, petit quizz : la nouveauté qui arrive en librairie (les librairies indépendantes disent “une nouveauté, elle reste maximum 40 jours chez nous, mise en avant, maximum, après, elle repart”), sur cette nouveauté, en 4 à 12 mois, quelle part des livres qui arrivent en librairie, à votre avis, est renvoyée ? Je vais vous le dire tout de suite : c'est 62 %.
Et là, on touche à la fois à l'inefficacité économique de ce système et, évidemment, aux enjeux écologiques puisque non seulement on fabrique des livres qu'on va transporter, pour les retransporter, mais vous savez sans doute qu'une grande partie de ces livres va être pilonnée, donc détruite, pour faire des boîtes à oeufs.
Allan Dujiperou (presque sûr·e que c’est lui). Pour compléter ce que tu dis, ça a aussi une conséquence directe sur les éditeurices, parce que quand iels sont face aux taux de retour, iels découvrent, après coup, le clash économique. Et on a quelques éditeurices en imaginaire qui l'ont vécu un peu douloureusement ces dernières années. Donc voilà, on ne les citera pas, il y en a beaucoup qui les connaissent.
Fanny Valembois ? Et les auteurices aussi en pâtissent puisque, maintenant, on prévoit dans leur contrat d'édition des provisions sur retours ; c'est-à-dire qu'iels ne touchent pas la rémunération qu'on leur doit parce qu'on va anticiper ces retours. C'est de l'ordre de 30 %, sur plusieurs années. Donc en fait, personne n'y gagne j'ai l'impression.
Nicolas Marti. Je ne dirais pas “personne” [rires]. Je dirais qu'il y a quelques maisons d'édition qui organisent, d'une manière générale, cette saturation - alors “saturation” n’étant pas le bon mot dans ce contexte, je retiens la leçon - mais si vous dites que les nouveautés restent 40 jours maximum sur la table, imaginez : vous êtes une grosse maison d'édition, une très grosse structure, vous pouvez sortir, je vais vous dire n'importe quoi, 30 titres par mois et bien c'est merveilleux, vous avez tout le temps des ouvrages disponibles, toute l'année ; vous êtes une petite maison, vous sortez un titre et bien vous avez un créneau de 40 jours, donc vous avez intérêt à le faire fructifier, si vous l'avez bien entendu, si vous l'avez ! Donc effectivement il y a des maisons d'édition qui profitent et bénéficient de ça. C'est des maisons d'édition avec des beaucoup plus grosses structures, qui ont la possibilité d'entretenir ce qu'on appelle un tapis éditorial, un tissu éditorial, sur l'année complète.
Allan ou Pierre-Marie ? Je dirai Allan ?. Pour compléter ce que tu dis, et là on va rentrer aussi dans des chiffres qu'on a au niveau de l'Observatoire, on parle beaucoup du livre, de la chaîne du livre, etc., mais il y a aussi toute la chaîne presse. Alors, je n'ai plus le chiffre en tête, je crois que c'est 15% des livres vendus qui sont des livres d'imaginaire, par contre l'écho presse des titres d'imaginaire, dans la presse généraliste (je ne parle pas de la presse spécialisée) (vous verrez, c’est Muriel, à l'Observatoire, qui traite ce sujet-là), ça représente 4% des articles. Et à part quand il y a des cas comme Alain Damasio, on a quelques exceptions comme ça qui arrivent à surfer, à dépasser et à faire exploser les chiffres, mais sinon on est généralement sur des auteurs et des autrices mortes. En plus de ça, il y a une perte liée à la presse : on va se concentrer dessus. On a aussi des chiffres, de mémoire [ces grosses maisons d’éditions] c'est 60% des articles dans la presse généraliste : donc sur ces 4% [d’articles sur l’imaginaire], il y en a 60% qui sont sur des gros·ses éditeurices et pas sur des éditeurices spécialisé·es.
Donc voilà, tous ces éléments-là, c'est aussi la visibilité que peuvent avoir les littératures d'imaginaire sur le territoire et dans la presse généraliste. On va parler beaucoup plus facilement de l'anomalie, qui reste de l'imaginaire, mais chez un·e éditeurice mainstream plutôt que de quelqu'un·e d'autre. Et ça influe aussi sur les revenus, indirectement, puisque on perd cette visibilité : on perd la visibilité en librairie, on perd la visibilité en presse généraliste. Oui, on a des blogueur·euses, etc., qui font de la pub mais on reste à la marge sur nos activités.
Pierre-Marie ?. Sans parler de couverture médiatique, on parle de saturation du marché dans les libraires. Il ne faut pas oublier que l'énorme majorité des nouveautés, c'est pas forcément des inédits. Il y a beaucoup de fonds qui sont réédités. Je crois que l'année dernière, pour Dune, à l'occasion du deuxième film, il y avait six nouveaux livres sur le texte qui sont sortis quasiment en même temps. Ça fait partie de l'écosystème et ça amène donc à cette saturation puisque, au final, on ne rémunérera pas un·e auteurice qui est mort·e. Il y a toujours des droits pour les ayant-droits, mais qui sont beaucoup moins importants. Alors que les auteurices qui sont vivant·es, c’est elleux qui ont besoin de manger.
Stéphanie ?. Je suis évidemment complètement d'accord. Je rajouterai (je ne connais pas la littérature de l'imaginaire mais, en tout cas, en fiction classique) qu’il y a des livres qui ne sont pas des rééditions, c'est-à-dire qui sont des inédits, qui cependant sont des copies de trucs qui existent déjà. Ça existe, et c'est particulièrement visible dans les livres pratiques. Le 42e livre sur la cuisine à la plancha, le zéro déchet en famille, les machins comme ça, l’écoféminisme. Les libraires elleux-mêmes disent qu'iels n’en peuvent plus de cette littérature de reproduction. On l'a aussi beaucoup dans la littérature de jeunesse : le 42ème Petit Ours brun va au pot, etc.

Je ne sais pas dans quelle mesure ça existe ou non dans la littérature de l'imaginaire, ce phénomène de : “tiens il y a un truc qui marche, il y a un filon et on va y aller, on va en faire 50”. Moi ça m'arrive quand même assez régulièrement de lire un truc en me disant que j'ai l'impression d'avoir déjà lu ça quelque part.
Fanny ?. Pour compléter, et dans le prolongement de ce que tu viens de dire, la problématique de la mutualisation. C'est-à-dire que les petites maisons d’édition et les auteurices ont le même problème. Iels vont compter sur un titre, deux, allez peut-être trois, pour générer une rémunération suffisante pour subvenir aux besoins de la vie. Versus des grosses maisons d'édition qui vont compter sur le fameux : “je mets dix cannes à pêches, il y en a une qui va mordre et ça va permettre de rentabiliser les neuf autres”. C'est justement ce rapport à la mutualisation qu'il faut questionner. Il y a des règles.
Bénédicte. Oui parce que bon, lancer dix cannes à pêches c'est bien, mais au final il y a quand même dix auteurices.
Fanny ?. Exactement, oui c'est ça.
Nicolas. Et surtout on se rend compte, quand on est dans les coulisses et qu'on commence à discuter, que quand iels lancent dix cannes à pêche, iels savent lesquelles des neufs ne vont pas prendre. La réalité c'est qu'aujourd'hui on est dans une situation où, et je vais dire les termes, les primo-auteurices (donc pour les premiers romans), à moins d'avoir vraiment énormément de chance, parce qu'à ce stade on peut parler de chance
Bénédicte. Ou une communauté.
Nicolas. Ou une communauté. Mais du coup, si on a une communauté, on se tourne moins vers l'édition traditionnelle parce qu'il n'y en a pas besoin finalement. Ou qu'on peut s'adjoindre les services d'un·e éditeurice de manière plus indé, ou plus... Bref.
Donc les éditeurices, quand iels ont dix auteurices, iels ont neuf premiers romans et iels ont un... (Bon alors je vais pas prendre Damasio car c'est un mauvais exemple parce qu'on est pas dans le bon milieu, mais en littérature générale on va être sur un Hervé Le Corre par exemple, ce serait très bien.) On va un peu sacrifier les neufs sur l’autel des besoins : de préparer le terrain, d'avoir un maximum de disponibilité, et de visibilité. C'est très injuste mais ça s'oppose aussi à une discussion qui n'est pas inintéressante sur “si on dit qu'on réduit la production, est-ce qu'en réalité on va pas se concentrer sur des gens qui sont déjà déjà édités ?
Fanny ou Stéphanie ?. Après il y a la question du contrat, et sans vouloir faire un cours de droit (on n'est pas là pour ça), les dix [auteurices] vont vendre toute leur propriété intellectuelle, pour toute la durée de la propriété intellectuelle, pour toutes les exploitations possibles et imaginables et même inenvisagées encore actuellement, à un·e éditeurice qui n'en fera pas grand chose. Donc ça intéresse aussi les juristes parce qu'on se retrouve avec des auteurices qui sont complètement dépouillé·es de leurs droits de propriété intellectuelle pour une exploitation qui va durer 2 semaines quoi. Et effectivement, c'est là où on voit bien qu'il y a un problème d'équilibre des contrats et on essaye, nous, depuis 5 ans, d'obtenir un rééquilibrage. Et alors, attention, est-ce qu'on y parvient ? Non. [rires]
On n'a rien, on n'a aucune espèce de sortie positive. Le ministère de la Culture botte en touche systématiquement parce que, selon lui, les partis qui sont invités à la table des concertations collectives pour améliorer le statut des auteurices ne se mettent pas d'accord. Donc, en fait, il attend qu'on trouve une solution. Si vous avez des solutions, je les prends.
Stéphanie ou Fanny ? L’autre en fait. J'aimerais bien rebondir sur ce que tu disais. Je pense que c'est en partie juste quand tu dis que quand on en fait dix, en réalité, on sait un peu ce qui marche. Et en même temps je crois que (même si on sait que je ne suis pas là pour défendre les grands groupes) si vraiment, ils savaient ce qui marche, ils arrêteraient très probablement de faire ce qui ne marche pas.
Nicolas. Je suis entièrement d'accord, et c'est pour ça que je parlais de chance tout à l'heure. Vraiment, j'ai littéralement assisté à des conversations qui vont dans le sens de ce que je vous indique. [nom d’une maison d’édition censurée au montage], en fait, je vais être direct.
Fanny ou Stéphanie ?. Ce sera coupé au montage. [rires]
Nicolas. [rires] Oui, ce sera coupé au montage. Mais où grosso modo, la discussion, c'était, je cite : “non, mais ça, si ça ne marche pas, ce n'est pas très grave, ce n'est pas là pour ça”. L'expression, c'était ça : “si ça ne marche pas, ce n'est pas très grave, ce n'est pas là pour ça.”
Allan ou Pierre-Marie ?. Malgré tout, la tournure de la phrase dit : “si ça ne marche pas, ce n'est pas très grave”, ça ne dit pas : “on sait que ça ne marchera pas”.
Bénédicte. Oui, c'est aussi dire : sur un malentendu, ça passe. Enfin, c'est pareil.
Fanny ?. Et ça va prendre la place d'un livre concurrent, et c'est sa fonction aussi. Ça participe à l'invisibilisation du travail éditorial d'une autre maison d'édition qui va faire son travail proprement et vertueusement. Et c'est là où, justement, c'est une économie de la visibilité.
Stéphanie ?. Oui, mais j'ai l'impression qu'il y a aussi autre chose qui se joue. Parce que c'est quelque chose qu'on entend beaucoup, notamment chez les gros·ses [maisons d’édition], quand on commence à leur dire : “bon peut-être qu'il va falloir arrêter de faire 50 000 titres différents par an” et qui répondent immédiatement : “mais, enfin, vous n'y pensez pas, si on fait moins de titres on va tuer la bibliodiversité, la diversité, la création, machin”. Moi je trouve intéressant de dire que oui, on est d'accord pour tuer les créateurs et les créatrices, c'est-à-dire de pas les rémunérer, de pas les payer, mais par contre il faut protéger la création ; c'est intéressant quand même comme paradoxe.
Pierre-Marie ?. Ça fait écho à une table ronde qui a eu lieu l’année dernière, qui était celle sur les agents littéraires, ici [à l’Ouest Hurlant en 2024], et il y a cette question, en tout cas en France - c'est un avis que j'ai à titre personnel - le statut d'auteurice c'est un petit peu un miracle. Tout le monde a envie d'être auteurice et c'est un métier-passion. C'est pas grave si tu n’en vis pas, parce que quelqu'un d'autre viendra prendre ta place, parce que, ellui aussi, iel aura envie d'être auteurice.
Fanny ?. J'ai mille choses à dire [rires] En fait le problème c'est qu'on a cette logique romantique qui a la peau dure, celle que tu pointes, là, où d'un seul coup on est le génie au service de l'élévation du fond commun de la connaissance, et on va s'investir dans cette vocation qui est de créer, bon. Alors, oui, il y a sans doute des auteurs qui sont en robe de chambre dans leur appartement haussmannien, qui attendent l'inspiration le matin et puis parfois ça marche, parfois ça marche pas. Nous, on a quand même dans nos membres des professionnel·les qui sont investi·es dans des contrats, qui font des interventions en milieu scolaire, qui font des ateliers, qui font des résidences, qui ont cette posture professionnelle et qui ne sont pas payé·es. [Des gens] à qui on fait des commandes littéraires, à qui on demande de réaliser un travail vraiment peaufiné, qui mettent tout leur professionnalisme et qui ne sont pas payé·es pour leur travail de création. Donc vous voyez, il y a ça aussi. C'est vrai, tout le monde a envie d'être auteurice, - d’ailleurs, je crois pas en fait - et en même temps on s'est mis en tête que c'était pas un métier, alors que si, c'est un vrai travail de créer.
Bénédicte. Et il y a aussi cette posture : “puisque c'est passionnant, puisque c'est un métier passion, vous n'allez pas demander de l'argent pour faire ça quand même !”
Fanny ?. Oui, “il serait pas question, en plus, qu'on vous paye !”
Bénédicte. Il y a cette posture, presque romantique, là, de dire : “mais tu vas pas salir ta passion avec de l'argent quoi”.
Fanny ?. Ouais, enfin les éditeurices je pense que ça doit être passionnant leur métier, les libraires ça doit être passionnant aussi, celui qui transporte le livre d'un point A à un point B c'est passionnant aussi, et pourtant, tout le monde est payé sauf l'auteurice. [rires]
Allan ?. J'ai une petite question ouverte : aujourd'hui avec la multiplication des moyens de publier, je pense aux assez grands vecteurs d'écologie que sont Amazon et autres - évidemment, c'était du second degré, je précise quand même - aujourd'hui n'importe qui - je suis volontairement provocateur - ça donne l'impression que n'importe qui peut être publié, édité, et en fait que tout le monde peut le faire. Je pense à, et là on revient vraiment sur la chaîne du livre, tout ce qu'il faut faire pour protéger chacun·e des acteurices de la chaîne du livre. Aujourd'hui, ces éléments-là tendent à l'invisibilisation des professionnel·les, des auteurices professionnel·les, etc.
Pierre-Marie ?. Mais de la même manière qu'on parlait de commandes, ou du fait d'écrire toujours plus de manière à pouvoir en vivre un petit peu, c'est pas nouveau. Je pense notamment à Moorcock qui me vient en tête, qui disait qu'un livre sur deux, c'était de l'alimentaire. Lui il faisait un livre sur deux, c'est-à-dire un livre tous les deux ans. Et on n'en est pas à plusieurs livres par année. On arrive à une ubérisation du métier de l'auteurice où le but n'est pas d'écrire un roman mais de pondre une suite de textes. C'est pas très loin de Chat GPT.
Stéphanie ?. Exactement. Et justement, on n'a pas encore parlé d'intelligence artificielle.
Bénédicte. C'était ma prochaine question.
Stépahnie ?. C'est évidemment une crainte ! C'est évidemment une crainte, je veux dire, on a déjà des problèmes de visibilité du travail de création. Comme [l’I.A.] ne coûte rien, c'est facile de commander plein de textes, et puis ensuite de voir si on produit ou pas. Et puis Chat GPT. Et là qu’on se dit : “OK, qu'est-ce qu'on va faire ? C'est quoi, l'étape d'après ?”.
Je crois qu'Amazon a limité à 3, par auteur et par jour, le nombre de dépôts de manuscrits. Bon, moi je ne sais pas qui écrit à cette vitesse, mais 3 romans par jour c'est quand même fascinant.
Nicolas. Après Petit ours-brun, on en a parlé, ça doit être jouable [rire] ça doit être jouable ! [rires]
Bénédicte. Il faut les illustrer par contre !
Nicolas. Sans les illus ! [rires]
Stéphanie ?. Ce qui me fait peur avec l'intelligence artificielle c'est que, finalement, ça risque de pousser à son paroxysme deux effets qu'on a déjà nous dans le secteur du livre, à savoir : précarisation des auteurices et invisibilisation des titres (parce qu'ils ne sont pas assez exploités et ne permettent pas de produire suffisamment de revenus pour l'auteurice). Avec l'I.A., l'invisibilisation va être encore plus importante et puis la surproduction, ou plutôt l'apparition de contenus synthétiques qui viendront invisibiliser le travail humain.
Bénédicte. Et le vol des données.
Nicolas. Oui, sans parler de la propriété intellectuelle, on est bien d'accord.
On va changer de sujet, mais pour revenir rapidement sur ce qu’on disait sur la professionnalisation et la manière dont on traitait les auteurices de manière non professionnelle. Je trouve que, particulièrement en imaginaire, hot take, absolue hot take, on a tendance à effacer les limites de ce qui est du professionnel et du non-professionnel. On parle d'un milieu dans lequel on signe des contrats dans des bars [rires]. C'est un problème, je vais être très clair c'est un problème.
Bénédicte. Ou on entend des “t'inquiètes”. Quand tu dois signer le contrat “t'inquiètes”.
Nicolas. C'est ça ! Vraiment, je pense qu'il faut se rendre compte aussi que l'imaginaire, comme c'est d'abord et avant tout cette notion de littérature-passion, d’ailleurs encore plus dans l'imaginaire, on va se dire que, c'est vrai, on peut abolir toutes les limites du professionnalisme, on peut discuter comme ça au coin d'une table, on peut signer des contrats bourré·es, … Mais non, enfin, merde.
Stéphanie ou Fanny ?. Ça c'est hyper intéressant.
Allan ou Pierre-Marie?. Oui, enfin ici on est parfois aussi sur du vécu ; j'ai pas de souci avec ça mais, sur ces éléments-là précisément, il faudrait être très factuel, comparer les contrats qui sont proposés par les éditeurices d'imaginaire et les autres. Je ne remets pas en cause [les propos tenus], je dis qu’ils demandent à être confirmés : par exemple, savoir si les taux de paiement des auteurices sont plus ou moins importants au niveau de l'imaginaire versus les autres.
Nicolas. C'est moins sur la teneur des contrats que sur la manière dont on abolit le côté professionnel. C'est plutôt ça.
Allan ou Pierre-Marie ?. D’accord, d’accord. Parce que si dans le même temps on le trinque au bar et que l'auteurice touche deux points de plus que ce qu'iel aurait touché chez une maison d’édition mainstream, c’est peut-être pas si grave. Tant que l'éditeurice est plus bourré·e que l'auteurice, ça marche. [rires]
Stéphanie. Alors, justement, pour prendre un peu de hauteur, nous, à la Ligue des Auteurices Professionnel·les, on a une permanence juridique. On reçoit pratiquement 400 demandes de consultations juridiques par an, pour vous dire, dans tous les secteurs confondus. À la question de savoir si les contrats sont anormalement ou principalement déséquilibrés dans le domaine de l'imaginaire, la réponse est : c'est des contrats-type. Des contrats qu'on retrouve dans tous les secteurs. Et en fait ils sont globalement déséquilibrés oui, puisque c'est des cessions, globalement pour toute la durée de la propriété intellectuelle, contre des taux qui sont globalement de 7%, en moyenne, pour les auteurices, avec des durées d'exploitation qui ne correspondent pas à la durée de cession des droits.
Bénédicte. Et avec des clauses qui peuvent être abusives, sur lesquelles on peut négocier derrière, mais qui sont mises de base à l'intérieur des contrats.
Stéphanie. Des packs de préférence, des levées d'options, des petites choses très sympathiques qui peuvent même menacer la sécurité juridique des auteurices.
Bénédicte. Est ce que je peux juste demander de préciser pour le public ce que que signifie ces termes-là ?
Stéphanie. Alors “packs de préférence” : vous signez votre premier ouvrage avec un·e éditeurice qui va éventuellement vouloir vous avoir pour les autres ouvrages. Donc iel va vous demander de lui garantir, en quelque sorte, une forme de priorité, soit pour cinq ouvrages, soit pour cinq ans ; ça dépend du secteur d'activité. Et généralement, quand vous signez, ça veut dire que les autres contrats seront à l'identique du premier pour les cinq prochains ouvrages ou les cinq prochaines années. Ce qui a tendance quand même à maintenir l'auteurice dans une relation contractuelle qui n'est pas forcément satisfaisante. Et pour ce qui concerne la levée d'options, alors ça c'est ma préférée en droit ; c'est pour vous dire : “je vous commande un ouvrage, mais je vais estimer si je prends le risque de le publier au moment où vous me remettrez l'ouvrage. Si je publie l'ouvrage, tout se passe bien ; si, en revanche, je décide de ne pas publier l'ouvrage, dans ma grande bonté, vous pourrez garder votre avance au titre de dédommagement. Mais il est évident que si vous publiez l'ouvrage chez une autre maison d’édition, vous me rembourserez cet argent que je vous ai avancé”. Donc les levées d'options c'est extrêmement casse-gueule, et il faut faire très attention quand on signe son contrat. Et si vous avez besoin d'une petite formation en droits d'auteurices, tout à l'heure, à 14h, on propose une petite masterclass. Je fais notre promotion. [rires]
Bénédicte. J'allais le dire, tu le fais mieux que moi. Tu voulais ajouter quelque chose ?
Allan ou Pierre-Marie ?. Non non, ce que tu dis finalement c'est que dans le monde de l'imaginaire c’est ni plus, ni mieux qu'ailleurs, c'était plutôt ça que je voulais dire.
Stéphanie ?. Après il faudrait voir à effectivement aller chercher plus finement des résultats. Et peut-être que l'Observatoire pourrait justement, avec des partenaires, avec des acteurices comme les organisations professionnelles que nous sommes, aller un peu plus loin avec des contrats à l'étude. Il y a en tout cas, dans le domaine du livre, des relations pseudo-amicales qui font qu'en effet c'est compliqué de négocier son contrat. D'abord, vous prenez, en l'état, le contrat : souvent, en plus, on renvoie à l'idée que : “c'est le contrat standard, c'est le même contrat pour tout le monde, et ça vient du service juridique, et puis tu comprends moi je suis pas juriste” et ça, ça revient souvent.
Bénédicte. Et puis je pense que, Nicolas, tu pourras nous en parler mais il y a aussi un côté propre à la France : on ne parle pas d'argent.
Stéphanie. Ah oui, c’est tabou.
Bénédicte. Et, de ce fait, les auteurices ne vont pas forcément discuter de leurs contrats et notamment des pourcentages de vente avec d'autres auteurices, pour se rendre compte qu'il y a un déséquilibre.
Stéphanie. Moi je donne des formations à la négociation contractuelle. Généralement, après, les auteurices repartent boosté·es, et la première chose qu'iels font c'est d’appeler leur éditeurice pour leur dire : “ça va pas”. [rires] Bon je leur dis quand même : “calmez-vous”. Mais il y a vraiment cette idée que l' on ne peut pas négocier. C'est à prendre ou à laisser, c'est un contrat d'adhésion. Alors que non, on peut contre-proposer des choses, au risque de se prendre une porte mais tant pis.
Pierre-Marie ou Allan ?. Et ça rejoint, je reviens sur ma table ronde de l'année dernière, sur l'idée d’avoir des agent·es qui s'occupent d'auteurices, puisqu’iels ont accès à l'ensemble des chiffres de toustes les auteurices de leur pool. Et donc iels sont capables de négocier au plus juste, ça ne peut pas forcément dire bien, mais au plus juste selon ce qu'iels ont. Et, par contre, c'est aussi la raison pour laquelle en général les maisons d'édition, surtout les grosses, sont contre les agent·es parce qu'en face il y a des gens qui ont du répondant et qui vont à l'encontre des clauses abusives.
Stéphanie. L'agent·e est bien quand, effectivement, on se sent incapable de négocier soi-même, même si c'est pas très à la mode en France (alors qu'aux États-Unis, vous ne pouvez pas bosser si vous n’avez pas d'agent·e, c'est comme ça). Cela étant, moi je suis quand même assez militante, et je défends l'idée qu'on doit se professionnaliser. On doit être dans une posture professionnelle. Je compare parfois les auteurices aux plombièr·es. Moi, avec mon plombier, quand j'ai besoin d'avoir un devis, je veux dire, ça se fait pas au bar à 23 heures. Je lui dis pas : “non mais attends, fais-moi confiance, je vais t'inviter au baptême de mon fils”, parce qu'on a vu des relations pseudo-amicales pourrir la négociation du contrat. On est dans une posture professionnelle. Combien vaut mon travail ? Voilà. Personne n'est foutu d'identifier le prix de son travail, parce que c'est un gros mot, en fait, de parler d'argent. Alors qu'on y passe du temps, on s'est formé·es, on a fait des études, on a fait de la recherche, et tout ça, ça a une valeur. Et cette valeur, elle est complètement invisibilisée.
Allan ou Pierre-Marie ?. Mais ça aussi, ça rejoint le fait et le biais de : la plupart des auteurices ne sont pas des auteurices professionnel·les. Iels ont une autre vie professionnelle à côté. Et la plupart, le moment où iels deviennent auteurices, c'est le Graal, donc on accepte pour pouvoir l'être.
Bénédicte. Mais c'est le serpent qui se mord la queue au final. Parce que le fait de pas pouvoir avoir de vraies rémunérations ou d'avoir une précarisation des auteurices fait qu'on est obligé·es d'avoir un travail à côté, fait qu'on n'est pas forcément au courant [de manière professionnelle] et on finit par se mordre la queue sur pas mal de trucs.
Nicolas. J'interviens en tant que maître de conférence à l'Enssib à Lyon qui est finalement une école d’éditeurices. Assez fréquemment quand j'interviens - donc moi, j'interviens sur la notion de propriété intellectuelle, et je suis leur seul cours de propriété intellectuelle donc iels m'ont, on va dire, huit heures au total dans l'année pour que je leur explique un petit peu ce que c'est que le droit d'auteur - et souvent iels le découvrent. Donc il y a un problème de professionnalisation des auteurices mais je pense que sur certaines petites structures éditoriales il pourrait être intéressant d'avoir une professionnalisation des éditeurices également.
Pierre-Marie. Dans l'association imaJn’ère, on fait des cycles de conférences universitaires chaque année. L'année dernière, c'était sur l’intelligence artificielle dont on pourra parler plus longuement et le premier biais qu'il y avait c'était la culture anglo-saxonne qui arrivait en France. En France, la plupart des gens, quand on parle droits d'auteurices, pense copyright. Ce qui n'a strictement rien à voir, de fait. Il y a donc des personnes qui se disent : “mais moi, mon livre, c'est un copyright sur mon truc”. Mais ça n'a rien à voir parce que le droit français est un peu invisibilisé par rapport à ce qu'on a l’habitude de voir. L'exactitude du droit, c'est vraiment une spécificité le droit de la propriété intellectuelle, c'est une spécificité française, je crois pas qu'elle existe ailleurs.
Bénédicte. Ah si.
Stéphanie. Si quand même. Il y a une convention de Berne qui a été mise en place pour défendre une base de droits d'auteurice au niveau international, après oui il y a des variantes. Nous, on a le droit d'auteurice à la française, qui a beaucoup influencé les différents états de l'Union européenne ; on a d'ailleurs une législation européenne qui maintenant organise un cadre européen pour la protection des auteurices. Et puis, effectivement, il y a le copyright américain mais qui a quand même des points de contact avec le droit d'auteurice.
Stéphanie ou Fanny ?. Puisque le sujet c'est cette question : “est-ce qu'on peut tuer les imaginaires”, un·e des acteurices de la chaîne dont on n'a pas parlé c'est les lecteurices et il faut se demander quel est l'effet de la surproduction, ou de l'absence de surproduction, ou en tout cas du modèle de production actuelle, sur les lecteurs et les lectrices. Est-ce qu'on est dans un système qui fabrique des livres, ou est-ce qu'on est dans un système qui fabrique des lecteurices et de la lecture? Je ne suis pas sûre qu'on mette énormément d'énergie aujourd'hui à fabriquer des lecteurs et des lectrices, ça m'intéresse du coup d'entendre comment on fait pour fabriquer des lecteurs et des lectrices. J'ai l'impression que c'est très pris en charge par l'école, par la bibliothèque, etc., qui sont des secteurs non-marchands, et moi je serai assez intéressée de savoir comment le secteur marchand inclut cette question-là, fabriquer de la lecture.
Nicolas. Il y avait les journées mondiales de l'écologie du livre qui se tenaient à Strasbourg, littéralement juste avant l’Ouest Hurlant. Et lors d'une conférence, je crois que c'est l'intervenant de “Recyclivre” qui a dit quelque chose que je trouvais très juste : en ce moment, il y a des interventions, notamment au salon du livre, sur le fait qu'on devrait instaurer un droit sur la vente du livre d'occasion, pour rémunérer mieux les auteurices. Mais peut-être qu'avant de se poser cette question là, il faudrait se poser la question de comment est-ce qu'on fait en sorte que les gens lisent plus, tout simplement. Parce que c'est ça qui booste les ventes, en réalité, bien plus que de remettre en question le circuit d'occasion.
Allan. Je suis totalement en ligne avec ça. Comme tu le disais en plaisantant tout à l'heure, ça fait 25 ans que Fantastinet existe, ImaJn’ère existe aussi depuis un certain nombre d'années. Je pense que ces actions-là, aujourd’hui, ne peuvent venir que d’un tissu associatif. C'est-à-dire que l'école a atteint ses limites sur les sujets, sur les missions qu'on lui donne. Je pense qu'aujourd'hui, le seul moyen qu'on a, et c'est ce qu'on avait déjà dit lors des états généraux de l'imaginaire en 2017, c'est que les amateurices de littérature, et de littérature d'imaginaire en particulier, descendent dans l’arène, montent des clubs de lecture, organisent des rencontres avec les auteurices sur les différents secteurs. On crée des lecteurices parce qu'on crée de la passion. Et aujourd'hui, les collégien·nes, les étudiant·es et même les adultes n'ont pas les outils, n'ont pas forcément la connaissance, n'ont pas le réseau pour être conseillé·es. Nous, on a monté, avec l’asso Fantastinet, un club de lecture à l'université du Mans. On a eu 15 personnes qui n'étaient pas de l'université. C'est aussi un moyen de redonner goût à la lecture. Je ne pense pas qu'on arrivera simplement avec un travail éditorial, un travail de communication à le faire. Il faut que ceux qui aiment y aillent, en fait.
Pierre-Marie. C'est le Monde qui a publié une étude en disant que 2024, c'était la première année où le temps passé à la lecture était en baisse. Par rapport à avant ?
Stéphanie ou Fanny ?. Oui, c'est tous les ans, c'est un effondrement, la lecture.
Pierre-Marie. La France est quand même parmi les 10 premiers pays européens où il y a le plus de temps consacré à la lecture ; mais effectivement on a perdu quelques places. C'est le tissu associatif qui fonctionne, comme tu le dis. L'association imaJn'ère est en lien avec avec les universités, avec les bibliothèques. On monte des clubs mais la moyenne d'âge des personnes qui viennent ne va pas en rajeunissant.
Stéphanie ou Fanny ?. C'est 32% des jeunes de moins de 16 ans, qui lit tous les jours ou presque tous les jours. C'est 26 minutes par jour, en moyenne, par jeune. Enfin je veux dire 26 minutes quoi, le temps de concentration.
Nicolas. Et quand on fait la projection, si on se base sur les dernières années, en 2030 on ne lit plus du tout.
Stéphanie ou Fanny ?. Voilà c’est ça. On ne lit plus.
Stéphanie ou Fanny ?. Et ce qui était intéressant à voir dans cette étude, c'est qu’il y a un effondrement des populations plus âgées, qui étaient les populations qui résistaient, et - c'est sans doute moins vrai dans l'imaginaire, je ne sais pas - en tout cas, pour le vaisseau-amiral de l'édition qui est la fiction classique, clairement, les acheteurices sont en train de disparaître. Il y a celleux qui meurent, il y a celleux qui arrêtent de lire, et peut-être qu'à un moment, il va falloir que le secteur s'interroge sur comment on retrouve des lecteurices.
Pierre-Mallan ?. Rapidement : on a fait une étude de lectorat dans le cadre de l'observatoire de l'imaginaire, sur le lectorat d'imaginaire, c’est disponible en ligne. Allez découvrir quel type de lecteur ou de lectrice vous êtes !
Stéphanie. C'est intéressant, parce que - je vais retirer le fil du livre d'occasion - là, c'est très actuel : on a vu le SNE et le Conseil Permanent des Écrivains s'émouvoir devant le président Macron et devant la ministre Rachida Dati, sur l'idée que le livre d'occasion, c'était le mal incarné, qui allait empêcher aux éditeurices et aux auteurices de remplir le frigo. Bon, en tout cas, côté Ligue des Auteurices Professionnel·les, c'est absolument pas ce qu'on dit. Bon, si vous voulez vraiment vous en faire sur la capacité des auteurices à être rémunéré·es, intéressez-vous aux 90% du marché du livre neuf et au partage de la valeur, s'il se fait bien, là, à ce moment-là, peut-être un jour, on s'inquiètera du livre d'occasion. Au-delà de ça, face à la chute historique du nombre de lecteurices, à un moment donné, si les gens vont vers le livre d'occasion comme dernier moyen d’accéder à la lecture, on ne va pas, en plus, les taxer. Enfin, je veux dire, ça n'a pas du tout de sens. Donc, je crois que je suis ravie d'entendre à chaque fois Fanny redire que c'est des modèles économiques nouveaux qui va falloir inventer, imaginer. Et donc, je me réjouis par avance que, voilà, il y a des expériences qui sont lancées, on verra ce qu'elles donneront, mais...
Bénédicte. Alors, je suis entièrement d'accord. Cette table ronde est passionnante. [rires] On est d'accord. Il reste moins de 10 minutes, aussi, même si les échanges pourraient durer encore très longtemps, je vous propose qu'on prenne quelques petites questions du public.
Question 1. La question justement sur les livres d'occasion, puisque quand je vais acheter des bouquins sur un vide-grenier, j'ai l'occasion d'acheter un bouquin 5 balles par rapport à un bouquin que je vais payer 25 euros chez Leclerc ou chez un éditeur local. Honnêtement, je n'ai pas le budget pour mettre 30 balles ou 25 balles à chaque fois dans un bouquin. Et derrière, les 5 balles que je vais filer, je ne vais pas les filer à l'auteur. À la personne qui a écrit le livre, je ne sais même pas si ça peut être une intelligence artificielle, malheureusement. Donc c'est la difficulté de l'édition en occasion et aussi la question de l'édition numérique. Puisque j'ai des amis qui écrivent et mais qui n'éditent que sur Amazon parce que ça leur coûte rien mais ça leur permet d'être diffusé à petite échelle et je n'ai aucune idée des revenus que ça peut générer pour la personne qui écrit.
Fanny ou Stéphanie ?. En l'occurrence l'édition d'occasion ne génère aucune rémunération puisqu'il sort du schéma classique qui consiste à calculer le pourcentage sur le prix public hors taxes. Le livre d'occasion est revendu donc il n'y a plus de droits à rémunération sur livre d'occasion. Voilà, il n'y a pas de rémunération.
Bénédicte. Alors on va essayer de faire une question un homme, une femme, un homme, une femme pour que la parole soit le plus facilement diffusée.
Question 2. Bonjour merci à tous pour vos interventions alors moi ma question c'était, on n'a pas vraiment parlé de l'édition numérique et de justement, c'est à la fois un travail d'édition qui est peut-être un peu différent, un mode de consommation de lecture qui est différent aussi donc sur l'aspect de lire plus ou pourquoi est-ce qu'on lit moins et sur quel support, donc je ne sais pas si vous avez des choses à ajouter là dessus.
Nicolas. Alors, je vais donner l'exemple de Sillex parce qu’on vend et en numérique et en physique. Nos livres physiques on les vend 25 euros, c'est le prix public, prix unique du livre, etc. Et les livres numériques on les vend à 8 euros. Je pense que, par ouvrage, on vend à peu près 400 exemplaires physiques, et de l’autre côté, allez si on vend 20 exemplaires numériques c'est le bout du monde. Donc il y a une progression de la consommation numérique, ça je ne le nie pas. Allan ou Pierre-Marie pourrait le confirmer ou non, mais ça reste vraiment très marginal. Par contre, je suis d'accord que ce qu'on intègre pas dans les chiffres de progression de la lecture, etc. c'est des lectures un peu moins traditionnelles, si j’ose dire. Je vois le développement ces dernières années du webtoon par exemple qui ne fait qu’exploser enfin on est sur des chiffres qui sont démentiels. Enfin là, pour le coup, Bénédicte, je pense que tu confirmeras.
Bénédicte. Oui totalement ; mais qui de base était une édition numérique à l'origine et qui est passée en papier, donc qui possède un format qui est fait pour le numérique.
Nicolas. Mais du coup, ça fait partie de ces modes on va dire nouveaux, de cette consommation nouvelle de lecture qui n'est pas inintéressante à observer.
Allan ?. Juste deux chiffres qui peuvent vous intéresser. En 2017, 2% des parutions étaientt en numérique seulement, sans compter celleux qui font du broché plus du numérique. En 2023, c'était 1% de numérique seul, donc ça veut dire qu'il y a toujours la double publication générale. Je vous rappelle qu’on parle toujours des éditeurices traditionnel·les, j'insiste parce que c'est important.
Par contre, on ne parle pas d'un autre sujet qui est le livre audio, qui avait 102 parutions en 2017, 230 en 2021 et 200 en 2023, c'est-Ă -dire qu'on a quand mĂŞme une progression relativement forte aussi du livre audio.
Question 3. Bonjour, déjà merci pour ces échanges très intéressants. Deux remarques, la première, vous parliez de comment fabriquer des lecteurices. Je travaille en bibliothèque, donc je peux donner modestement un élément de réponse qui est qu'on essaie surtout de valoriser toute forme de lecture, donc ça inclut les webtoons, les mangas et la littérature d'imaginaire qui est très lue par les jeunes. Mais en même temps, il y a un peu un recul,, on a du mal à en acheter parce qu'on préfère acheter de la fiction un peu plus “noble”. Donc il y a cette espèce de paradoxe-là où en fait, ce qui fait lire les jeunes, ce n'est pas forcément ce qu'il y a le plus mis en avant dans certains fonds. Donc c'est très compliqué et il y a aussi ce paradoxe de, on lit moins de fiction, mais la lecture n'a jamais été aussi importante. C'est-à-dire que j'ai des collègues qui suivent des gens qui ne savent pas lire. Et c'est l'horreur, c'est-à-dire que si vous voulez un compte sur un réseau social, il faut savoir lire, sinon c'est impossible. C’est cette espèce de paradoxe : la lecture n'a jamais été aussi nécessaire, mais on lit moins de fiction, c'est très bizarre. Et l'autre question que j'avais c'était : est-ce que l'explosion d'internet et le fait qu'on soit au courant de ce qui se fait ailleurs, d’une forme de mondialisation de l'imaginaire, ça ne participe pas à la surproduction ? Parce qu'on va importer beaucoup de fictions américaines, mais aussi d'autres pays où ça s'ouvre petit à petit. Alors ça est une très bonne chose, mais du coup est-ce que ça participerait pas aussi à saturer le marché ?
Stéphanie ou Fanny ?. Je veux bien rebondir sur la question de la lecture, et puis je vous laisse ensuite répondre sur la partie qui concerne les questions d'importation et de surproduction. Le rôle des bibliothèques est vraiment essentiel, cœur sur vous les bibliothécaires ! [rires] Ce qui m'interroge, moi, c'est dans la dimension marchande de l'industrie du livre, et j'utilise souvent une image, un paradoxe qui est un peu provoc mais bon : pour l'industrie du livre, si tout le monde là aujourd'hui se mettait à acheter deux fois plus de livres, mais parce qu'on n'a plus de bois et qu'on va les brûler dans les cheminées, ça marcherait hyper bien. Et si là, toustes, on se met à lire deux fois plus mais qu’on ne va que dans les bibliothèques, ou qu’on se prête des livres entre nous, le système s'effondre. Donc, en fait, la lecture n'a aucune valeur économique dans l'industrie du livre. Que les gens lisent ou non, ça n'a pas de valeur économique. Et donc le fond de ma question c'est comment on arrive à inventer des nouvelles manières de faire où, en fait, ce qui crée de la valeur, c'est pas de produire des objets, c'est que les gens lisent des œuvres. Et c'est pas simple, une fois qu'on a dit ça.
Nicolas. Pour le coup, et là l'Observatoire a des chiffres là-dessus, il y a une explosion de ce qu'on appelle les beaux livres, donc des éditions collector, ça va effectivement à 200% dans cette direction là, qu'aujourd'hui la lecture a très peu de valeur. Donc maintenant on cherche à pousser en avant des objets-livres. On est en mode : “il faut que vous ayez des jolies bibliothèques, et, à la limite, ça nous suffit, en tant qu'éditeurices”. Et ce n'est pas tout à fait faux. Moi je suis toujours heureux d'avoir des échanges avec les lecteurices, mais si vous venez me voir et que vous me dites : “j'ai piraté votre bouquin, franchement il était fou !” je vais être content d'une certaine manière, mais je vais aussi être un petit peu triste. [rires]
Bénédicte. Nous avons des chiffres.
Pierre Mallan ??? Alors, pour répondre à la question sur les bibliothèques, dans le cadre des Mycéliades, j'ai fait une rencontre professionnelle pour expliquer à l'ensemble des bibliothécaires ce qu'étaient les littératures d'imaginaire et les leviers pour les faire découvrir et les approcher. Encore une fois, je pense que les réseaux associatifs peuvent aider les bibliothécaires à puncher le truc. Même si j'ai aucun doute sur le fait que vous le fassiez vous-même, bien sûr. La part de francophone, dans un premier temps, même s'il y a une baisse depuis 2017, on est passé de 59% à 51, mais 51% de la production en nouveautés est française. Et je crois que c'est une particularité du monde de l'imaginaire qu’on retrouve dans tous les pays, c'est-à-dire qu'on a toujours une prédominance de l'imaginaire local sur l'imaginaire international. Donc ça c'est pour répondre à la question sur les imports. On est dans les mêmes mécaniques, je pense, que le cinéma. Et en termes de beaux livres (j’ai les chiffres aussi, t’as vu ?) : en 2017, on a 6 beaux livres, reliés, collectors (alors après je vous laisse définir ce qui est un beau livre ou non), en 2024, on en a 183. Et en 2023 c'était 106, on est à 180% d'augmentation.
Bénédicte. Sachant qu’on voit aussi une énorme augmentation de tout ce qui est jaspage et compagnie parce que technologiquement parlant, on y a beaucoup plus d'accès qu'en 2017. Ce qui contribue à faire de beaux livres en fait.
Et juste la minute écolos mais l'adm notamment, mais pas que, à publier des études sur le cycle de vie d'un livre c'est à dire regarder sur l'ensemble de sa vie, production fabrication transport usage fin de vie. Qu'est-ce qui est le plus polluant sur plein de critères, les émissions de gaz à effet de serre, l'usage de ressources naturelles métalliques, la pollution de l'eau, la pollution de l'air tout ce qu'on veut. Et de très très très très loin c'est la phase de fabrication du livre qui a le plus d'impact. Donc la question c'est bien sûr comment on fabrique mieux et donc effectivement est-ce que l'anoblissement les jaspages les vernis les pelliculages les paillettes les machins est-ce que c'est mieux disant écologiquement ou est-ce que c'est juste mieux disant parce qu'on va te vendre plus cher etc et ensuite comment fabrique moins Parce que la vraie question, c'est ça.
Et parce que du coup, petite précision, quand vous, comme je vous disais tout à l'heure, il y a une explosion des prix, par exemple le prix du papier à exploser. Et donc, en fait, quand vous vous trouvez dans une situation où pour avoir le même ouvrage qu'avant, vous payez le double et qu'on vous dit, du coup, par contre, il y a des choses qui n'ont pas évolué, par exemple, le prix des vernis sélectifs, vous les mettez. Alors qu'avant, vous ne les mettez pas. Parce que du coup, vous vous dites quitte a déjà payé énormément en transport, énormément en papier, autant que ce soit un beau livre pour effectivement pouvoir le vendre un peu plus cher ou le qu’à échéant.
Alors, vu l'heure, on va prendre une toute dernière question. Et s'il y a une femme qui vous pose une question, sinon, je vois toujours rien, donc allez-y, je vois rien du tout. Sinon, allez-y, franchement, une dernière question.
Merci beaucoup, merci beaucoup pour la table ronde. Vous en avez un tout petit peu parlé. Je voulais savoir s'il y avait des équilibres à repenser entre le grand format et le poche, que ce soit pour des enjeux de production ou des enjeux de prix.
Je ne sais pas s'il faut des équilibres. Il y a, alors là, c'est sur les nouveautés. Donc, on a 9 % de nouveautés en poche en 2023. Le reste, c'est la réédition.
C'était l'intervention la plus utile.
Ça revient sur la question de monsieur avec le livre d'occasion. Je pense qu'aujourd'hui, le poche, c'est un bon remède pour donner une seconde vie à des livres qui ont été édités en grand format pour les personnes qui n'auraient pas pu les acheter en grand format. Après, je n'ai pas d'avis sur la partie, sur ta partie à toi.
Je n'ai pas d'avis complètement tranché non plus. Il y a plein d'éléments. Un livre de poche en moyenne, c'est deux fois moins lourd qu'un livre broché. Et donc d'un point de vue strict environnementale vu que l'impact principal c'est le papier si j'utilise deux fois moins de papier, je divise par deux les impacts je divise par deux les poids transportés donc d'un point de vue environnementale ça paraît intéressant. Ceci dit, le vice est toujours dans les détails, le livre de poche il est moins robuste il est moins durable dans le temps et donc il va avoir plus tendance à être à usage unique il va moins traverser le temps même si on a tous dans nos bibliothèques des livres de poche qui date des années 80 et qui sont encore là mais qui sont un peu tristouilles, il vieillisse moins bien que les brochés. Donc peut-être qu'il y a une question sur finalement est-ce qu'on va en fabriquer plus. Typiquement un livre de poche qui fait un retour de librairie il va être détruit quasiment à 100%, c'est beaucoup plus cher de le trier, le réintégrer en stock que de le détruire et de le réimprimer. Par ailleurs on parlait du fait que ça relance les brochés, moi j'ai rencontré des éditeurs et j'avoue que j'ai un suis sorti traumatisé qui me disait oui alors on va le ressortir en poche comme ça on va le remettre à l'office vous savez les nouveautés les 313 nouveautés mais du coup on va détruire le stock ancien de brochés parce que de toute façon il se vendra plus. Et donc on est dans un truc on se dit pour vendre la même œuvre qui existe déjà dans un format brochée qui est plus noble, qui est plus beau et qui a déjà été fabriqué, on va détruire les brochés pour le retirer en poche qui va être quand même plus ou moins jetable.
Oui, et c'était le point sur lequel j'ai conclu... Enfin, sur cette question du poche, parce que c'est vrai que c'est un point qu'on n'a pas abordé, parce qu'on est beaucoup de gens qui le considèrent comme un bien jetable, c'est-à-dire qu'ils vont le lire, ils vont le laisser dans le métro, ils vont le laisser dehors, ou ils vont même carrément le balancer, parce que finalement c'est juste... Alors maintenant c'est dix balles, le livre de poche, donc quand même un poche, donc voilà. Mais ils vont dire, c'est dix balles, donc voilà. Alors que le brochés, il va y avoir un aspect collection aussi qui lui donnera une durée dite, peut-être un peu plus longue.
Le brochée, c'est un marché de nouveautés, le poche, c'est un marché de fonds. Voilà, en gros c'est ça. Donc effectivement, quand ce que vous voulez pousser, d'un point de vue marketing, c'est de la nouveauté, donc essayez de faire un maximum de ventes, etc., vous allez être sur des ouvrages qui vont être plus souvent des grands formats. Et par contre, quand l'ouvrage est arrivé au bout de son exploitation traditionnelle en grand format, et bien quand il s'agit de le mettre en fond, les ouvrages en fond qui coûtent plus de 20 euros, c'est très compliqué à écouler. Donc du coup souvent, ça bascule vers du poche.
Et juste très vite, ça pose quand même la question du prix, à la fois de l'acceptabilité et on sait que le pouvoir d'achat n'est pas infini. Et par contre aussi de la rémunération des auteurs, mais même des libraires et des maisons d'édition, une fois que le prix... Il y a une question générale autour du prix du livre qui a relativement peu, même s'il a augmenté ces derniers temps pour compenser les effets d'augmentation du prix de la matière première. En fait, il n'a pas suivi l'inflation. Donc ça nous barraigère parce que le pouvoir d'achat s'érode et que nous tous mettre à un brocher 25 euros, c'est compliqué. Il n'empêche que le prix relatif du livre, par rapport aux autres biens, il a plutôt beaucoup diminué dans les 30, 40 dernières années, ce qui fait partie de l'érosion de la rémunération de tout le monde.
Surtout ce qui a été dit, je vais un peu à contre-sens, parce qu'il existe un nouveau marché qui arrive depuis 4, 5 ans, on va dire comme ça, qui a tous les avantages du poche, la taille... le prix etc. Mais qui est un marché de nouveautés qui est le marché des novellas. Vous avez Une Heure Lumière chez le bélial, vous avez Récif chez argyll vous avez vous en avez plusieurs mais là de tête j'ai un peu du mal ce sont c'est un marché de nouveautés qui sort sur des formats poches avec un prix accessible. Et c'est aussi une façon dont les éditeurs énormément de l'imaginaire s'engagent à être aussi au service du portefeuille du consommateur.
Tout à fait alors on pourrait continuer comme ça pendant deux heures encore je pense mais je vais me faire engueuler parce qu'on est déjà à la bourre et en plus il y a d'autres conférences dans la salle je vous remercie tous les cinq pour cette pour ces interventions. Merci à vous dans le public.

En cours de lecture

Se réapproprier ses mythes : écrire des héroïnes noires - Avec Laura Nsafou (Modération : Lia Warsa)

Marraine du festival L’Ouest Hurlant en 2025, Laura Nsafou est écrivaine et blogueuse afroféministe. La réappropriation des mythes et des imaginaires issus d’Afrique, des Caraïbes ou du Brésil est au cœur de son travail, particulièrement pour l’écriture d’héroïnes noires. Avec elle, décryptons ses méthodes d’écriture, entre filiation, introspection et examen des représentations dominantes autour des héroïnes noires.

Enregistré le 18/04/2025 à la Bibliothèque des Champs Libres à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Avec Laura Nsafou (Modération : Lia Warsa)

Transcription

Adénora. Bonjour à toutes et à tous, au nom de toutes les équipes des Champs Libres, nous vous souhaitons la bienvenue à ce nouveau vendredi de la Bibliothèque, un vendredi sous le signe de la littérature et notamment celle des imaginaires, puisque nous avons le grand plaisir d’accueillir aujourd’hui Laura Nsafou, autrice, bloggeuse afroféministe et marraine de l’édition 2025 du festival L’Ouest Hurlant, avec qui nous avons donc l’honneur de co-organiser cette rencontre et qui débutera dès demain [19 et 20 avril 2025] si je ne me trompe pas et jusqu’à dimanche 20 avril au théâtre de la Paillette à Rennes. Donc avant de laisser la parole à Lia Warsa, qui va, ce soir, modérer la rencontre, je souhaite déjà vous remercier d’avoir accepté notre invitation et remercier le festival de nous avoir contacté et de co-organiser cette rencontre. Et juste aussi vous dire qu’il y aura à l’issue de la rencontre une séance de dédicace avec la librairie La courte Echelle, qui du coup s’associe aussi à cette rencontre. Donc n’hésitez pas à vous rapprocher du libraire et puis demander une petite dédicace à Laura. Et je laisse la parole à Lia Warsa pour annoncer et donner des informations sur le festival et je vous souhaite une très belle rencontre.
Lia Warsa. Bonjour à tous, merci d’être venue si nombreux. Alors pour présenter rapidement le festival, on est l’association 18h05 et on organise le festival Ouest Hurlant depuis maintenant 4 ans. C’est à la Pailette, le parc Saint-Cyr, c’est ce week-end et vous pouvez y retrouver des conférences, des ateliers, des masterclass, des auteurs en dédicaces, des créateurices, des animations. Donc n’hésitez pas à faire un petit tour sur le site internet et à nous retrouver dès 10h demain matin. Laura Nsafou, qui est avec moi ce soir.
Laura Nsafou. Bonsoir.
Lia Warsa. Donc, comme Adénora l’a nous dit, c’est une autrice et une bloggeuse afroféministe, elle a écrit de nombreux albums jeunesse, des BDs et ce qui nous intéresse aujourd’hui, des romans de young adult imaginaire. Donc nous avons la trilogie dystopique Nos jours brûlés et son préquel La mer chantera ton nom. Et ce soir, nous allons donc parler de se réapproprier ses mythes et de réécrire ses héroïnes noires.
Laura Nsafou. Alors, déjà merci au festival Ouest Hurlant pour son invitation et merci à vous de vous joindre à cette première rencontre qui ouvre le bal. Du coup, est-ce que c’est toi qui commence avec une question ?
Lia Warsa. Du coup, pour commencer, si vous n’êtes pas très familier avec le mot {afro futurisme, afro fantasy} pardon, il y a trop d’afro tout finalement, c’est l’afroféminisme dont on va parler ce soir. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ta vision, des afroféministes qui t’inspirent et comment tu es rentrée un peu dans ce courant de pensée féministe ?
Laura Nsafou. Plusieurs questions en une fois. Alors peut-être commencé par la définition de l’afroféminisme. C’est un mouvement de lutte qui est centré sur les discriminations et les oppressions vécus par les femmes noires et donc qui prennent la conjonction entre le racisme, le sexisme, le mépris de classe et tout ce qu’une femme noire peut rencontrer. C’est un mouvement qui m’a notamment marqué parce que ça m’a permis de comprendre mon expérience en tant que femme noire née en France d’une mère martiniquaise et d’un père congolais né à Orléans. Pour donner un peu une idée de ce que ça veut dire de construire cette identité, lorsque j’allais en Martinique, on me disait « t’es métropolitaine », lorsque j’allais au Congo, on me disait « t’es française, tu as le passeport bordeaux » et en France, on me disait « retourne chez toi ». Donc, quand on se construit dans un contexte comme ça, c’est cette espèce de triangle où on se dit « mais où est ma place ». Et c’est vrai que ce point de départ lorsque j’ai ouvert mon blog Mrsroots.fr, qui est l’espace que je tiens encore aujourd’hui pour questionner et aborder les questions d’afroféminismes. C’était comment me définir quand dans une société à la fois raciste, sexiste, classiste, ect et comment me nommer en dehors de tout ça. Moi, j’ai pas fais des études de sociologie, j’ai pas fais des études de sciences politiques ou quoi, tout ce que j’avais, c’était des livres de fiction et donc, je me suis demandé, peut-être que je devrais commencer par l’imaginaire autour des femmes noires pour comprendre ma place. Et au fur et à mesure, c’est par la fiction afroféministe de beaucoup d’autrices, que ce soit Toni Morisson, Alice Walker, Mariah Maba, qui est une autrice sénégalaise et du coup peut donner une perspective d’un féminisme africain, les autrices anglophones que j’ai listé m’ont donné une perspective de ce qu’était le black feminism, donc le féminisme noir américain. Et puis, après, des autrices aussi caribéennes, comme Simone Schwartzbart, grand autrice Guadeloupéenne, Marie Scondé, etc. Mais ça dessinait toujours ce petit espace qui est l'expérience d'une femme noire dans un contexte occidental et hexagonale dans mon cas. Et donc, j'ai cherché, cherché, cherché, et puis, au fur et à mesure que j'ai vu les stéréotypes, les tropes, etc., je suis allé chercher aussi une mémoire féministe noire française, et il y en a une. Et même si on la redécouvre aujourd'hui avec les soeurs nardales, il y a aussi la coordination des femmes noires des années 80. Donc, tout ça pour moi, c'est aussi des femmes noires qui m'ont beaucoup inspiré et qui m'ont permis de comprendre que mon expérience, c'était pas dans ma tête, c'était pas exagéré, c'était pas une tentative d'imiter ce qu'on dit aux Etats-Unis. Non, c'était... Il y a un afroféminisme, en fait. Il y a un afroféminisme, donc il y a un terme politique pour nommer mon expérience et les oppressions que je subis en tant que personne.
Lia Warsa. Et du coup, comment tu présentes ça dans tes héroïnes que t'écris, par exemple à travers Elikia ou Ino, comment tu montres tout cet afroféminisme ?
Laura Nsafou. Alors je ne pense pas. C'est toujours la question qu'on me pose, c'est-à-dire où commence l'afroféminisme dans mon univers ou où il se situe, mais je pense que ça nourrit surtout ma créativité, c'est-à-dire que d'un point de vue très factuel dans le world building de Nos jours brûlés, donc dans la construction du monde, une position afroféministe, c'est de montrer une diversité de femmes noires. Et ça veut dire quoi montrer une diversité de femmes noires ? Ça veut dire montrer une diversité de femmes noires en termes de caractère. Donc c'est quoi montrer une femme noire agressive ou en colère, mais qui ne correspond pas aux tropes racistes de la femme noire en colère ? Ça veut dire aussi montrer une diversité de femmes noires en termes de carnations, de physiques, ou qui ont des identités de genre différentes, ou des orientations sexuelles différentes, etc. Donc c'est démontrer une panoplie de femmes noires différentes, déjà, réalistes, et surtout avec une réelle agentivité. Pourquoi je dis réelle agentivité ? C'est parce que la littérature française s'est construite autour d'un imaginaire avec, pour, personnage principale, neutres par défaut, un homme blanc, cis, valide, héros, etc. Et donc quand on voit des femmes noires en littérature française, c'est souvent des ressorts scénaristiques. Ça va être la nanny, ou la nounou, donc. Ça va être l'esclave, ça va être... Voilà, c’est toujours un personnage secondaire qui va être cette espèce de marche-pied d'une intrigue. Ça va être peut-être l'objet hyper sexualisé, exotismisé, donc symbole d'exotisme et tout ça. Mais donc l'agentivité, ce que ces personnages ont à dire, sont ou ont à raconter, on n'a pas beaucoup d'exemples en littérature française. Et très souvent quand on a des exemples comme ça, c’est une littérature caribéenne ou anglophone et africaine. Donc pour moi, déjà, c'est un parti pris, je dirais, afro-féministe de faire ce travail-là, mais qui n'est pas un effort parce que des femmes noires, j'en vois partout. J'en vois partout. La question, c'est comment on fait, justement, aussi pour questionner aussi la manière de raconter les femmes noires. Et ça, c'est un deuxième travail que je fais. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, même la langue française, quand on parle, quand on a des expressions qui sont liées à la couleur noire ou à quelque chose de sombre, c'est souvent dépréciatif et négatif. Mais comment on décrit une peau noire sans passer par le mot ébène, sans passer par le mot chocolat, le mot café au lait ? En fait, tous ces marqueurs qui sont les marqueurs coloniaux et qui ont une histoire, etc. Comment on fait pour proposer un autre langage, un autre vocabulaire ? Ça, ça se travaille aussi. Et ça, pour moi, c'est aussi une réflexion qui est nourrie par mon afro-féministe. Donc, ce n'est pas qu'il y a un agenda afro-féministe dans mon travail. Il est là, clairement. Mais c'est quelque chose qui, pour moi, enrichit mon imaginaire dans ce que j'ai envie de proposer. Et le plus gros partie pris qui clairement était aussi une décision dans l'univers de nos jours brûlés, c'était montrer des femmes noires monstrueuses. Ça, c'était vraiment... Ça, on veut dire, c'est peut-être un agenda afro-féministe, peut-être, dans le sens où, pourquoi ? Parce que, là où, dans un imaginaire colonial, les femmes noires, même dans un imaginaire occidental, ont été présentées toujours comme quelque chose animalisé, hyper sexualisé. Si je reprends, même Saartje Baartman, la venus hottentote, c'est son corps qui posait questions, c'est ses rondeurs qui posaient questions, c'est ses rondeurs qu'on a disséqué, etc., etc. Donc, comment tu abordes la question de monstruosité en imaginaire quand tu as tous cet imaginaire colonial autour ? En fait, tu te sens cette monstruosité comme une puissance chez ces femmes noires. Et aussi, ça questionne plein d'aspects aussi moraux, ça questionne plein d'aspects politiques. Et j'aimais le fait de créer des femmes noires qui se réclament de cette monstruosité-là, qui a différentes formes, selon que ce soit Ino, Elikia ou Diarra, et qui, à chaque fois, perturbe le monde autour et perturbe aussi le statu quo et peut peut-être amener un imaginaire de libération.
Lia Warsa. Et du coup, comment t'as choisi les divinités sur lesquelles tu t’es appuyé ? Comment t'as choisi les descendances, leurs caractéristiques aussi ? Parce que, du coup, dans la diaspora africaine, on retrouve régulièrement les mêmes divinités sans avoir forcément le même nom ou les mêmes caractéristiques. Donc, comment t'as fait ton choix ?
Laura Nsafou. Alors, déjà, il faut le dire, c'était six ans de recherche. Donc, déjà, il y avait, je pense, ce travail de voir ce qui existait, parce que là encore, aujourd'hui, il n'y a pas d'encyclopédie. Et si quelqu'un veut le faire, faites-le. Mais il n'y a pas encore d'encyclopédie sur les mythologies d'Afrique. T'as très souvent des livres sur la mythologie égyptienne. Si on a un peu de chance, on va trouver quelques livres sur les dogons, donc propre au Mali et les orichas, du coup, avec ce pont qui est fait entre le Brésil et le Bénin. Et peut-être qu'en creusant un petit peu, voilà, il y a des petites spécificités, mais on n'a pas encore une grosse encyclopédie, comme on pourrait l'avoir sur d'autres mythologies. Et c'est vrai que c'est un sujet qui me passionne, mais donc la première étape, c'était où tu vas, quelle ressource tu vas chercher pour trouver ces informations-là, quand elles ne sont pas en librairie, quand elles ne sont pas accessibles. Donc moi, j'ai commencé à demander autour de moi. J'ai demandé à des amis camerounais, sénégalais, caribéen, etc., les histoires qu'ils avaient entendues petits. Et effectivement, comme tu le dis, souvent, il y a des divinités, des entités qui reviennent. Mami Wata, c'est aussi Maman de l'eau dans la Caraïbe, c'est aussi Oshun chez les orichas, c'est aussi Yemaya. Et donc j'ai finalement fait un travail de synthèse de ce qui revenait le plus souvent, comme la forme du serpent, par exemple, avec Bounzi, bon, je ne sais pas tous les citer, mais il y en a plein. Et surtout, pour définir les attributs, voir les attributs qui revenaient plus souvent. C'est-à-dire que là où le serpent, dans un imaginaire occidental, est souvent rattaché à la tradition chrétienne, avec ce truc très négatif qui va amener dans les ténèbres, le vice, etc., en Afrique et aussi en Asie, on ne va pas faire de la mythologie comparée maintenant. En Afrique, c'est symbole de vie, de fertilité, d'infini, de renouvellement. Donc j'ai aimé aussi choisir des divinités qui questionnent nos propres repères en tant que français et occidentaux. Et donc j'ai essayé de, après, il fallait faire un choix. Et le dernier critère, c'était aussi de m'appuyer sur les panthéons qu'on retrouve très souvent, c'est-à-dire que dans toutes les civilisations, il y a toujours une divinité de la Terre, il y a toujours une divinité de l'eau ou du soleil ou de la Lune, donc faire des choix aussi qui permettraient de donner des repères au lecteur et les synthétiser.
Après, c'est pour ça qu'il y a les demi-dieux et qu'après, on complexifie le tout.
Lia Warsa. Quelle belle transition, parce qu'on va parler des demi-dieux, du coup. Comment... Quel était ton envie de montrer par rapport au fait que ce sont des personnages qui sont très différents, on va dire, dans l'univers, qui ont vraiment un impact très particulier et qui ont une relation aux autres très particulières, parce qu'ils sont souvent mal vus. Comment t'as pensé à toutes ces idées et qu'est-ce que tu voulais faire passer comme message avec ces personnages-là, parce qu'il y en a beaucoup.
Laura Nsafou. Oui, j'allais te demandé lesquels ?
Lia Warsa. Alors Elikia, qui est quand même, dès le début, elle sait pas sa place dans l'univers. Quand elle rencontre, j'avoue, j'ai un trou de mémoire, je ne sais plus comment il s'appelle, l'éclaireur. Il a beaucoup de mal à lui faire confiance, parce que son statut de... J'ai peur de spoiler en disant trop de détails, donc on va rester là, mais son statut particulier fait en sorte qu'elle crée la méfiance autour d'elle. Il y a Diarra aussi, qui a une ascendance très particulière et qu'on comprend mieux dans la mer chantera ton nom. Et pareil, les personnages Ino, qui est en quête d'elle, en quête de son histoire familiale, qui est, du coup, également demi-déesse, c'est un peu flou encore. Du coup, comment t'as réfléchi à toute cette création de personnages qui sont entre deux univers, qui sont ni vraiment humains, ni vraiment mythiques, déesse et tout ça ?
Laura Nsafou. Tout simplement par l'hybridité, c'est-à-dire que, outre la question, je voulais sortir de la question déjà du métissage, parce que ce n'est pas seulement une question de métissage dans le cadre de ces personnages-là, c'est vraiment une question d'hybridité par rapport à leur corps, par rapport à leur rapport au monde, par rapport à leur pouvoir. Et en fait, amener le lecteur aussi dans ce monde où, au moment où il se dit, ah, ok, j'ai compris comment ça marche, t'as des personnages qui font bugger le lecteur, qui disent, ah, pourquoi il est à cheval sur un, deux ou trois éléments, j'essaie de pas spoiler non plus, et j'aimais cette idée, en fait, de montrer qu'il n'y avait pas vraiment de règles, et surtout que quand, là où on aurait une vision de se dire, bah, en fait, ce personnage, il est au croisement de différents pouvoirs ou de différentes créatures ou divinités, etc., etc., c'est une évolution normale des choses. Donc, en fait, c'est aussi une forme d’eugénisme entre très gros guillemets, qu'ont les dieux de dire, mais c'est pas normal que ces êtres existent, etc., etc., et c'est une catégorisation, en fait, aussi, que les gens reproduisent. Et comme tu l'as dit, il y a plein de personnages qui sont concernés, preuve qu'il est très facile, en fait, dans un univers où on questionne la puissance des dieux, les normes et l'ordre établi, de reproduire encore des catégorisations, des normes, des rapports de force, etc., etc. C'est ce qu'on comprend avec ces personnages-là, ne serait-ce qu'en termes de générations, j’essaie de pas spoiler non plus, Ino, Diarra et Elikia, elles ont carrément des décennies de différence, et à chaque fois, elles posent un différent angle d'hybridité. Et ça, je trouvais ça aussi très intéressant de mettre le lecteur dans une position où il est en solidarité avec ces hybridités-là. Et il voit à chaque fois, et j'espère, c'est un peu mon but aussi, c'est que chaque fois que le lecteur pense avoir exploré une partie de cet univers-là à travers l'un de ces personnages, il se dit, OK, là, je peux plus être surpris. Et bien, en fait, on y revient encore, c'est aussi que poser la question de l'identité, il n'y a pas d'identité figée, en fait, selon les expériences que l'on a, selon la nationalité à laquelle on est rattaché, selon l'identité perçue, il y a tellement de facettes différentes qui sont des portes d'entrée vers l'identité de quelqu'un que j'aimais aussi montrer ce caractère un peu mouvant de l'identité.
Lia Warsa. Du coup, dans leur hybridité, ce sont des personnages qui ont beaucoup de pouvoirs, qui ont des puissances différentes, pas toujours comprises également, mais il y a un aspect qui est très important, c'est qu'ils sont très humains, qu'ils ont énormément de faiblesses, de défauts. Comment t'as travaillé toute cette caractérisation autour de ce personnage pour que t'es un mix entre ils sont puissants, ils sont spéciaux, un peu, ils sont différents des autres, mais ça reste des autres humains, ça reste des gens qui ont des idées, des opinions, des défauts.
Laura Nsafou. J’aime bien comment tu insistes sur le défaut. Mais c'est ça, pour moi c'était la meilleure partie, en fait. Pour moi c'était la meilleure partie dans le développement de ces personnages-là. Je pense que ce qui m'a aidé, c'est l'histoire des personnages. C'est-à-dire qu'on voit par exemple Ino, qui est donc né en France, de parents sénégalais, mais qui n'est jamais allé au Sénégal, et qui va se retrouver au Sénégal parce qu'elle a été punie, sanctionnée par sa famille. Et donc ce rapport à ça, et qu'on la découvre dans ce contexte-là, ça a dit quelque chose d'elle. Et la particularité aussi d'Ino, c'est que dans un seul tome, on la voit grandir et devenir adulte. Là où dans Nos jours brûlés, on a une temporalité sur 5 ans de plusieurs personnages, avec Diarra, etc., voire 5 ans, 6 ans. Donc je pense aussi suivre leur développement, pour moi ça m'a aidé à les voir des gens comme personnes, et finalement les pouvoirs viennent au fur et à mesure de cette progression-là. Mais il n'y a pas d'élus aussi, il n'y a pas d'élus, il n'y a pas de savoir ou de pouvoir auxquels ils se sont préparés, il n'y a pas d'initiations. On est face à des personnages et surtout des héroïnes qui cherchent leurs initiations toutes. Elles n'ont pas été préparées. Pourquoi ? Parce qu'elles sont les descendantes aussi d'un peuple qui a eu ses savoirs pillés et effacés et perdus. Et donc les voir en lutte par rapport à ça, ça rend forcément humain, parce que je pense qu'on a tous dans notre vie une recherche à un moment donné de notre vie, c'est-à-dire soit à se comprendre, soit par rapport à l'histoire de nos parents, soit par rapport à plein de choses. Il y a plein de choses où je pense qu'on est en recherche pour se comprendre en tant qu'adulte, avant de devenir adulte. Et je crois que pour moi, c'était ça le noyau pour chaque personnage. Et la différence, c'est que dans la trilogie, comme il y a plusieurs personnages, on a différents points d'entrée. Et enfin, l'imperfection aussi, pour moi, c'est un critère, c'est-à-dire que Elikia, elle a vraiment 20 ans. Donc quand dans le tome 1, il y a plusieurs lecteurs et lectrices qui me disent parfois, je vais la secouer, je fais, c'est normal. C'était le but, parce qu'à 20 ans, on n'est pas matures. On fait des choix où tu te dis pourquoi elle fait ça ? Mais en vrai, c'est humain et surtout, on est comme elle. On n'aurait pas fait, à 20 ans, on n'a pas, je ne pense pas qu'on l'a fait ou même à 18 ans, je ne pense pas qu'on a fait des choix ultra réfléchis, on savait déjà se battre, etc. Non, je voulais vraiment montrer une héroïne qui galère, mais qui, du coup, parce qu'elle galère, elle se construit. Et ça, c'était aussi une piste pour toutes.
Lia Warsa. J'aime beaucoup aussi tout ce que tu montres en termes de sororité et de solidarité et même de gouvernance un peu atypique puisque sans trop en dévoiler encore une fois, au fur et à mesure de nos jours brûlés et de la quête dans laquelle on évolue, on découvre tout un groupe de résistants qui sont vraiment très nombreux, organisés en village et donc on a des femmes, des hommes qui travaillent ensemble, qui prennent des décisions de manière horizontale sans qu'il y en ait un plus important que l'autre et les femmes se soutiennent particulièrement, notamment Elikia, qui arrive dans cet univers sans avoir énormément de connaissances et qui est soutenue par plein de femmes d'âge différents qui sont parfois d'accord avec elles, parfois pas du tout mais qui sont toujours là pour la soutenir. Comment t'as pensé un peu à cette organisation de société ?
Laura Nsafou. Par l'afrofeminisme ? En fait c'est en t'écoutant que je me dis qu'il y a vraiment plein de petits fils d'afrofeministes qui sont venus dans cette construction de cette sororité. Non, plus sérieusement, c'était aussi parce qu'il y a plein de thèmes que je trouvais importants de montrer, c'est-à-dire ne serait-ce que l'aspect intergénérationnel, l'héroïne qui va apprendre à tout le monde, mais je sais comment ça marche le monde, j'avais tous à vous apprendre. En fait je trouve que ça ne marchait pas dans ce monde-là, pourquoi ? Parce que nos jours brûlés se passent en 2049 dans un monde où le soleil a disparu et donc Elikia est d'une génération qui n'a jamais connu le soleil. Donc quand sa mère lui parle de c’était mieux avant avec des saisons, certains fruits, certaines agricultures, Elikia ne se sent pas concernée par l'envie d'améliorer ce monde-là. Pour elle, elle a toujours connu un monde obscur, dangereux, avec une nature qui a muté et c'est normal. Donc montrer comment elle arrive à se dire qu'il y a un enjeu dans le monde qui est autour de moi et qui est catastrophique et qui est dystopique, pour se penser comme acteur de changement, faut déjà comprendre qu'il y a un changement autour de soi et pour comprendre ça, faut qu'on ait accès à la mémoire et donc rien que pour ça. Il fallait qu'il y ait une communauté autour, il fallait qu'il y ait cette notion de savoir, etc. Et je pense que cette sororité, elle vient aussi de toutes ces femmes qui ont une expérience particulière dans cette monstruosité-là, quel que soit le type de monstre qu'elles sont, encore j'essaie de pas trop en dire, et qui se retrouvent aussi toujours à un moment donné, même quand elles ne sont pas d'accord de se dire qu'en fait c'est quoi le plus important et surtout tu apprends. Même si Diarra est un personnage extrêmement puissant, respecté, etc. il y a des moments où elle va être dans des confrontations extrêmement difficiles avec Elikia qui est plus jeune qu'elle, mais qui va lui permettre d'apprendre aussi d'autres perspectives et ça aussi c'est des échanges que je trouvais intéressants de montrer. Mais au début, quand j'ai construit ça, pour moi ça allait de pair avec ce que je voulais montrer, c'est-à-dire question de la transmission et comment dans un monde dystopique on construit un espoir politique et comment on se sent concerné dans le fait de changer le monde autour de nous. Et puis un jour, quand je suis allée au Brésil, j'ai rencontré une autrice dont j'oublie le nom, ça me reviendra, donc une autrice afro-brésilienne qui avait écrit un roman Afro-Futuriste et son livre n'est pas traduit en français, mon roman n'est pas traduit en portugais-brésilien, mais on s'est rencontrés et quand on a discuté, la première question qu'elle m'a demandé c'est est-ce que Elikia, dont ton univers afro-futuriste, peut marcher sans communauté ? Je vous avoue que première question, j'ai un peu bégayé et j'ai réalisé que, non en fait, sans la communauté autour, pas forcément en termes d'apprentissage mais sans toutes les collectifs qui est autour d'elle, Elikia peut pas évoluer et n'avance pas et je pense même qu'elle serait morte très vite. Et là, cette autrice m'a dit, elle fait de l'afro-futurisme au Brésil depuis très longtemps, elle m'a dit, mais ça c'est un critère afro-futuriste. Pourquoi ? Parce que le récit du héros comme Hercule qui va seul battre tous les monstres grâce à sa force, grâce à lui-même, uniquement lui-même, rien que lui-même, même si on l'a donné un peu de pouvoir, mais c'est quand même que lui, en fait, ce truc hyper-centré sur le héros qui casse tout et qui sûrement toutes les épreuves tout seuls. Ça aussi c'est un récit situé occidental. Et donc en fait, ça m'a aidé à comprendre que dans l'afro-futurisme aussi il y a des critères comme ça qui sont des traits particuliers aussi aux genres et que le rapport à la communauté et à la sororité, ça en est un.
Lia Warsa. Est-ce qu'il y a d'autres critères du coup pour l'afro-futuriste ?
Laura Nsafou. Est-ce qu'on a deux heures devant nous ? Déjà, le fait de proposer un univers afro-centré, c'est-à-dire que quand on parle d'afro-futurisme, déjà, il faut peut-être revenir à la base d'afro-futurisme, c'est un mouvement artistique qui propose des futurs centrés sur la diaspora africaine ou l'Afrique, mais c'est un mouvement défini aux États-Unis. Or, il s'oppose au futurisme africain, puisque les Africains, à raison, on dit qu'on n'a pas eu besoin d'attendre pour penser nos futurs, mais surtout nous, on revendique des futurs qui pensent uniquement à l'Afrique et pas forcément depuis la diaspora. Et puis, il y a plein de branches, parce que qu'est-ce qu'il se passe quand on est caribéen ? Du coup, il y a un futurisme caribéen qui s'encre qui est dans un des tiroirs de l'afro-futurisme. Donc, c'est un grand chapeau. Du coup, ça pose plein de questions à la fois diasporiques, littéraires, extrêmement riches, un peu comme des discussions familiales. Et c'est vrai que, donc là où tous ces mouvements se rassemblent, c'est le fait de prendre pour centre la diaspora d'Afrique subsaharienne, surtout, et enfin, l'Afrique subsaharienne, la diaspora autour, de proposer des futurs aussi, et surtout des futurs positifs, parce que là encore, pourquoi ? En science-fiction, très souvent, il n'y a pas de personne noires dans les futurs proposés. Et ce n'est pas les seuls absents, parce que peut-être qu'on en parlera, venez à Ouest Hurlant, il y a plein de conférences dessus, mais il y a beaucoup d'oubliés dans les futurs présentés en général, et surtout même l'Afrique qui est absente. L'Afrique n'est pas pensée dans certains grands classiques, etc., qui vous vous disaient juste, il y a eu un cataclysme mondial, sauf, ah, l'Afrique n'est pas là. Donc ça aussi, c'est aussi revendiqué le fait de prendre pour centre ça, mais pas comme une réponse à la science-fiction occidentale ou autre, mais plus comme le fait de dire, dans ce genre-là, on veut explorer toutes ces facettes-là, et surtout une Afrique qui ne serait pas forcément dans un dialogue avec l'Occident. Et ça aussi, c'est quelque chose que j'ai aimé tester dans nos jours brûlés, c'est qu'on ne parle pas de l'Occident dans nos jours brûlés. Ce n'est pas un repère, ce n'est pas un point, on se situe juste en Afrique, et au Brésil et dans la Caraïbe, et on voyage et dans d'autres sphères aussi. Et ça aussi, beaucoup de lecteurs ont été intrigués par ça, parce qu'ils n'avaient pas l'habitude.
Lia Warsa. Du coup on va repartir sur un des angles qu'on n'a pas encore fait, sur plus spécifiquement l'écriture. Comment vraiment en termes de technique d'écriture tu écris tes personnages noirs comment tu les réfléchis pour que t'as parlé rapidement tout à l’heure de ne pas utiliser le vocabulaire colonial. Mais du coup comment tu choisis, comment tu trouves le vocabulaire qui soit le plus juste possible pour t'écrire tes personnages ?
Laura Nsafou. Alors déjà je propose souvent un atelier d'écriture qui s'appelle « de quelle couleur est ta peau noire » qui est en fait un atelier d'écriture exploratoire où je propose aux participants alors c'est un des exercices vous pouvez le faire chez vous. C'est d'avoir une photo d'une personne noire et de la décrire sans utiliser tous les mots qu'on utilise aujourd'hui marron foncé on enlève tout. Et en général quand je propose cet exercice-là tous les participants se liquéfient littéralement et se regardent leurs feuilles et pourquoi parce qu'en fait c'est un exercice créatif aussi d'aller chercher autre chose que le langage auquel on est habitué et ça pour moi c'est une pratique. Donc bien avant d'être face à mon manuscrit et de me dire je vais écrire sur Ino ou sur Elikia etc. J'ai déjà cette pratique dans d'autres ouvrages pour moi de savoir qu'est-ce que je peux faire de différent dans ce livre-là pour décrire ces peaux-là. Donc c'est même pas en termes de justesse c'est juste en termes de vocabulaire et puis surtout d'autres auteurs l'ont fait avant moi. Et un très bon exemple qui m'a énormément marqué c'est dans le livre de Simone Schwartzbart donc l'autrice guadeloupéenne que je mentionnais. Elle a écrit un roman qui s'appelle Tijan et il y a une scène, une page où elle décrit une femme noire foncée de peau qui traverse toutes les émotions et sa peau et donc elle décrit les différentes nuances de couleur de sa peau avec un vocabulaire et des couleurs sur lesquelles on n’aurait même pas misé. Et je me suis dit en fait on a déjà cassé ce que je disais cette imaginaire par exemple les noirs ne rougit pas bah si c'est ce que c'est d'autres sortes de rouges et ça se travaille de le mentionner. Mais aussi de travailler une photographie en fait c'est quoi les différentes couleurs qui sont convoquées dans la gestuelle des personnes noires. Et c'est la même chose en fait en bande dessinée par exemple quand on dessine des afros juste avec des gribouillis mais en fait non ça c'est juste la BD franco belge qui pense que c'est pas un sujet de travailler les textures.
Lia Warsa. Ou de décrire les cheveux en disant qu'ils sont juste farouches, indomptables.
Laura Nsafou. Voilà comme sur les étiquettes de shampoing donc ça aussi ce vocabulaire là ça se travaille et moi je trouve que c'est une richesse créative en fait et une liberté créative de toujours me mettre ça comme défi de qu'est ce qu'on peut créer de plus que la dernière fois Donc c'est plus comme ça que je le réfléchis pour les personnages Ensuite en termes de, tu vois ce que tu parles de justesse je pense qu'il y a toujours, pour moi c'est comme je disais je connais des femmes noires je suis une femme noire donc je construis déjà des personnes donc des femmes noires qui sont au centre de l'histoire mais surtout comme je disais en leur propre agentivité Et puis des fois je me laisse aussi la liberté d'être portée par l'histoire et donc par exemple dans nos jours brûlés il y a une commandante Zahi, une femme noire très dure, très sévère, très agressive et il y a une sc_ne où je me suis dit Ah est-ce que là je suis pas en train de tomber dans l'espèce de cliché de la femme noire méchante etc etc. Et en fait je me suis demandé, en fait j'ai réécrit ce passage jusqu'à ce que ça me semble juste, parce que oui les femmes noires en colère ça existe. Mais surtout comment le raconter, c'est ça aussi que je questionne. Donc en termes techniques ça peut être, oui est-ce que ça passe forcément par le cri ? Non. Moi je pense aussi que la règle d'écriture show don't tell, donc montrer mais ne dit pas tout Je pense que passer par la gestuelle ça a parfois beaucoup plus de pouvoir et c'est aussi beaucoup plus humanisant que de reprendre les tropes Elle hurla ou elle cria ou des choses comme ça. Donc c'est plus des petites choses mais c'est pas planifié. Et aussi parce que j'écris au fil de l'eau, je suis pas quelqu'un qui va faire un plan pour son roman, j'aurais dû commencer par là. J'écris puis après je me dis ça fait 200 pages, il va falloir peut-être … c'est peut-être un roman. Et après c'est à la réécriture que je réarrange les personnages ou le monde etc etc.
Lia Warsa. Je parlais de justesse aussi parce que j'ai été marquée par le fait que tu parles des règles et qu'elle randonne dans la forêt, elle se bagarre, elle sait pas trop en fait ce qu'elle fait elle-même, mais elle a ses règles et ça a un impact sur sa vie parce qu'elle a des douleurs, parce qu'elle est de mauvais poils et ça a même un impact sur ses pouvoirs et du coup c'était vraiment un aspect que je trouvais très intéressant et très juste parce que le nombre de récits qu'on a vu en tant que femmes, ou en fait les questions physiologiques, ça n'existe plus.
Laura Nsafou. C'est ça ! Et surtout sur des années, c'est continuant à forêt, surmontant toutes les épreuves et c'est fou parce qu'il y a beaucoup de personnes qui ont dit merci pour ce passage. Pas seulement en termes de réalisme, mais juste parce que ça crée aussi une proximité et pour moi c'était naturel, j'avoue c'était pas en l'écrivant, je ne me suis pas dit je suis en train de créer un précédent littéraire et tout en littérature imaginaire, mais c'était plus d'un point de vue juste pratique. Alors déjà je pense aussi, oui je vais te préciser, le fait de créer un monde, ça fait qu'on se pose des questions à toutes les échelles, donc je pense que aussi d'un point de vue pratique je me suis dit en fait comment ça se passe pour Elikia, connaissant son pouvoir, pour moi c'était juste une question de world building aussi, et donc de création de personnages en termes de réalisme, qu'est-ce que ça crée ou pas, mais c'est vrai que je n'ai pas vu comme un enjeu. Mais c'est plus une fois que je l'ai écrit, je me suis dit en fait c'est vrai que je ne pense pas avoir déjà vu ça, même dans les héroïnes noires qui m'ont inspiré et que j'adore, mais que je n'ai pas vu cette facette-là en fait.
Lia Warsa. Du coup, dernière question avant qu'on passe aux questions du public, est-ce que tu as un conseil pour écrire les héroïnes noires ? Un seul, attention, c'est difficile.
Laura Nsafou. Un seul ? Internet ! Pourquoi ? C'est à moitié une plaisanterie,parce qu'aujourd'hui, j'ai écrit depuis l'âge de 12 ans et je peux le dire aujourd'hui, il y a tellement de ressources, que ce soit en termes de compte Instagram qui liste tous les tropes et les stéréotypes qu'il y a autour de certaines communautés minorisées, que ce soit en termes, il y a même un guide gratuit, donc le compte Instagram qui s'appelle la Griffe Écriture propose un compte gratuit sur comment décrire des personnages, pas que personnages noirs je crois, en tout cas des personnages marginalisés et des exercices, on a une base, on a des ressources beaucoup plus grandes qu'avant et donc ça ira à de paires et donc on va dire que c'est pas un deuxième conseil, mais un petit peu quand même. Exercez-vous, c'est un travail, c'est un exercice en fait, d'apprendre en fait à écrire ce qu'on ne pensait pas être un sujet parce que c'est ça aussi, c'est qu'on ne réalise pas qu'on a un vocabulaire ou un imaginaire colonial bien présent. Même en tant que personne concernée, mes premières, tous mes textes qui n'ont pas vu le jour en librairie, je ne pense pas que je décrivais très souvent les personnages noirs et parfois ils n’étaient même pas noirs parce que je ne m'autorisais pas à présenter des héroïnes noirs donc parce que j'avais intériorisé aussi cette idée qu'un héros par défaut c'est un personnage blanc. Donc ça se pratique en fait, ça je veux dire, ça se pratique c'est un exercice et puis donnez-vous aussi de la marche pour vous améliorer, voilà ça fait trois.
Lia Warsa. Merci beaucoup. Est-ce que vous auriez des questions dans le public ? Personne n'a de question ? On peut continuer Ă  discuter sinon ?
Public. Bonjour. Ma question est, pas sur l'afrofuturisme, mais plutôt sur l'afro. Il y a des personnes qui se demandent, est-ce qu'on peut opposer l'afro-féminisme avec le féminisme tout court ? Qu'est-ce que vous en pensez de cette question ?
Laura Nsafou. Oh ! Alors, déjà, je pense que c'est une question un peu biaisée, parce que c'est quoi le féminisme ? Il y a des féminismes, et en fait, il n'y en a jamais eu qu'un seul. Et pour moi, ça participe aussi... Alors, je prends le cas français, mais ça participe aussi à cette espèce d'impensé où on se dit qu'il y a un féminisme, mais il n'y a pas de féminisme universel, il y a des féminismes qui permettent de créer un féminisme universel, et le féminisme universel, c'est la somme de tous ces féminismes-là. Je ne pense pas qu'ils s'opposent, je pense qu'ils se complètent. Je ne pense pas qu'il y ait un féminisme au-dessus des autres, et quand il y en a un, c'est un qu'on a normé, cadré, en disant, ça, c'est le féminisme. Mais en fait, il y en a plein, et c'est justement ça qui est nécessaire, c'est de savoir, en fait, je pense qu'il serait plus juste de parler d'une solidarité féministe que d'un féminisme, en fait. Parce qu'une solidarité, ça se construit, et donc là, toutes les femmes peuvent y prendre part. C'est ça la différence. Et surtout, là, je parle d'afroféminisme, mais il y a un féminisme propre aux femmes asiatiques, voilà, il y a différents courants féministes, et même dans l'afroféminisme, il y a différents courants. Donc pour moi, je ne vois pas ça comme une opposition, je vois ça justement comme une approche honnête et véritable du fait qu'on a besoin, en fait, de discuter, de se rencontrer et de débattre pour créer, justement, des solidarités et des ponts entre les femmes. On n'est pas toutes... Même mon expérience de femmes noires, elle est française, elle n'est pas martiniquaises, elle n'est pas congolaise. Et donc moi aussi, je vais aller à la rencontre de féministes congolaises qui vont avoir des expériences différentes de la mienne. Donc pour moi, ce n'est pas une opposition, c'est justement une rencontre. Et je pense que déjà, ça change la question et la perspective. En tout cas, c'est comme ça que je le vois.
Laura Nsafou. Ah oui, donc la question, c'est pourquoi je dis que je fais mourir le soleil. Il a disparu, je ne suis pas dit qu'il était mort. Je dis qu'il a disparu. Pourquoi la disparition du soleil ? Ah mais je ne peux pas répondre sans... Sans révéler les quatre tomes.
Lia Warsa. Il faut lire le livre, finalement, pour savoir ça.
Laura Nsafou. Mais je pense, d'un point de vue symbolisme, je pense que justement parce que le soleil, dans la plupart des civilisations, a toujours ce symbole d'espoir et positif. Il y a quelque chose qui rassemble beaucoup autour de la figure du soleil et quelques soit les époques aussi. C'est assez fascinant de voir ça. Je n'ai pas vu encore, après, si vous en connaissez une, je suis curieuse, mais je n'ai pas vu encore une mythologie où la divinité du soleil est méchant, peut portes préjudices aux hommes. Je trouve ça très intéressant, très intéressant. Du coup, ça intrigue toujours quand on se dit pourquoi ça disparaît.
Public. Bonsoir, merci beaucoup pour votre présentation, votre oeuvre, tout quoi. Je voulais vous poser une question concernant l'empathie, parce qu'en fait, vous parlez beaucoup des personnages, de la façon dont vous les construisez. Et je sais que dans vos albums jeunesse, il y a beaucoup plus la question de changer un peu le point de vue pour permettre des points de vue alternatifs, notamment par rapport aux cheveux. Ça m'a beaucoup marqué. Et je voulais savoir si dans vos romans, vous essayez aussi de créer cette empathie et donc du coup de créer une sorte de relation à une expérience différente. Et si oui, comment vous faites ?
Laura Nsafou. Alors, merci pour cette question, elle est géniale, je crois qu'on me l'a jamais posé. Donc, merci pour cette question. Déjà, je suis un peu une autrice sadique avec les adultes, je dois le dire. On va souvent souffrir avec les personnages, dans le sens où, non mais ça va bien se passer, si vous le lisez. Mais c'est juste, j'aime bien l'idée, c'est pas juste faire souffrir le personnage, c'est que le mettre face à des dilemmes. Par exemple, dans La Mère chantera ton nom, les trois personnages qu'on suit ont tous un dilemme particulier. Il y a un personnage, c'est est-ce qu'il a le choix entre effacer le passé où il a été esclave, pour justement ôter l'esclave du monde entier, mais ça voudrait dire du coup effacer la femme qui l'aime, puisqu'elle descend de cette histoire. Il y a un autre personnage, elle se demande si, j'essaie de poser la question sans spoiler, est-ce que aimer l'autre, c'est se trahir par rapport aux aspirations qu'elle a de se découvrir, de connaître sa vérité. Donc en fait, c'est des questions extrêmement larges qu'on peut tous se poser, et que je resserre après de plus en plus comme un étau au fur et à mesure de l'intrigue. Et à la fin, on se demande vraiment ce qu'ils vont choisir. Et j'aime l'idée que l'empathie en fait se fait à chaque fois qu'on se dit, moi j'aurais fait ça ou je n’aurais pas fait ça, ou j'aurais fait comme ce personnage-là, ou je n’aurais pas fait comme ce personnage-là. Et à la fin, on a mal avec lui, on pleure avec lui, on est content avec lui. Pour moi, c'est vraiment dans cette espèce d'étau qui se referme au fur et à mesure de l'intrigue qu'on crée un pont avec les personnages. Et ça, c'est la partie technique en termes d'écriture. Après, en termes d'empathie, c'est tout simplement aussi parce que mes personnages pour moi sont des personnes. Je vis avec ces personnages. Et quand je dis que je vis avec, c'est-à-dire que je suis capable de savoir quel timbre de voix ils ont, qu'est-ce qu'ils diraient ou ne diraient pas. Donc c'est des personnages avec lesquels j'ai vécu depuis 8 ans. Et donc, en fait, je suis capable de les décrire comme on décrirait quelqu'un qu'on connaît très, très, très bien. Et je crois que c'est ce qui se ressent aussi dans l'histoire ou dans l'écriture. C'est pour ça qu'on voit leur défaut. C'est pour ça qu'on n'est pas d'accord avec eux, mais qu'on a envie de les suivre quand même. Il y a quelque chose autour de très humains que je ressens pour eux et que j'essaie de remettre dans cette histoire-là. Et la preuve étant que quand j'ai écrit le personnage d'Elikia, donc au bout d'un moment quand j'ai décidé de faire un plan parce que ça faisait quand même déjà trois temps, j'avais prévu qu'Elikia irait dans telle direction et au moment où j'arrive en fait au chapitre que je dois écrire, ça marche pas. Donc je suis là, je me dis ben... Non, mais ça devrait marcher. De toute façon, c'est moi la créatrice, c'est moi qui ai fait cet univers-là. Donc je vais marquer, Elikia va passer par là, par ça et ça et ça, et elle va réagir comme ça. Et en fait, ça sonne faux. Et quand vous avez un personnage qui y a sa propre direction et qui vous force à changer la trajectoire de l'histoire, pour moi, vous avez créé une personne. Parce que c'est comme quand vous dites à quelqu'un, mais je pense que tu devrais faire ça, il vous dit non, moi, ce qui me correspond, c'est ça. Là, je me dis qu'en fait, on tient une personne plus qu'un personnage. Donc je crois que c'est là où aussi réside l'empathie.
Lia Warsa. Aussi, comme on l'a parlé à tout à l'heure, la solidarité qu'il y a dans le récit en fait, de voir tout la vie des autres personnages, de voir la réaction qu'ils ont les uns aux autres. En fait, on est vraiment liés à eux parce qu'on voit quel impact ils ont sur les autres en fait. Du coup, on est vraiment empathiques, on est dans leur histoire.
Laura Nsafou. C'est vrai que ça m'a surpris d'avoir autant de... Quand la trilogie s'est finie, là où, je pense, comme beaucoup d'auteurices, on est plus soucieux de se dire est-ce que j'ai fait une bonne fin. Quand ça s'est fini, les premiers retours que j'ai eu, c'est... Ah, en fait, ils vont plus être là. Ça m'a un peu surpris parce qu'il y a des personnes qui me disaient mais je suis en deuil, est-ce que c'était sûr qu'il n'y a pas une suite ou un petit chapitre supplémentaire pour qu'on reste un peu plus longtemps avec eux. Donc il y avait un peu avec cette idée que la communauté était tellement présente que cette empathie-là, en fait, elle restait même quand on fermait le livre. Mais ça, je ne suis pas sûr qu'en tant qu'auteurice, on peut le planifier. Mais nous, on les suit, en fait.
Public. Je voulais vous poser une question parce qu'on utilise souvent les outils de Bechdel pour les personnages féminins, mais est-ce qu'on a des équivalents pour des personnes racisées ou pour des minorités de genre aussi ?
Laura Nsafou. On utilise quoi ? Vous avez dit, pardon ? Ah, bonne question. Oui, alors quelqu'un au fond me dit que oui, parlez-vous après, changez vos ressources. Moi, je n'en utilise pas, mais je pense qu'il y en a... Oui, parce que, ne sois-ce que côté anglophone, il y a beaucoup de ressources aussi de ce type-là. Après, je ne sais pas s'il y en a beaucoup en français. Moi, je n'en ai pas utilisé. Ce qui m'a vraiment aidé, c'est plutôt de comprendre une tradition littéraire noire, et surtout autour des femmes noires. Un exemple très bête. Toute la génération de Toni Morrison, Alice Walker, Maryse Condé, Simon Schwarzbart, il y a quelque chose qui revient beaucoup sur les femmes noires qui refusent d'avoir des enfants et qui veulent vivre pour elles-mêmes. Il y a un truc par rapport à cette génération-là qui est très présent. Il y a plein de super thèses, mémoires dessus. C'est passionnant, mais du coup, c'est des traditions. Et en fait, juste avant, donc Zora Nillerstone, etc., c'est encore autre chose. Et donc voir, en fait, les différents... C'est pas des schémas, mais presque les différentes périodes d'un canon littéraire, ça m'a beaucoup aidé à savoir ce que je voulais faire aujourd'hui en termes de personnages, etc., etc. Et je trouve que ça permet d'avoir une bibliothèque du coup d'écriture de personnages noirs. Et on y revient encore, même si je détestais lire petite, donc je ne suis pas dans la sacralisation de... Il faut adorer lire pour écrire. Moi, j'ai écrit plus que je n'ai lu. Mais le fait de lire et surtout de comprendre ce qui m'intéressait en termes de littérature, ça m'a permis d'avoir cette bibliothèque-là. Ça constitue une banque de données. Et en fait, plus on lit, en tant que lecteur ou lectrice, plus aussi on exerce son œil en tant qu'artiste. En fait, si déjà tu lis un bouquin en te disant, je me demande comment écrire des personnages noirs et que tu lis plusieurs bouquins. Ton œil, au fur et à mesure, va repérer tout seul la manière dont les personnages noirs sont décrits. Et même sans que tu notes, va commencer à se faire une petite bibliothèque de manière de décrire. C'est pour ça que je parle de pratique. Je pense vraiment à cette manière de pratiquer, d'être en relation avec différentes cultures, différentes traditions artistiques autour de la représentation des personnages noirs. Je crois aussi à l'approche pluridisciplinaire. Par exemple, la série Arcane, dans la représentation des personnages noirs, elle est incroyable, elle est incroyable. Peut-être pas en termes de personne... Enfin, l'écriture des personnages est à débattre, mais le design, la manière dont les nuances de peau sont représentées, les effets de brillance, etc., c'est hyper intéressant. C'est hyper intéressant. Et la question, du coup, face à une œuvre visuelle, c'est comment tu retranscrire ça à l'écrit. Ça, c'était tout de suite un exercice d'écriture. Je m'arrêtais là, parce qu'on va pas lancer un atelier d'écriture maintenant, mais super question. Donc je pense qu'il y a plein d'autres points d'entrée, en fait.
Lia Warsa. Le test Bechdel, l'avantage, c'est qu'il est simple, il est très facilement adaptable. Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est juste un test en trois règles. Est-ce qu'il y a deux personnages féminins ? Est-ce qu'ils ont chacun un nom ? Est-ce qu'ils se parlent, et spécifiquement, d'autres choses qu'un homme ? Du coup, en fait, c'est facile de l'adapter, parce qu'il suffit de partir du principe, est-ce qu'on a deux personnages noirs ? Est-ce qu'ils ont tous les deux un nom ? Est-ce qu'ils se parlent d'autres choses que deux personnes blanches ? Et tu as adapté ton test ?
Laura Nsafou. Est-ce qu'ils meurent au début ?
Lia Warsa. Oui, aussi très important, celle-là.
Laura Nsafou. Ça, pour moi, c'est la question même numéro... Ah, est-ce qu'ils meurent au début ? Il y en a plein. Est-ce que, déjà, on parle de... Oui, est-ce qu'il est drôle ? Est-ce que c'est un ressort humoristique ? Ou est-ce que c'est une personne ? Est-ce qu'il a une personnalité ? Il y en a plein. En fait, il faut qu'on le fasse.
Public. Merci. Je vous écoute et je trouve que vous n'êtes pas vindicatif par rapport au blanc et ça me fait plaisir parce que dans la salle il y a quand même beaucoup de blancs. Je trouve ça un problème important par rapport toujours cette histoire du colonialisme que moi j'ai pas ressenti quand j'étais jeune, j'avais des amis noir mais je ne me rendais pas compte qu'on ne se faisait pas le problème. Alors que je vois maintenant, c'est un problème qui est ardu. Enfin, ça revient souvent, quoi.
Laura Nsafou. Je pense que c'était déjà là avant. Je pense qu'il y a l'expérience personnelle et l'expérience collective. Et là, aujourd'hui, on arrive à un stade aussi où il y a une mémoire où, si aujourd'hui, Haïti paye toujours une dette coloniale, pour eux, c'est encore leur présent. Par exemple. Si aujourd'hui, il n'y a toujours pas de réparation par rapport aux Antilles, qui sont plus facilement perçues comme des destinations touristiques que comme des citoyens victimes du chlerdémonne et manquant d'eau encore aujourd'hui en 2025. Qu'est-ce qu'il y a aujourd'hui et qu'est-ce qu'on a laissé pourrir aussi ? Je pense que c'est pour ça que ça revient. Enfin, ça revient. Je pense que ça a toujours été là en vrai. Mais je pense qu'en termes d'expérience collective, on peut avoir une impression de résurgence, entre guillemets, parce qu'il y a trop de choses qui se sont accumulées. Je pense.
Lia Warsa. Et parce qu'on a une ouverture à la parole qui est très différente aujourd'hui. Les réseaux sociaux ont permis énormément de choses, mine de rien. Le fait qu'on ait des associations qui se soient créées, le fait qu'il y a eu énormément de débats qui ont été lancés au moment où il y a eu des collectifs, par exemple, les collectifs, Mawsi, qui a commencé à faire des événements en non-mixité non seulement en genrée, mais également raciale, et d'un coup, wow, c'est de la suite possible. Non, on a besoin de tout le monde pour parler.
Laura Nsafou. Et il y a aussi une réalité, comme pour l'image qu'on a du féminisme ou autre, c'est qu'il y a eu un effacement. C'est-à-dire, je prends juste l'exemple de mon père. Beaucoup de personnes noires, je vais juste dire noires, parce qu'après, il y a aussi d'autres strates en termes de marginalisation. Mais mon père a voulu faire un mémoire, ou un doctorat en tout cas, sur les questions de colonialisme. On lui a volé sa thèse. Il y a énormément de travaux de personnes issues de ces peuples colonisés qui voulaient apporter cette conversation sur la table, qui ont été silenciés, effacés, volés, détournés depuis des décennies, qu'ils n'avaient pas de blog à ouvrir pour dire, en fait, j'ai fait ça. Dès lors qu'ils n'étaient pas dans des canaux de diffusion académique ou même qu'ils n'avaient pas accès à la presse, en fait, cette parole était là, mais on ne pouvait pas l'entendre. Donc je pense que c'est ça, c'est qu'on a, comme tu l'as très bien dit, j'ai vraiment oublié, on a eu les réseaux sociaux qui ont permis cette mise en avant de ces conversations-là, qui étaient déjà présentes pour moi, par exemple, quand j'étais petite dans le salon de mes parents, par exemple. Et je suis aussi de cette génération-là. Donc je ne pense même pas que la carrière que j'ai eue aujourd'hui, je ne l'aurais pas eu sans les réseaux sociaux, où j'ai pu adresser les questions d'afrofeminisme et de représentation, etc. Et même comme ça, même par ce biais, ça a été extrêmement violent et difficile.
Public. Bonsoir, merci. Je reviens sur un sujet qui a été abordé au tout début sur les questions des divinités des différentes sociétés africaines. Je suis un petit peu étonné qu'il n'y ait pas de travaux universitaires sur tout un continent.
Laura Nsafou. Alors, c'est la grosse question. Ah, j'étais quand même fou. C'est-à-dire qu'il y a des travaux universitaires faits par des chercheurs africains, mais extrêmement, extrêmement, et j'espère que ça a changé parce que quand j'ai commencé ce travail, c'était il y a six ans, mais extrêmement difficile d'accès. On parle d'un PDF trouvé à 2h du matin, quelque part dans les méandres de Google. Donc ils existent, mais ils sont extrêmement difficiles d'accès. Et qu'est-ce qui est plus facile à trouver ? Ce sont les textes anthropologiques de missionnaires dans les années 1700 qui vont vous dire, ah, je crois qu'ils prient cette divinité qui s'appelle Sénégal. Sénégal, ça veut dire la barque, la pirogue, et c'est devenu le nom d'un pays. Donc en fait, déjà, c'est extrêmement compliqué, non seulement d'avoir des ressources directes des personnes concernées, et aussi qu'elles soient accessibles. Donc moi, j'adorerais justement... Après, je pense que là encore, il faut resituer, si j'avais fait mes recherches depuis un pays d'Afrique francophone, j'aurais peut-être eu plus de facilité. Il y a aussi un deuxième point qui est la culture du secret aussi. On parle de divinités qui étaient très, qui sont encore aujourd'hui dans une traduction orale, dans une tradition du secret, qui n'a pas forcément vocation aussi à être diffusée comme ça partout. Donc ça fait beaucoup d'embûche. Et c'est aussi pour ça, connaissance et d'embûche-là, que je précise toujours que nos jours brûlés, c'est inspiré de ces divinités-là. Donc mon panthéon, il est créé, mais à la fin du bouquin, il y a toutes les divinités dont je me suis inspirée, pour que si on veut aller plus loin et connaître les vraies divinités qui sont encore priées aujourd'hui, qu'on puisse en fait avoir... Comment dire ? Oui, avoir une base. Et il y a aussi des rapports de force en termes d'édition. C'est-à-dire que quand je suis allé au Brésil, il y avait des tonnes et des tonnes et des tonnes d'anthologie sur non seulement la mythologie des orichas, mais aussi d'Afrique de l'Ouest. Il y avait énormément de choses. Sauf que la littérature portugaise n'intéresse pas le marché anglais, n'intéresse pas le marché francophone ou très peu. Donc en fait, quand vous arrivez au Brésil, vous voyez plein de références et vous y avez pas accès. Et pareil, les productions publiées en Afrique francophone ne sont pas dans nos Fnac. Très souvent, ce qu'on a, c'est l'auteur africain primé dans tel pays d'Occident, qui ensuite va être axé. Donc quand il y a vraiment des rapports d'accès qui ont extrêmement difficile ces sources-là, j'aurais aimé faire un séjour de recherche sur place. Ça aurait été génial. Mais il aurait fallu se choisir quel pays, quelle université, quelle ressource. Et puis aussi, comme je le disais, je suis française. Donc même si je suis allé voir mes oncles, les tentes congolaises pour savoir ce qu'on avait raconté quand ils étaient petits, etc., quand je me suis rendue au Sénéral, on me disait, oh, laisse ces choses-là, laisse, laisse, c'est pas, c'est pas, voilà, il y avait quand même ce truc de, c'est un savoir qui nous est propre. Et ça aussi, ça demande aussi une relation de confiance en termes de diffusion. Donc il y a plein, voilà, pour toutes ces raisons. Ouais, j'attends. Mais peut-être qu'on va voir cette encyclopédie émergée.
Public. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez raconté et puis aussi pour votre blog que j'ai découvert récemment. Alors moi, ma question va plutôt porter sur le domaine de la fantaisie, je ne sais pas si vous êtes aussi spécialiste de ça, mais j'ai l'impression qu'il y a de plus en plus d'auteurices qui mettent en avant des personnages racisés. Mais, enfin, qu'est-ce que vous pensez de la réception du public ? En un moment, je sais que vous parlez de whitewashing dans votre blog. Moi, c'est quelque chose que je ressens beaucoup et qui m'affecte beaucoup malgré les efforts faits par les auteurices blancs et blanches. Et qu'est-ce que vous en pensez ?
Laura Nsafou. Tellement de choses à dire. Alors je pense que déjà, il y a plusieurs choses. C'est que même dans la proposition littéraire qu'on a avec des personnages racisés, déjà écrits par des personnages concernés, très souvent c'est anglophone. Donc déjà, comme on me dit, c'est super, Laura, maintenant il y a beaucoup plus de livres avec des personnages noirs. Très souvent, c'est des traductions de titre américain. Et encore, j'aimerais que ce soit d'autres pays anglophones, mais ce n’est souvent pas le cas. Donc déjà, pour moi, il y a une espèce de part avant qui donne une impression de diversité, qui est quand même un monopole littéraire très fort. Ensuite, l'autre strate, oui, en fait, c'est devenu déjà d'un point de vue statistique. Après la mort de George Floyd, il y a eu un intérêt de toute l'édition américaine pour les questions de diversité et particulièrement des personnes marginalisées en littérature, young adulte, dans tous les domaines confondus, jeunesse. Donc il y a eu des commandes jetées comme ça aux États-Unis sur « On veut publier des livres avec des personnages marginalisés ». Super, vous allez me dire, sauf que ce qui est arrivé, pour certains auteurs, ça a permis de lancer des carrières. Je pense à The Hate U Give (Angie Thomas), enfin voilà, d'autres livres, mais il y a eu aussi cet effet de mode. Et c'est sourcé, il y a les chiffres. Deux ans plus tard, c'est très macabre, mais deux ans plus tard, après la mort de George Floyd, ça a disparu cette tendance. Et là, en fait, ce qu'on a, c'est des petites tentatives de continuer à... En fait, ce qu'il se passe, c'est qu'on a une instrumentalisation du corps des personnages racisés de plus en plus, parfois, aussi, qui sont juste sur les couvertures, mais pas dans le bouquin, ça aussi, je l'ai beaucoup vu en jeunesse. Donc il y a, pour moi, on arrive à ce truc où j'appelle le lectorat quand il regarde un bouquin qui dit « Oh, c'est génial, il y a de la représentation, de savoir qui est derrière, quels sont les intentions aussi du livre ». Mais après, il y a un problème sur le fait de concevoir juste les personnages marginalisés comme sujet. Si on les conçoit comme des personnages, on ne devrait pas sentir cette espèce de tentative ou d'efforts de les mettre au chausse-pied dans une histoire. En fait, si vous voulez considérer comme des personnes, ça ne devrait pas poser problème. Et je pense que c'est ça, comme ça a été cette espèce de tendance de « il faut en mettre », même si on ne sait pas trop comment, mais du moment qu'on en met un et qu'il a la peau basanée, ça passe, ça a été mal fait. Et aussi, parce qu'il y a cette peur d'avoir cette conversation, c'est-à-dire que ça s'apprend, ça s'apprend qu'on vit dans une société raciste qui nous a donné depuis qu'on est petits un imaginaire colonial, en fait, on l'a ingéré et donc pour désapprendre ça, ça s'apprend, il faut s'asseoir, il faut venir dans nos ateliers, on n'a pas envie de venir, il faut être mal à l'aise, oui, on va dire les mots blancs, noir, on va être mal à l'aise, mais en fait, si on n'a pas de conversation, on ne peut pas faire un travail de fond. Et le dernier point, et après je me tais parce que je sais qu'on va me chasser d'ici.
Lia Warsa. C'est pas vrai que tu vas signer des livres après.
Laura Nsafou. Je suis désolée, mais le dernier point qui pour moi est fondamental, c'est qui est dans la maison d'édition ? Prendre seulement des personnes marginalisées pour écrire, ça ne suffit pas. Si on a eu en effet post-George Floyd, et déjà, je trouve ça dramatique, qu'il est fallu le meurtre de cet homme pour que ce soit une conversation, et je parle du marché américain, mais parce que le marché américain mène aussi les tendances qu'on peut voir aussi internationales, pour que ce soit quelque chose de permanent, il faut que les équipes dans les maisons d'édition soient toutes aussi diversifiées, que ce soit en comm, que ce soit dans les équipes éditoriales, que ce soit dans les directions d'édition, que ce soit dans les services de fabrication, et ce n'est pas le cas. Et ça, en fait, tant qu'on n'a pas ça, et ça, on parle de personnes marginalisées, mais c'est tous les groupes marginalisés. Quand vous avez une autrice, Elisa Rojas, qui me disait donc une autrice qui est en situation d'handicap dans un fauteuil roulant qui me dit qu'un éditeur lui a dit que je ne me reconnais pas dans votre histoire qui parle de vous, et donc je ne vais pas vous publier, qu'on vient d'histoires n'ont pas accès à nous, parce qu'on a un petit groupe d'éditions qui dit que je ne me reconnais pas, en fait, dans votre histoire. Je pensais que tout ça veut dire que tous les corps, toutes les personnes ne sont pas universelles. Qu'est-ce que ça veut dire ? Donc, beaucoup de travail. Mais ça avance. Donc, comment on fait plier ça ? C'est les lecteurs qui font plier ça. On l'oublie souvent, le monde de l'édition, c'est parce qu'un éditeur pose un livre, et voici, ça se vend, que pendant les dix prochaines années, vous allez avoir plein de livres sur les sorciers, les vampires, etc. C'est vous qui faites plier ça. Sinon, en fait, il n'y a pas de... Si on compte, si le peu de titres qui sont considérés comme des risques, comme un afrofuturisme en France, etc., ne marche pas, on n'aura plus ça, en fait. Moi, j'ai eu de la chance. Enfin, j'ai eu de la chance. Non, j'ai juste proposé quelque chose, et les lecteurs ont dit, en fait, ça nous intéresse, et c'est ça qui peut amener à une vraie diversité.
Lia Warsa. Merci. Merci Ă  tous d'ĂŞtre venus ce soir.
Laura Nsafou. Merci pour vos questions. Merci pour tes questions.
Lia Warsa. Merci, Laura. Et n'hésitez pas à nous retrouver dès demain matin, dix heures pour la cérémonie d'ouverture du festival Ouest Hurlant à La Paillette.
Laura Nsafou. Merci beaucoup.

En cours de lecture

Cérémonie d'ouverture 2025 - Avec Betty Piccioli, Leslie Jannin, Laura Nsafou et Audrey Pleynet

Cérémonie d'ouverture

Leslie. Des foodtrucks qui sont à côté, il y aura une autre zone qui est également plus loin et dans les grands chapiteaux blancs, vous avez tous les exposants et créateurices, donc les maisons d'édition, tout ça, qui vont faire de superbes choses donc n'hésitez pas à aller voir.
Et dans le plus beau des chapiteaux, le chapiteau de cirque au milieu de la pelouse, c'est la librairie où vous retrouverez toustes les invité·es du festival en dédicace. Et encore derrière, c'est la MJC. Alors oui, on s'étale un peu, il y a des choses partout. Dans la MJC, c'est le bâtiment en pierre avec la grande cheminée, qui est un ancien lavoir, du coup. Dans cette salle-là, vous pourrez retrouver la salle de conférences Polymnie, dans laquelle vous aurez du coup différentes conférences. La buvette ludique Mélété, donc on va y avoir des jeux pour les enfants et pour les adultes aussi, et une buvette toujours. Et les secours, si jamais vous vous faites un bobo, voilà, il y a les secours qui sont aussi ici. Et ensuite, vous aurez certaines activités qui se déroulent en extérieur. Par exemple, demain, il y aura une chasse à l'œuf de dragon, voilà, parce que c’est Pâques quand même.
Et cette année, en plus des espaces de la Paillette, donc pour ceux qui connaissent la Paillette, c'est tout ce que je viens de vous raconter, donc on avait déjà l'an dernier, en plus de ça, il y a la salle Lunar, qui est en l’Espace Bourg L’Évêque. Donc vous la trouverez en prenant le petit pont qui est à côté du lavoir, et en suivant les panneaux et les guirlandes de fanion, normalement c'est bien indiqué (sinon c'est très triste) c'est environ à 7 minutes à pied d'ici. Et dans cette salle, vous avez les autres conférences restantes. Et cette année, du coup, cette nouvelle salle, on a voulu l'appeler la salle Lunar, donc elle a été dédicacée en mémoire de notre ami·e et collègue Lunar, qui nous a malheureusement quitté·es cette année. Donc on a voulu lui dédier cette salle, donc on pense tous très fort à lui. Je ne voulais pas te passer la parole là-dessus, je suis désolée [rires].

Betty. [rires] Super, merci. [rires] Je me joins à cet hommage. Du coup, je voulais vous présenter rapidement les temps forts de la matinée. Je ne vais pas vous faire tout le programme. Je vous invite à aller le voir. Il y a des panneaux à l'extérieur où il est détaillé entièrement sur les deux jours. Et puis sur nos réseaux sociaux, vous le retrouverez sur notre site internet, donc vous y avez accès quand vous voulez.
Ce matin, on commence avec deux tables rondes. Il y en a une ici au théâtre à 11h30 avec nos partenaires de l'Observatoire de l'Imaginaire et de la Ligue des auteurs professionnels, plus d'autres invité·es expert·es sur le sujet. Et on va parler de la surproduction dans le milieu de l'Imaginaire, qui est un vaste sujet, qui peut faire polémique, mais qui est très important, notamment pour les auteurs et autrices, pour les éditeurices, pour les lecteurices aussi. Et voilà, je suis très contente de pouvoir vous proposer ce temps-fort avec ces partenaires-là. Et on aura en même temps, à 11h30, en salle Polymnie donc, une présentation en fait des maisons d'édition, des plus petites maisons d'édition, des maisons d'édition en micro-édition, les plus récentes qu'on a parmi les stands que vous retrouverez sous les différents chapiteaux. L'idée, c'était de leur donner la parole et qu’ils présentent leurs nouveautés, leur ligne éditoriale, leur façon de travailler, qu’ils soient un petit peu moins dans l'ombre et que vous puissiez avoir envie de tester aussi d'autres horizons et ces maisons d'édition-là. Et ce matin, on aura aussi, dès 11h00, en salle Mélété, le grand jeu des Mémoires de la forêt. Donc les Mémoires de la forêt, c'est une saga jeunesse dont on a la chance de recevoir la super illustratrice Sanoé sur le festival, une saga qui a beaucoup marqué en jeunesse et il y aura un jeu spécialement pour les familles. Donc n'hésitez pas si vous avez des enfants à aller voir ça. Et ce sera déjà beaucoup pour ce matin. Bien entendu, vous pouvez vous promener, faire les dédicaces et aller voir tous les stands pour les dévaliser. Personnellement, c'est ce que je vais faire en sortant [rires]. Moi aussi, j'ai le droit au final. Et puis pour le reste, je vous laisse regarder le programme. Ce soir, on a aussi beaucoup de choses. Donc voilà, je ne sais pas si tu avais d'autres choses à ajouter.

Leslie. Deux-trois petits trucs : c'est vrai que tu l'as mentionné sur les dédicaces sur ticket. Il y a certaines dédicaces qui sont sur ticket. Ça veut dire qu'il faut avoir un ticket pour avoir une dédicace de la personne donc ça va concerner Christelle Dabos, Claire North ou Catherine Webb c'est la même personne et les dédicaces dessinées pour Sanoé uniquement dessinées. Vous pourrez récupérer des dédicaces à l'accueil extérieur c'est là où il y avait la grosse queue sur les horaires prévues. Mais il y a des horaires prévues du coup cet après-midi, demain matin et demain après-midi aussi pour récupérer des tickets mais on a préféré faire ça pour éviter que ce soit le bazar dans la librairie et que ça se bouscule. Sinon je crois que c'est à peu près tout on voulait remercier surtout tous les festivalièr·es qui viennent ça fait ça fait plaisir remercier nos marraines, remercier les autres invité·es qui viennent cette année. Un petit merci aussi à toute l'équipe d'organisation qui a bien bossé, et ce n'est pas fini. À Betty toujours pour la programmation, ça fait plaisir, on est trop contente de t'avoir. Et à toustes les bénévoles aussi qui vont bosser très dur pendant ce week-end, donc on espère que ça va bien se passer pour tout le monde. Voilà, en tout cas merci à toustes d'être venu·es et passez un bon moment.