L'Ouest Hurlant

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đź“š L'ouest Hurlant, c'est le festival rennais des cultures de l'imaginaires. (Science-fiction, fantasy, fantastique) Et ici, vous ĂŞtes sur son podcast !

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Le podcast de L'Ouest Hurlant permet de revivre ou de découvrir les tables-rondes et conférences qui se sont tenues lors de L'Ouest Hurlant. Il met à l’honneur les cultures de l’imaginaire : la science-fiction, la fantasy et le fantastique. Pour chaque épisode, une transcription est mise à disposition des auditeur·ices. L'Ouest Hurlant est un événement grand public, destiné aux curieux·ses en quête d’évasion, tout comme aux professionnel·les du domaine. Au programme, des conférences, des spectacles et des animations ludiques... Mais aussi des dédicaces, une librairie et des stands d’éditeur·ices. Bonne écoute !


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Tout savoir sur le marché anglo-saxon - Avec Elisa Houot et Aliette de Bodard (Modération Pierre-Marie Soncarrieu)

Tout savoir sur le marché anglo-saxon

Enregistré le 29/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Le marché anglo-saxon du livre attire toutes les convoitises. Mais entre fantasme et réalité, la désillusion peut être grande ! Comment se porte le marché anglophone en imaginaire ? En quoi diffère-t-il du marché francophone ? Est-il pertinent de les comparer ? Deux spécialistes, une agente littéraire et une autrice primée aux États-Unis, répondent.

Transcription :

Tout savoir sur le marché anglo-saxon
Avec Elisa Huot, Aliette de Bodard
Modération : Pierre-Marie Soncarrieu

[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off]
Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…

[Pierre-Marie Soncarrieu] D’abord, on va s’arrêter sur le marché français pour vous donner une petite idée de l'étendue de l'imaginaire français. On parle d'inédits. Ce sont à peu près deux milles nouveautés qui sortent dans l'imaginaire français par an. On ne compte ni les auto-éditions, ni les éditions à compte d'auteur. On ne compte que les éditions à compte d'éditeur. C’est donc le marché traditionnel mais sur lequel n'interviennent ni Elisa, ni Aliette. C'est ce qui va nous donner un point aussi intéressant.

[Aliette de Bodard] Juste un point de correction, moi je fais les deux. Je fais Ă  la fois de l'auto-Ă©dition et de l'Ă©dition traditionnelle en anglo-saxon.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais pas en France ?

[Aliette de Bodard] Pas en France.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Autre chose, le marché français est un marché littéraire qui est très régulé, notamment avec la loi Lang, je ne sais pas si vous connaissez. C’est la loi qui oblige que le prix de vente soit décidé par l'éditeur et non pas par le commerçant, ce qui fait que les entités qui peuvent vendre des livres ont en général une marge de cinq pourcents sur le prix de l'éditeur. C'est aussi un point de grosse différence avec le marché anglo-saxon. À ce sujet-là, Aliette, comment est-ce que tu définis un prix sur ta production ? Comment se passe la mise en vente ?

[Aliette de Bodard] Sur le marché anglo-saxon, c'est l'éditeur qui décide mais les prix sont quand même assez standardisés. Le prix d'un hardcover est dans les 20 livres. Ça peut être plus s'il est plus épais par exemple. C’est pareil pour les mass market paperback, il n’y a pas vraiment d'élasticité là-dessus. En auto-édition, il y a beaucoup plus d'élasticité. Dans mon cas, c'est presque que de l'auto-édition. Mon agence littéraire s'occupe de toute la partie commercialisation et maison d'édition, et moi je m’occupe de la couverture. Je ne fais pas la partie illustration, j'ai essayé et c'est une bonne raison pour ne pas le faire. [Rires] Par contre, en concertation avec l'agence, je décide du prix de vente. Là-dessus ce que je regarde ce sont les livres qui se vendent ou les livres qui définissent les courants et dans quel ordre de prix on est. Sachant que plus un livre est neuf, plus on peut le vendre cher avec la partie nouveauté. Lorsque ça devient ce qu'on appelle du “backlist”, c’est-à-dire des livres qui sont sortis il y a longtemps, les gens s'attendent à ce que ça coûte moins cher. Sur des séries aussi, souvent le premier est moins cher voire gratuit, ça permet d'appâter un peu le lecteur pour qu’il lise le premier tome et après télécharge les trois tomes suivants, on espère. Puis, ça dépend un peu du genre. Typiquement, là, j’ai une romance space opéra où j'avais mis le prix plus en comparaison avec la SF (science-fiction) et en fait, en romance, c'est généralement moins cher parce que les lecteurs sont plus sensibles au prix. Ils préfèrent des trucs à prix un peu plus bas. Je pense que quand le paperback sortira, on va rediscuter avec mon agence pour mettre le prix plus bas pour être dans des fourchettes de prix comparables. Ça dépend aussi pas mal du sous-genre. La SF et la fantasy ont tendance à être plus chers. La romance, ça dépend de la longueur aussi évidemment, a tendance à être un peu moins cher.

[Pierre-Marie Soncarrieu] On va laisser de côté le milieu de l'auto-édition. On va partir sur l'édition classique. En France donc, l'auteur fait son roman, a des bêta et des alphas lecteurs, puis va le proposer à une maison d'édition qui va accepter ou non et on espère avoir une édition. Sur le marché anglo-saxon, dans le circuit traditionnel, à quel moment intervient l'agent littéraire ?

[Elisa Huot] Alors l'agent littéraire intervient exactement au milieu. Quand l'auteur a terminé un livre aux Etats-Unis et en Angleterre, en grande majorité, il ne peut pas lui-même présenter son livre à des maisons d'édition, en tout cas pas à des maisons d'édition classiques, traditionnelles. Il est obligé de trouver un agent. C'est à ce moment-là que l'agent intervient. Au lieu de pitcher son roman à des maisons d'édition, l'auteur le pitche à des agents. Une fois qu'il a trouvé un agent, c'est celui-ci qui s'occupe de trouver une maison d'édition aux livres et qui, après, représente l'auteur pour toute sa carrière et l'ensemble de ses livres.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Ça veut dire que, par exemple, Aliette qui fait de la SF et de la romance et qui décide de faire un essai sur les fourmis, ce sera le même agent qui fera ça ?

[Elisa Huot] Alors ça dépend si c'est un genre que l'agent ne représente pas. Dans notre agence, on a des agents qui sont spécialisés dans à peu près tout. Donc si un de mes auteurs écrit de l’horreur par exemple, ce que je ne fais pas, je demanderai à un de mes collègues de s'en occuper. En revanche, si personne dans l'agence n’est capable de représenter ce titre, l’auteur sera obligé de trouver un autre agent pour ce titre bien spécifique, mais c'est très rare d'avoir des auteurs qui sont dans des genres aussi éloignés.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Et du coup Aliette, tu as déjà choisi de faire à la fois du traditionnel et de l’auto-édition. Est-ce que ça pose des soucis vis-à-vis de ton ou tes agents, ou pas ?

[Aliette de Bodard] Non parce que c'est le partenaire américain de mon agence qui fait la partie auto-édition. Ce sont même eux qui me l’avaient proposé, en particulier sur des œuvres soit de backlist, soit des titres qui sont un peu difficiles à vendre. Par exemple, quand j'avais écrit un re-telling de La Belle et la Bête en version saphique et où la Bête était un dragon, la longueur était surtout super foireuse. C’était trop long pour être ce qu'on appelle une novella, donc un roman court qui peut se vendre dans un certain nombre de maisons d'édition au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais par contre beaucoup trop court pour le faire passer pour un roman. On ne voyait pas ce qu'on pourrait faire pour le rallonger et puis, philosophiquement, ce n’est quand même pas terrible de rajouter des trucs juste pour faire du “gonflage artificiel” de roman. [Rires] Donc sur un projet comme ça, la maison d'édition va être mon agence et on va se coordonner pour sortir un titre.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Là, tes romans anglo-saxons, si jamais tu voulais les sortir en France, comment est-ce que tu pourrais le faire économiquement ? Est-ce que tu as déjà essayé d'ailleurs ?

[Aliette de Bodard] Je n'ai pas essayé, non. Pratiquement, ça passe par le même circuit que décrit Elisa, c'est-à-dire que mon agence a des partenaires en France qui démarchent les maisons d'édition pour voir si quelqu'un est intéressé pour récupérer le roman et le faire traduire.

[Elisa Huot] Ces partenaires-là, en général, ce sont les co-agents justement. Les agents en ont à peu près dans chaque pays ou certains s'occupent de plusieurs pays. Ce sont eux effectivement qui vont démarcher les maisons d'édition. C’est aussi ce que je fais pour l'agence que je représente en France. C'est moi qui démarche, je suis la co-agente française. C'est comme ça que ça fonctionnerait pour les titres publiés en édition traditionnelle ou même en auto-édition d'ailleurs. Tant que ça passe par l'agence, ça peut fonctionner.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Donc un auteur anglo-saxon qui a envie d’écrire pour la France est obligé de garder ce contrat d'exclusivité avec l'agence avec laquelle il est. Il ne peut pas avoir lui-même ces liens amicaux pour pouvoir aller démarcher des auteurs, des éditeurs, ou des traducteurs qu'il connaît.

[Elisa Huot] Il pourrait mais ce n’est pas quelque chose qui se fait. Là-bas, c'est très clair que l'agent est “au centre de tout” et que l'auteur s'en remet à l'agent pour toutes ces questions-là. Moi, j'ai des auteurs qui sont particulièrement intéressés pour être traduits en Espagne ou en France. Dans ces cas-là, ils me le disent et j'essaye de faire tout ce que je peux pour leur avoir ces traductions dans les pays qui leur tiennent à cœur. Mais, à part ça, ça ne se fait pas du tout qu’ils aillent les démarcher eux-mêmes

[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais là tu parles vraiment d'une mentalité très anglo-saxonne où l'agent est au milieu de tout. En France, on n'a pas trop cette mentalité ou alors je ne l'aperçois pas. Comment est-ce que tu pourrais t’insérer dans un schéma d'édition française ? Il faudrait que les auteurs soient partie prenante mais aussi les maisons d'édition. C'est un coût en plus.

[Elisa Huot] C'est un coût en plus mais c'est aussi un avantage puisque les éditeurs négocient directement avec les agents, donc avec des gens dont c'est le métier. C'est souvent difficile pour les auteurs de négocier correctement avec les éditeurs ou même simplement d'avoir une conversation qui est facile avec l'éditeur. Tout ça est facilité par l'agent en France. Je le vois bien. De plus en plus d'auteurs sont intéressés par ce schéma là en France. Pour l'instant, ce serait compliqué pour des primo auteurs d'être représentés par un agent dès le début parce que les maisons d'édition pourraient être réticentes. Pour des auteurs qui sont déjà publiés, pour même un seul roman en France, c'est un schéma qui peut complètement fonctionner. Pour l'instant ce n’est pas extrêmement répandu mais on voit de plus en plus d'agences qui commencent à se créer et c'est une très bonne chose. Je pense que dans dix ans l'agent fera plus partie de la chaîne du livre.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Dans le schéma anglo-saxon, Aliette, quand tu vends tes livres, tu dis que tu définis le prix en auto-édition. Dans l'édition classique, c'est toujours l'éditeur qui décide du prix sur les marchés anglo-saxons ?

[Aliette de Bodard] Oui, je n’ai jamais eu de conversation pour définir le prix. Ce sont eux qui le définissent en fonction du livre. Ils ont la maîtrise sur les coûts d'impression, etc. Je n’ai pas de visibilité et puis, pas spécialement les compétences non plus.

[Pierre-Marie Soncarrieu] On dit souvent qu’en France l'auteur récupère moins de cinq pourcents du prix du livre. Est-ce que tu peux nous parler un peu des revenus d'auteurs traditionnels en anglo-saxon ?

[Aliette de Bodard] Quand je vends un livre en milieu anglo-saxon, l’agence perçoit pour moi les revenus et constitue un à-valoir, donc une avance sur des royalties qui est définie en pourcentage. Je ne me souviens plus des pourcentages. C’est huit pourcents, je crois. Tu dois connaître mieux que moi.

[Elisa Huot] Le basique c’est huit pourcents. Mes auteurs ne signent jamais rien en dessous de huit pourcents dans le milieu anglo-saxon.

[Aliette de Bodard] C’est huit ou douze pourcents à peu près pour un hardcover - un couverture dure -, et entre vingt-cinq et quarante/cinquante pourcents sur les ebooks. Il y a eu beaucoup de conversations sur le pourcentage touché par l'auteur dans le cadre d'un ebook et ça a fait couler beaucoup d'encre, de mails et de discussions pour essayer de fixer un standard de l'industrie. Il y a des pourcentages comme ça sur les audiobooks et sur plein d’autres choses. Une fois, j'ai signé des trucs avec des clauses de produits dérivés. Je me suis dit : “Ok, on ne sait jamais si Hollywood vient frapper à ma porte un jour”. [Rires] Et donc, l’agence est payée là-dessus, prélève une commission ;

[Pierre-Marie Soncarrieu] Sur les huit pourcents qui te sont allouées, il y a la commission pour les agents ?

[Aliette de Bodard] Oui c’est ça, sur ma part à moi.

[Elisa Huot] Sur les huit ou douze pourcents pour le papier et sur tout ce que l'auteur gagne pour le contrat signé.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Du coup, on aborde la question que je voulais poser mais qui est déjà arrivée. Donc, ces huit pourcents là, c'est l'agent qui va les négocier et est-ce que c'est dans son intérêt de négocier plus de pourcentage, de manière à ce que sa commission soit plus importante ?

[Elisa Huot] Dans tous les cas, l'agent a tout intérêt à négocier les meilleures conditions financières possibles pour l'auteur puisque si l'auteur gagne moins, l'agent aussi donc forcément - ce qui arrange souvent les auteurs qui veulent aussi gagner plus. Oui, c'est évidemment dans leur intérêt mais ça arrange aussi l'auteur. Tout le monde est gagnant. Le pourcentage est plutôt difficile à négocier, en tout cas pour ce pourcentage papier de huit pourcents. On a un peu de mal à aller au dessus, surtout quand ce ne sont pas des auteurs mondialement connus. Par contre, le pourcentage des ebooks est plus facilement négociable. Il est plutôt basé sur les droits dérivés que l’on arrive plus facilement à négocier. Il y a une plus grosse marge de manœuvre.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais là on parle de huit pourcents chez les anglo-saxons. On revient aux cinq pourcents français. Comment est-ce qu’un agent pourrait arriver à négocier plus ? Les éditeurs ne sont en général pas d'accord pour payer plus.

[Elisa Huot] Ça fonctionne, j'y arrive. [Rires] Ça fonctionne très bien en général. Il y a aussi beaucoup le fait que les auteurs n’osent simplement pas demander. C'est un petit peu bête mais des fois un éditeur dirait oui à huit pourcents mais comme les auteurs ne demandent pas, ils ne vont pas le proposer. Les éditeurs ont un peu tendance à proposer des pourcentages qui sont bas en sachant qu’ils peuvent faire mieux mais beaucoup d'auteurs n'osent pas du tout négocier et ne le font pas forcément. En tout cas, ça se négocie très bien.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Il n’y a pas de réticence parce que ce sont des grosses maisons d'édition ou même les petites maisons d'édition ?

[Elisa Huot] Alors, les maisons d'édition qui ont le moins de réticence sont celles qui font aussi des traductions parce qu’elles sont amenées à travailler avec des agents ou des co-agents au quotidien et donc ont l'habitude de tout ça. Les plus petites maisons d'édition ont sans doute plus de mal à accepter la négociation. Dans tous les cas, il faut essayer. Mais, les grandes n’ont aucun problème avec ça.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Aliette, dans la partie auto-édition, est-ce que tu as déjà utilisé ce qu'on appelle les facilitateurs d'édition que peuvent être CoCyclics, Amazon, Wattpad, des faiseurs de reconnaissance ?

[Aliette de Bodard] Pas spécialement, non. Mes livres sont vendus sur Amazon mais je n’ai jamais utilisé ni Wattpad, ni CoCyclics.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que l'agence littéraire peut s'appuyer sur ça, c’est-à-dire sur des textes qui ont déjà été travaillés, qui ont déjà une reconnaissance ?

[Elisa Huot] C'est une question compliquée que l’on se pose souvent puisque un texte qui a déjà touché pas mal de monde, sans avoir été un gros carton par exemple sur Wattpad, on va se demander si les lecteurs touchés n’ont pas déjà lu le livre. Donc, est-ce que ça vaudrait le coup de l'éditer ou pas ? C'est vraiment du cas par cas. Par contre, si c'est un carton ultime, oui bien sûr. Là, l'éditeur va le vouloir tout de suite, c'est évident. Pour ceux qui fonctionnent bien sans être des gros cartons, c'est vraiment du cas par cas.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Là-dedans, l’agent ne fait que proposer un texte qui est déjà a priori fini. Il reste quand même la partie correction sur un texte.

[Elisa Huot] Oui. On a plusieurs types d'agents. Il y a les agents éditoriaux ou non. C'est ce que je fais, c'est-à-dire que les textes que je représente, je les corrige avant de les présenter à des éditeurs. J'ai des collègues qui ne font pas ça, simplement parce qu'elles n’ont pas le temps et que ce n’est pas la partie qui les intéresse le plus. Elles ne prennent que des textes qui sont déjà prêts à être présentés à des éditeurs. Moi, j'aime justement cette partie : améliorer le texte jusqu'à ce qu'il soit au maximum de son potentiel. C'est quelque chose que je fais mais tous les agents ne le font pas. C’est une question à poser à des agents potentiels.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que le fait que tu aies cette compétence en plus influe sur la commission que tu vas récupérer ?

[Elisa Huot] Je touche autant. La commission ne change pas. J'ai des auteurs pour lesquels j'ai vendu leurs livres alors que j'ai travaillé deux heures dessus, puisqu'ils se sont vendus quasiment tous seuls. Il y en a d’autres sur lesquels j'ai passé deux cents heures au total en correction et en présentation à des éditeurs. Le premier m'a rapporté beaucoup, le deuxième, avec ses deux cents heures de travail, ne m'a rien rapporté du tout puisqu'on ne l'a jamais vendu. La commission ne dépend absolument pas du travail que l’on fait. Elle est complètement fixe.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Et toi, Aliette, est-ce que tu as une préférence entre une agence qui te fait des corrections ou un éditeur qui te propose une correction pour coller à sa ligne éditoriale ?

[Aliette de Bodard] Non. Avec mon agence - là je suis quand même dans un schéma qui est bien établi, avec une carrière qui est déjà bien établie - les livres que l’on essaie de proposer généralement, elle les soumet directement voire on vend sur ce qu'on appelle un “proposal”, c'est-à-dire un synopsis et trois chapitres au lieu du manuscrit complet sur lequel ils jettent un rapide coup d'œil. On s’arrête là parce que j'ai déjà cette reconnaissance, j'ai déjà une carrière qui existe et globalement on sait dans le milieu que je vais être capable d'écrire un livre et que les corrections éditoriales vont être suffisantes. Les premiers livres que j'ai vendus pour le coup, mon agent avait regardé, m'avait fait des commentaires et des corrections avant qu'ils soient soumis. Pareil, je sais qu'on a eu un livre qui était sorti mais qui ne se vendait pas donc il avait de nouveau regardé pour voir s’il y avait des modifications qui étaient possibles pour essayer de mieux le présenter à d'autres maisons d'édition. Après, les corrections éditoriales sont plus ou moins constantes. Ça dépend franchement du style de l'éditeur, de ce qu’il veut faire et de ce que je suis prête à faire. Je sais que quand j'avais vendu La Chute de la Maison Flèches d'Argent, donc The House of Shattered Wings, en Angleterre, ils m'avaient demandé d'enlever toute une partie et j’ai dit : “Non, je ne veux pas enlever cette partie-là mais je comprends que ça vous pose un problème.” On a donc discuté pour savoir comment l’on pouvait faire pour garder la partie et résoudre leur problème en même temps. C'est vraiment une approche collaborative. Ce n’est pas : “Si vous ne faîtes pas ça, on ne va pas acheter le livre.”

[Pierre-Marie Soncarrieu] Sur ta partie auto-édition, je parle plutôt sur le marché américain, est-ce que tu as de la correction à faire ? Est-ce que tu as un schéma correctif ou tu proposes un texte qui va être apprécié et ce sont les agences qui te disent si ça va ou pas ?

[Aliette de Bodard] Quand je fais de l'auto-édition, les agences ne me disent pas si ça va ou pas parce que, comme j’amène le budget de la couverture, leur avance de frais est minimale. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas. C’est l’avantage. Il n’y a pas beaucoup d'investissements en “upfront” sur des choses comme ça. Du coup, c'est plus moi qui vais démarcher des lecteurs que je connais, je leur demande ce qu’ils en pensent, s’ils pensent que ça peut marcher, s’ils ont des corrections à suggérer. Ensuite, on va rentrer plus dans un schéma de correction micro de ce qu'on appelle les “copy edit”. Je ne sais pas ce qui est l’équivalent des “copy editing” en français. Ça n’existe pas ? D'accord. [Rires] On va peut-être expliquer ce qu’est un “copy editing” pour commencer. Alors, en Angleterre et aux Etats-Unis, quand je présente un texte même après l’avoir vendu, pour partir en production donc à l'impression, il va d'abord y avoir un, deux, trois, ou plusieurs rounds de ce qu'on appelle les “edit”. Ce sont des corrections éditoriales qui peuvent être assez lourdes. C’est par exemple restructurer tout le dernier tiers car ça ne marche pas du tout. Une fois que le texte est à peu près figé, on va avoir ce qu'on appelle les “copy edit”. Ce sont des corrections de grammaire, de cohérence interne comme par exemple se dire que : “tiens, machin avait les yeux bleus au chapitre cinq. C’est marrant, ils ont changé de couleur. Est-ce normal ?” ou encore, “Il s’est levé deux fois dans le chapitre”, ou “Au chapitre précédent, tu sais qu’il s’était fait poignarder ? Parce qu’il m’a l’air un peu vaillant quand même !”. C’est ce genre de problèmes de cohérence narrative interne relativement mineures ou des corrections grammaticales. Par exemple, l’éditeur demande : “T’es sûre que tu veux une phrase qui fasse un paragraphe entier ? Parce que c’est un peu osé quand même” ou me dire que sur les point-virgules, il faut que j’y aille mollo. C’est mon truc préféré, j’adore les points virgules. Mes copy éditeurs me détestent. Ils passent leur temps à les enlever. [Rires] Donc ça c’est la partie copy edit, puis il y a la partie qui se rapproche le plus des preuves : les “proof”. Le texte est mis en page. Je dois relire la mise en page pour vérifier qu’il n’y a pas d’erreurs. Un ou plusieurs relecteurs des preuves vont aussi vérifier qu’il n’y a pas de faute. Généralement, il y a plusieurs rounds de ce processus, deux voire trois, mais ça dépend des maisons d'édition. Je fais la partie correction éditoriale en auto-édition avec des lecteurs qui me relisent et qui me font des commentaires pour que je puisse re-structurer le texte. Je fais une partie “copy edit” et/ou “proof reading” pour faire à la fois des corrections grammaticales donc vérifier qu'il n’y a pas de faute de frappe et à la fois des corrections de cohérence donc que “machin” ne s'est pas levé deux fois dans le même chapitre.

[Pierre-Marie Soncarrieu] C’est donc vraiment une réduction du coût de la part de l’éditeur puisque tu es seule avec tes lecteurs. Un sujet un petit peu épineux, celui des trigger warnings. Où est-ce que ça se passe dans la partie traditionnelle classique ? Est-ce que la maison d’édition fait appel ou est-ce que c’est l’auteur ? Est-ce que c'est une convention ?

[Elisa Huot] En général, quand j'ai eu affaire à ça, ce sont les auteurs eux-mêmes qui le mentionnaient. Ça arrive des fois qu’ils ne soient pas spécialement conscients de tout ce qu’ils mettent non plus dans leurs livres et qu’ils ne soient pas conscients qu'il faut rajouter des trigger warnings.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Avant tout, est-ce que tu peux expliquer ce que c'est pour ceux qui ne le savent pas ?

[Elisa Huot] Vous pouvez le trouver au début du livre voire même des fois sur la quatrième de couverture. Ça sert à informer sur ce que l’on va trouver dans le livre par exemple de l’inceste, la mort d’un animal, des choses qui peuvent être assez violentes pour le lecteur si vous tombez dessus par hasard. Du coup, l'éditeur remarque qu'il faudrait ajouter des trigger warnings. Il y en a qui sont assez pointilleux, où le moindre truc il faut le rajouter. Il y en a qui s'en fichent un peu, qui pour eux, si l'auteur ne les met pas, ils ne les mettront pas. Ça dépend vraiment de l'éditeur et ça dépend de sur qui on tombe.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Même question pour les “sensitivity readers” ?

[Elisa Huot] Les “sensitivity readers” sont des personnes à qui on fait appel pour vérifier que le texte ne heurterait pas la sensibilité des personnes qui sont concernées par un livre. En général, ce sont les éditeurs qui font appel à des “sensitivity readers” parce que eux-mêmes ne sont pas forcément concernés par l'histoire donc ne pourraient pas être à même de dire si tout convient ou pas. Ils ont des “sensitivity readers” à disposition pour à peu près tout et ils font appel à eux quand c’est nécessaire.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais, est-ce que c'est quelque chose qui se fait assez facilement, qui est plutôt répandu, ou c'est juste quelques maisons d'édition ?

[Elisa Huot] Plutôt les grandes quand même. Si jamais la maison d'édition ne fait pas appel à un lecteur de ce type et que, à la sortie du livre, on remarque qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, ça va très mal se passer pour elle et pour les ventes du livre. Maintenant, ils ont vraiment tout intérêt à s'assurer que tout est “nickel” avant de l'envoyer donc c'est de plus en plus répandu.

[Pierre-Marie Soncarrieu] C'est quelque chose qui est Ă  l'initiative des maisons d'Ă©dition, donc ni de l'agence, ni de l'auteur.

[Elisa Huot] Oui, ce sont les maisons d'édition puisque l'auteur en général est concerné par l'histoire donc tout va bien, et l'agence elle-même n’est pas du tout responsable de ça. Elles voudront s'assurer que tout convient. Certains auteurs, quand ils écrivent un personnage secondaire par exemple avec qui ils ne s'identifient pas, vont faire appel eux-mêmes mais c'est beaucoup plus rare.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que tu fais appel à des “sensitivity readers”, Aliette ?

[Aliette de Bodard] Ça dépend. J’ai des projets sur lesquels je fais appel à eux parce que je ne suis pas spécialiste. Quand j’ai écrit The Red Scholar’s Wake, qui est, pour simplifier, un space opera qui se basait sur des conventions vietnamiennes, j'ai beaucoup utilisé ce qu'on appelle du “sino vietnamien” qui est du vietnamien archaïque parlé à l'époque de l'empire vietnamien. C'est un peu comme parler latin si vous voulez et je n’ai pas de connaissances en latin. [Rires] J’ai donc demandé à quelqu'un de relire tous les noms que j'avais donné aux personnages pour vérifier que je n'avais pas appelé quelqu'un “banane de quelque chose” ou un truc hilarant sans le faire exprès. Puis, il y a des trucs pour lesquels je ne suis pas du tout concernée. J’ai écrit In the Vanishers’ Palace qui est de la science-fantasy où le personnage principal est médecin et a pas mal à gérer des questions de maladies ou de handicap. J'avais des personnages non-binaires dedans donc j’ai demandé à quelqu'un de faire la relecture pour tout ça, histoire de m'assurer de ne pas véhiculer des représentations qui pourraient être clichées, complètement fausses et trop éculées.

[Pierre-Marie Soncarrieu] C'est quelque chose qui est de ton initiative. Ce n’est pas de la maison d'édition. Du coup, pour tout ce qui est auto-édition, il y a cette relecture qui se fait en même temps que tes bêta lectures par tes lecteurs.

[Aliette de Bodard] Soit en même temps, soit après. Pour le sino vietnamien, je l'avais fait après parce que j'avais attendu que le manuscrit soit bien sec et d'être sûre qu'il n'y aurait pas trois personnages différents qui allaient arriver, ou que certains des noms étaient symboliquement importants et donc si l'arc ou l'intrigue liés au personnage changeaient, le symbolisme ne serait peut-être plus forcément d'actualité. Je voulais avoir la peinture métaphoriquement très sèche sur l'échafaudage, mais ça dépend. Après, je ne sais pas si on les appelle des “sensitivity readers” quand je ne les paye pas. Je demande leur avis à des ami·es, en disant : “J'ai ça comme idée. Est-ce que c'est vraiment l'idée la plus foireuse que j'ai jamais eue ?”. Mais, ça fait un minimum de “check”. De la même façon, quand vous écrivez un roman de space opéra, on ne va pas se tromper sur la mécanique orbitale, ce serait bien aussi de ne pas se tromper sur des langues. J’ai des gens qui utilisaient du japonais comme si c'était du vietnamien et qui me parlaient de caractères ou je ne sais quoi pour écrire le vietnamien. Pour information, le vietnamien utilise l'alphabet latin depuis, à peu près, le début du XXème siècle. Juste des choses où, je ne sais pas si c’est du niveau des “sensitivity readers”, mais étant concernée, je me dis que Wikipédia existe quand même !

[Pierre-Marie Soncarrieu] Elisa, lorsque tu viens en France et que tu démarches des maisons d'édition, est-ce que ce type de questions sur les “trigger warnings”, “sensitivity readers” joue sur ton approche ?

[Elisa Huot] Pas du tout. On ne m’a jamais posé la question. Je n’en ai jamais vraiment parlé. Dans tous les cas, l’éditeur va lire le livre même si je lui dis qu’il y a des trigger warnings ou ce genre de choses, ça ne lui changera pas spécialement son idée. Je le pitche donc il sait de quoi ça parle. Il le lira et après il estimera si ça lui convient ou pas et si en France il y a besoin de mettre des trigger warning ou pas. Parfois, des éditeurs français ne les mettent pas alors qu'ils y sont aux Etats-Unis et inversement. Ça dépend mais en tout cas, je n’en parle pas.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Et il n’y a aucune cohérence entre l'édition française et anglo-saxonne sur ce type de question ?

[Elisa Huot] Certains les reprennent mais c'est très rare. Je n'ai jamais eu de cas où ils copiaient-collaient les trigger warnings.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce qu'on pourrait dire - mais là j’y vais avec mes gros sabots - que le marché anglo-saxon est plus précautionneux que le marché français sur la littérature ?

[Elisa Huot] Pour l'instant, je pense oui. En l'état actuel des choses, oui complètement.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Un avis sur la question Aliette ?

[Aliette de Bodard] Le même qu’Elisa ! [Rires] Il y a des discussions aussi sur la représentativité et la place des concerné·es sur le marché qui n’ont absolument pas lieu en France.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Merci ! Le temps file. On va passer au mot de la fin et surtout aux questions du public.

[Public - Personne 1] Merci. J'aurais une question pour madame Huot, mais avant j’aimerai rectifier une petite chose comme je travaille dans l’édition. Vous avez parlé de taux de cinq pourcents. En France, ce n’est pas ça, au cas où, pour les personnes qui voudraient écrire aussi. Je travaille avec plusieurs maisons d’édition, j’ai moi-même été éditée par les maisons traditionnelles. On est autour de huit / dix pourcents. C'est la fourchette de base. Après ça peut monter jusqu'à douze, rarement plus. C’est juste pour vous rassurer. Effectivement dans le secteur jeunesse, on est moins. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi.

[Aliette de Bodard] Les éditeurs utilisent pas mal l’excuse que lorsqu’il y a des illustrations, ils divisent le coût par deux : une moitié pour l'illustrateur, une moitié pour l'auteur. Sauf qu’ils l'utilisent aussi quand il n’y a plus d'illustrations donc pour les livres huit / douze ans.

[Public - Personne 1] C’est une explication qui ne tient pas parce que moi, je suis dans le secteur BD notamment et, bref. J’avais une question : Combien de manuscrits recevez-vous par an et quels sont vos critères de sélection finalement ? Est-ce que la subjectivité rentre vraiment en ligne de compte ou est-ce que vous essayez de vous adapter au maximum au marché français de ce que vous en savez ?

[Elisa Huot] Donc pour la France ?

[Public - Personne 1] Pour la France. Puis après, pour les autres pays.

[Elisa Huot] C’est carrément objectif pour la France puisque les agents ne sont pas encore très répandus, je veux être sûre que le fait d'être représenté par un agent ne mette pas une épine dans le pied de l’auteur. Je veux donc être sûre que je vais pouvoir lui apporter quelque chose. C’est au-delà de si le manuscrit me plaît. C’est aussi si ça aiderait l’auteur·e de m’avoir à ses côtés. Pour l’instant, on a seulement eu une année complète avec l'agence française ouverte. J'ai reçu une centaine de manuscrits. J'en ai signé un et je suis en discussion avec quatre / cinq autres, donc en réflexion encore. En France, c’est très objectif. Pour les Etats-Unis, je reçois entre trois cents et quatre cents manuscrits par mois donc je suis obligé d'être très subjective donc je prends ce qui me plaît, en me demandant quand même toujours si je vais pouvoir le vendre bien sûr. Mais c'est beaucoup plus subjectif.

[Public - Personne 2] J'ai une question toujours par rapport au rôle d'agent, désolé·e. Vous dites que vous représentez des auteurs qui sont déjà installés en récupérant des manuscrits ce qui veut dire, j'imagine, que vous avez des partenariats avec certaines maisons d'édition, ou en tout cas des contacts privilégiés avec certaines maisons d'édition. Est-ce que vous évaluer l'impact de l'intermédiaire agent sur la non résurgence d'auteurs nouveaux ? Quel est l’impact pour les premiers auteurs du coup avec cet intermédiaire ?

[Elisa Huot] Alors l'idée, ce que j'espère en tout cas, c'est que dans quelques années justement ce rôle d'agent puisse évoluer et puisse copier celui qu'on a aux Etats-Unis, c'est-à-dire de découvrir de nouveaux auteurs et de permettre à de nouveaux auteurs d'émerger sur la scène éditoriale française. Aujourd'hui, je pense qu'on est dans une étape de transition donc pour l'instant l'agent ne va pas aider sur grand chose un primo auteur je pense, à moins qu’il le découvre et décide de tenter quand même, mais à l'avenir je l'espère. Pour l'instant, je ne vois pas du tout ça comme ça. La différence que ça fait est qu'effectivement, j'ai des contacts directs donc au lieu d'être évalué par le comité de lecture puis de passer par plusieurs personnes, c'est directement la personne en charge qui lit le manuscrit que je présente. Ça permet à l'auteur d'avoir une réponse beaucoup plus rapide, directe, et d'avoir une réponse tout court aussi souvent. Pour l'instant non, je ne vois pas ça comme ça.

[Public - Personne 3] La question que je me posais c'est, avec trois voire quatre cents manuscrits par mois, est-ce que le choix se fait, comme décrivait Aliette, sur un synopsis et trois chapitres ?

[Elisa Huot] Pour m'envoyer un manuscrit aux Etats-Unis, on a des formulaires ce qui est très pratique. En fait, on demande ce qu'on appelle une “query letter” donc un pitch assez rapide, une mini biographie. Souvent, juste avec le pitch on peut savoir si ça nous plaira ou pas. On peut aussi écrémer parce qu' il y a beaucoup d’auteurs qui ne sont pas du tout prêts à être édités ou qu'on ne fait aucune recherche. Moi ce que je représente est très clair. En termes de demande, on peut demander le nombre de mots. Aux Etats-Unis, on fonctionne en mots. Des fois, on nous propose des projets avec deux millions de mots. On n'accepte rien en général au dessus de cent milles donc deux millions c'est juste impossible. Il y a plus d'un tiers des manuscrits que je refuse comme ça sans même lire la première page. Dans ce formulaire, moi je demande les cinq premières pages. Au début, je lis le pitch. Si le pitch me plaît, je lis le début des pages. Si le style d'écriture me plaît, je demande à lire le manuscrit complet. Mais sur les trois cents, quatre cents par mois, je demande entre quinze et vingt manuscrits complets par mois. Ce qui est déjà beaucoup. La plupart de mes collègues en demandent beaucoup moins mais ont aussi beaucoup moins de place.

[Public - Personne 4] C'est hyper intéressant ce que vous décrivez je trouve, sur la façon d'aborder le texte. N’avez-vous pas l'impression quand même qu’en vous cantonnant à un pitch de passer à côté d’un texte ? Vous allez me dire que l'auteur doit savoir pitcher mais en imaginant qu’il ne s'est pas bien pitcher et ensuite, demander cinq pages. On est vraiment dans l'ère du fast comme on dit, le départ est très rapide. Est-ce que vous avez l'impression de passer à côté de texte ?

[Elisa Huot] Si je pense. Je pense que c'est inévitable. On passe forcément à côté de textes. Malheureusement on ne peut pas faire autrement parce qu'avec trois cents, quatre cents manuscrits par mois et que les “query” que je reçois - les nouveaux auteurs - c'est la dernière chose à faire dans ma liste parce que la priorité c'est toujours les auteurs que je représente déjà. C'est quelque chose qu'on fait quand on a le temps. On n'est pas non plus payé pour ce genre de choses. Les trois cents, quatre cents auteurs que je ne représenterai pas dans le mois, je ne recevrai pas un centime pour les manuscrits que j'ai lu, même en entier. On est obligé de prendre une décision d'une façon ou d'une autre. Malheureusement, c'est la façon la plus efficace de le faire quand même. Je ne pense pas qu'on passe à côté de beaucoup de pépites non plus, ou en tout cas de textes qui ne demandent pas beaucoup de travail mais malheureusement je suis sûre que je suis déjà passée à côté de textes. Je ne sais pas comment faire autrement, je ne pense pas que ce soit possible. Il y a des textes pour lesquels on fait une offre à l'auteur parce qu’on aime son texte mais qui choisit un autre agent et puis, trois semaines après, on voit que le livre s'est vendu aux enchères pour une avance à six chiffres. C'est extrêmement frustrant. Ça arrive tous les deux mois mais c'est le jeu. Dans l’autre sens, ça arrive aussi. Mais oui, ça arrive très souvent.

[Pierre-Marie Soncarrieu] Une question pour Aliette de Bodard. Est-ce qu'il y a une raison particulière pour laquelle tes textes en auto-édition ne sont pas traduits en France ?

[Aliette de Bodard] J'ai envie dire, il manque un éditeur ! A priori mon agence les traitent comme des textes qu’ils proposent à des éditeurs en France donc ce n’est pas du tout un manque de volonté. Avis aux éditeurs, si ça vous intéresse !

[Pierre-Marie Soncarrieu] En deuxième partie, tu parlais de “blacklist”, que ça correspondait au format.

[Elisa Huot] Backlist.

[Aliette de Bodard] Non, backlist, pas blacklist. [Rires] En backlist, ce sont des textes un peu vieux c'est tout.

[Elisa Huot] C'est quelque chose qui est vraiment très répandu là-bas. Une fois que votre texte a plus d'un an et demi, deux ans, il est dans la backlist. Ces projets, on me les présente comme des projets qui peuvent se vendre pour quelques centaines d'euros d'avance en France. Ce sont des projets qui, au bout d'un an et demi pour les américains, à moins que ce soient des best-sellers, sont en backlist et sont quasi morts.

[Aliette de Bodard] Par contre, en auto-édition, j’ai une “long tail” absolument phénoménale sur ce genre de textes. Par exemple, In the Vanishers’ Palace continue à se vendre hyper bien tous les mois juste parce que les gens se passent le mot.

[Elisa Huot] C’est la grosse différence.

[Aliette de Bodard] C'est la grosse différence avec l'auto-édition puisqu'il est toujours disponible sur Amazon, il est toujours commandable. Je n’en vends pas des centaines et des milliers tous les mois mais ça fait quand même une grosse différence financière dans l'année, et il y a la librairie du festival aussi !

[Pierre-Marie Soncarrieu] On va pouvoir clôturer cette table ronde. Merci beaucoup à ces deux intervenantes qui ont pu vous présenter le marché anglo-saxon. Je pense qu’on peut les applaudir.

[Applaudissements]

[Elisa Huot] Merci !

[Aliette de Bodard] Merci !

En cours de lecture

La concérence de Ketty Steward - Avec Ketty Steward, Mickaël Cabon

Carte Blanche : La concérence de Ketty Steward

Enregistré le 29/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.

Cette année, L’Ouest Hurlant propose à ses parrain et marraine de s’exprimer lors d’une « carte blanche » ! Ketty Steward a choisi de raconter l’histoire du défi d’écriture de micronouvelles SFFF #writever, dans une « concérence » (concert + conférence) accompagnée de son guitariste Mikaël Cabon.

Transcription :
Avec Ketty Steward, Mikaël Cabon

[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off]
Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…

[Ketty Steward] Là d'où je viens. On est appariés à la naissance avec une œuvre d'art. Ma sœur est restée auprès de sa statue géante. Moi, j'ai tant parcouru l'univers que j'ai perdu ma chanson. Je n'imagine pas rentrer sans elle. Mais où ai-je une meilleure chance de la retrouver ?
Ceci est un writever.
Vous vous souvenez de l'automne 2020 ? C'était un peu particulier. C'est confinement, c'était le désespoir. C'était le blues.

[Mikaël Cabon] Alors tous les textes sont de Ketty, mais je vais avoir le plaisir de vous en lire quelques-uns :
BLUES
Les troubles de l'humeur s'étaient si bien répandus qu'on ne parlait plus de dépression. Tout le monde avait le blues et c'était cool. On s'installait dans la lenteur ouatée favorisée par nos antidépresseurs. Et on espérait ne pas tomber plus bas.

[Ketty Steward] Pour désengorger les tribunaux, on installa des intelligences artificielles dont le rôle était de pré-juger les affaires. Et le prévenu était invité à se connecter par vidéo au réseau de la cour afin d'assister à la pose du tampon de validation sur son dossier.
On fait tout à distance, et c'est ce qu'on faisait à l'automne 2020, beaucoup de visio, beaucoup d'invocations d'esprits : “Eh tu m'entends ? Ton son est coupé.”

[Mikaël Cabon] Même nos appareils étaient déprimés. Les assistants vocaux ont peu à peu développé des comportements dits pathologiques. Je repense à cette Alexa en dépression qui ne donnait que des réponses pessimistes aux enfants. Nous l'avons réinitialisé, mais était-ce la chose à faire?

[Ketty Steward] A l'époque, la joie même a été portée disparue. Ils ont lancé un appel à toute personne ayant connu la joie un moment de sa vie. Le but était d'en retrouver le souvenir pour l'enseigner aux nouvelles générations. Je ne sais pas vous, mais moi je trouve ça triste.

[Ketty Steward] chante
Transcription C'Ă©tait l'hiver
[Chanson “C'était L'hiver” de Francis Cabrel]

Elle disait : j'ai déjà trop marché.
Car elle est déjà trop lourde de secrets.
Trop lourde de peines.
Elle disait : je ne continue plus.
Ce qui m'attend, je l'ai déjà vécu.
C'est plus la peine.

Elle disait que vivre Ă©tait cruel.
Elle ne croyait plus au soleil
Ni au silence des Ă©glises.
MĂŞme mes sourires lui faisaient peur.
C'était l'hiver dans le fond de son cœur.

Le vent n’a jamais été plus froid,
La pluie plus violente que ce soir-lĂ .
Le soir de ses vingt ans.
Le soir oĂą elle a Ă©teint le feu,
Derrière la façade de ses yeux.
Dans un Ă©clair blanc.

Elle a sûrement rejoint le ciel,
Elle brille à côté du soleil.
Comme les nouvelles Ă©glises.
Et si depuis ce soir-lĂ , je pleure.
C'est qu’il fait froid dans le fond de mon cœur.

toudoudou, dou dou, dou dou…

Elle a sûrement rejoint le ciel.
Elle brille à côté du soleil.
Comme les nouvelles Ă©glises.
Et si depuis ce soir-lĂ , je pleure.
C'est qu'il fait froid dans le fond de mon cœur.

Elle a sûrement rejoint le ciel.
Elle brille à côté du soleil.
Comme les nouvelles Ă©glises.
Et si depuis ce soir-lĂ , je pleure.
C'est qu'il fait froid dans le fond de mon cœur.

[Ketty Steward] Vous voyez un peu l'ambiance. C'est à peu près à ce moment-là que, prise de désespoir, j'ai commencé à un mooc de statistiques inférentiel.

[Mikaël Cabon] MATHÉMATIQUES

La petite a l'air humaine, c'est pas le problème. Je dis juste qu'il faudra veiller à l'apprentissage social. Une gamine de dix ans qui se détend en réduisant des matrices a peu de chances de se faire des amis. Elle peut aimer ça, mais elle le garde pour elle.

[Ketty Steward] C'est aussi l'époque où j'ai pas mal traîné sur les réseaux. Je cherchais des gens en fait, puis il y avait plein de personnes qui cherchaient des gens. Et j'ai trouvé la trame. La trame consiste en un réseau télépathique qui met en relation différentes sortes de consciences. Il peut s'agir de télépathes, naturels, latents. D'intelligences désincarnées, comme Mel, ou de cyborgs particuliers comme Astrid, et bien entendu, Eugénie. Par les échanges et les partages, les angoisses ont un petit peu baissé. Et finalement, je me suis retrouvé à un peu plus regarder les autres et un peu moins moi-même, mon nombril.

[Mikaël Cabon] Une douceur retrouvée du temps qui passe. La dame tricote, clic, clic. La trame, maille à l'endroit, poursuivant ses pensées. Soudain, une inquiétude et ses doigts qui s'arrêtent. Le temps retient son souffle, attendant que, clic, clic, elle reprenne l'ouvrage en scandant les secondes.

[Ketty Steward] Dans cette recherche, j'ai rencontré une entité du nom de Nano-Chimère. Nano-Chimère. Et j'ai eu envie d'en faire une amie.
– J'aimerais t’inscrire sur mon livret d'amis. Qu'en dis-tu ?
– J'en serais honoré. Mais tu n'as pas déjà ton quota?
– J'ai mis fin à une relation fantôme et à une amitié périmée.
– Parfait. Dans ce cas, faisons une déclaration mutuelle. C'est plus simple.
Et c’était un moment magique, comme ces moments où vous désirs secrets sont révélés. Vous vous retrouvez dans les mots des autres, des mots que vous auriez aimé écrire vous-même. Et ce que vous avez devant vous, pourrait carrément venir de vous. Presque.

[Ketty Steward] chante
[Chanson “Killing me softly with his song” de Roberta Flack]

I heard he sang a good song, I heard he had a style
And so I came to see him, and listen for a while
And there he was, this young boy, stranger to my eyes

Strumming my pain with his fingers
Singing my life with his words
Killing me softly with his song
Killing me softly with his song
Telling my whole life with his words
Killing me softly with his song

I felt all flushed with fever, embarrassed by the crowd
I felt he'd found my letters and read each one out loud
I prayed that he would finish, but he just kept right on

Strumming my pain with his fingers
Singing my life with his words
Killing me softly with his song
Killing me softly with his song
Telling my whole life with his words
Killing me softly with his song

He sang as if he knew me
In all my dark despair
And then he looked right through me
As if I wasn't there
And he just kept on singing
Singing clear and strong

Strumming my pain with his fingers
Singing my life with his words
Killing me softly with his song
Killing me softly with his song
Telling my whole life with his words
Killing me softly with his song

Whoa
Woah-oah-ah-ah-ah uh, uh
La-la-la, la, la, la
Whoa, la
Whoa, la (ha, ha, ha, ha)
La-ah-ah-ah-ah

[Mikaël Cabon] J'ai toujours rêvé de faire un truc Ketty, tu permets : “Bonjour Rennes”.
Cris du public.
Je ne vous ai pas bien entendu.
Cris plus fort.
Ah, c'est beaucoup mieux qu'Ă  Saint-Malo. Vous ĂŞtes bien meilleur.

[Ketty Steward] On a répété à Saint-Malo mais il n'y avait pas de public.

[Mikaël Cabon] On était deux.

[Ketty Steward] Alors ça, c'était le mois d'octobre 2020. On se souvient de la chronologie, octobre 2020. Nano-Chimère avec le “writever”. Génial. Sauf que le mois d'octobre ne dure que trente et un jours. Et là, 28 octobre. Je sais qu'après il y a le 29, le 30, le 31 et après, c'est fini. C'est comme si… le soleil était en train de s'éteindre.

[Mikaël Cabon]
– Un, deux, trois soleil, dit la petite étoile, on bouge plus.
Les astres s'arrêtèrent, sauf le petit jaune, toujours soucieux de briller.
– Perdu, t’as perdu.
Il baissa la tĂŞte et ferma les yeux. C'est ainsi que s'Ă©teignit Ra, que les humains vaniteux de nommaient le soleil.

[Ketty Steward] PERTURBATION
Météo cellulaire. Avis de grand frais au large sur virus.
Mollissant six à sept sur l'échelle de s a m. Dépression: deux mille ectoplasmas se décalant vers les côtes. Mers calmes macrophages. Une perturbation en approche. Tempête de cytokines à prévoir dans la soirée.

[Mikaël Cabon] LE TEMPS S’ARRÊTE
Dans ma capsule prison en orbite. J'ai cessé de compter les jours et les nuits. Je mange, je bois, je dors, j'attends. Je sais que le temps passe quand je vois mon reflet. Mes cheveux blanchissent, ma peau se froisse. J'appelle ça : L'effet “mes rides”.

[Ketty Steward]
C'est comme une nuit blanche, une nuit blanche qui n'en finit pas.
Rouge, est la couleur de la nuit blanche, celle oĂą tu tentes de t'oublier pour ne pas voir que tout s'effondre.
Rouge, est la larme que tu ne veux plus voir.
Rouge, est le vin oĂą tu noies ton espoir.

[Ketty Steward] chante
17:00 Ă  19:10 transcription de Ain't no sunshine
[Chanson “Ain’t no sunshine when she’s gone” de Bill Withers]

Ain't no sunshine when she's gone
It's not warm when she's away
Ain't no sunshine when she's gone
And she's always gone too long
Anytime she's gone away

Wonder this time where she's gone
Wonder if she's gone to stay
Ain't no sunshine when she's gone
And this house just ain't no home

Anytime she goes away
And I know, I know, I know, I know
I know, I know, I know, I know, I know
I know, I know, I know, I know, I know
I know, I know, I know, I know, I know
I know, I know, I know, I know, I know
I know, I know
Hey I oughta leave young thing alone
But ain't no sunshine when she's gone,

Ain't no sunshine when she's gone
Only darkness every day
Ain't no sunshine when she's gone
And this house just ain't no home
Anytime she goes away

Anytime she goes away
Anytime she goes away
Anytime she goes away

[Ketty Steward] Le drame. Le drame du writever qui s'arrête. Et maintenant, que vais-je faire ? Sûrement pas chanter cette chanson-là. Plutôt attendre.

[Mikaël Cabon] Attendre impuissante. Elle attend que le monde change.

[Ketty Steward] Encore une que je ne vais pas chanter.

[Mikaël Cabon] Dit la chanson qui raille doucement la passivité d'une femme. Mais tous autant que nous sommes, impuissants devant l'horreur qui vient. Nous multiplions les rituels pour éviter de regarder en face l'horizon des événements.

[Ketty Steward] Je dis souvent que je suis une personne désespérément optimiste. Je pratique l'espoir, l'espoir actif. Il n'y a que l'espoir actif, qui fasse vivre, qu'il soit moteur. L'espoir passif est une forme de capitulation. Une délégation à qui veut de ses choix pour l'avenir. Vous n'essayez pas de sauver la planète, vous attendez votre propre mort… doigts croisés.

[Mikaël Cabon] FAIRE COLLECTIVEMENT
Ne vous fiez pas aux promesses faites dans l'obscurité. L'homme providentiel sorti de nulle part n'est guidé que par son amour égoïste du pouvoir. L'espoir, le vrai, est collectif et connaît le doute. Il n'oublie pas davantage qu'une lueur de bougies.

[Ketty Steward] Et tout ça, c'est ma prise de conscience que toute seule, je ne vais pas y arriver. Mais qu'à plusieurs on peut peut-être faire quelque chose. Alors il s'agit de réveiller les gens. Comme dans ce livre d'Octave Butler, l'aube, on va réveiller les personnes, l’une après l'autre pour construire quelque chose de nouveau, pour commencer. Ok, On a un vaisseau avec tout ce qu'il reste de l'humanité.
– Mais pourquoi réveiller celle-ci en premier ? Elle s'appelle Lilith. D'habitude, c’est Eve, non ?
– Ouais, mais ça a foiré systématiquement. Et on en a plus de toute façon.

[Ketty Steward] chante
21:55 Ă  23:50 La complainte de la serveuse automate

J'ai pas demandé à venir au monde
Je voudrais seulement qu'on me fiche la paix
J'ai pas envie de faire comme tout l'monde
Mais faut bien que j'paye mon loyer
J'travaille à l'Underground Café

J'suis rien qu'une serveuse automate
Ça me laisse tout mon temps pour rêver
MĂŞme quand je tiens plus debout sur mes pattes
Je suis toujours prĂŞte Ă  m'envoler
J'travaille à l'Underground Café

Un jour vous verrez
La serveuse automate
S'en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil

Qu'est-ce que je vais faire aujourd'hui?
Qu'est-ce que je vais faire demain?
C'est ce que j'me dis tous les matins
Qu'est-ce que je vais faire de ma vie?
Moi j'ai envie de rien
J'ai juste envie d'ĂŞtre bien

Je veux pas travailler
Juste pour travailler
Pour gagner ma vie
Comme on dit

J'voudrais seulement faire
Quelque chose que j'aime
J'sais pas ce que j'aime
C'est mon problème

De temps en temps je gratte ma guitare
C'est tout ce que j'sais faire de mes dix doigts
J'ai jamais rêvé d'être une star
J'ai seulement envie d'ĂŞtre moi
Ma vie ne me ressemble pas
J'travaille à l'Underground Café

Y a longtemps que j'ai pas vu le soleil
Dans mon univers souterrain
Pour moi tous les jours sont pareils
Pour moi la vie ça sert à rien
Je suis comme un néon éteint
J'travaille à l'Underground Café

Un jour vous verrez
La serveuse automate
S'en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil

Qu'est-ce que je vais faire aujourd'hui?
Qu'est-ce que je vais faire demain?
C'est ce que je me dis tous les matins
Qu'est-ce que je vais faire de ma vie?
Moi j'ai envie de rien
J'ai juste envie d'ĂŞtre bien

Un jour vous verrez
La serveuse automate
S'en aller
Cultiver ses tomates
Au soleil

[Ketty Steward] Alors rempli d'espoir et de conviction qu'on peut faire des choses ensemble, j'ai lancé un appel… comme une bouteille à la mer. Writeober, (writever d’octobre) c'est fini. Je doutais de ma capacité à écrire une micro nouvelle complète de SFFF par jour. Et finalement, j'y ai pris goût. J'ai donc préparé des listes pour continuer, encore un mois, deux… ou pour toujours. J'appelle ça: Writever. Et j'invite qui veut à m'accompagner.

[Mikaël Cabon] Faire ensemble.
Les émissions de jeux coopératifs surprirent le public plus habitués à la compétition que l'entraide. Ils prirent goût, cependant, à ces défis collectifs où les gens mutualisaient idées et ressources pour cuisiner, organiser une fête, décorer une maison.

[Ketty Steward] Communauté.
Ces veuves, entre 67 et 83 ans, ont su fédérer autour d'elles une communauté d'amis, de famille, de professionnels du soin, du loisir, pour créer avec une socio-psychologue leur concept de village choisi dont elles sont des citoyennes à part entière.

[Mikaël Cabon] Famille.
Les familles et communautés ont longtemps été fondées sur une biologique inversée. Plus les génomes étaient proches, plus les gens se regroupaient. Aujourd'hui, on sait mieux les vertus du brassage. Chacun cherche sa famille et la plus variée possible.

[Ketty Steward] chante
28:30 Ă  30:50 Stand by me
[Chanson “Stand by me” de Ben E. King]

When the night has come
And the land is dark
And the moon is the only light we'll see
No, I won't be afraid
Oh, I won't be afraid
Just as long as you stand
Stand by me

So darlin', darlin', stand by me
Oh, stand by me
Oh, stand
Stand by me, stand by me

If the sky that we look upon
Should tumble and fall
Or the mountain should crumble to the sea
I won't cry, I won't cry
No, I won't shed a tear
Just as long as you stand
Stand by me

And darlin', darlin', stand by me
Oh, stand by me
Oh, stand now
Stand by me, stand by me

And darlin', darlin', stand by me
Oh, stand by me
Oh, stand now
Stand by me, stand by me

[Ketty Steward] Dès la première fois, nous étions pleins à écrire des micros nouvelles. C'est devenu quelque chose de très chouette. C'est devenu un moment de partage, de tous les jours, de tous les mois. C'est devenu quelque chose d'important.

[Mikaël Cabon] LA JOIE DU PARTAGE
Les crises s'étaient enchaînées à un rythme tel que la plupart des gens peinaient à s'y adapter. Ceux qui s'en sortaient le mieux se distinguaient par leur capacité à éprouver de la joie, et leur ouverture face à des modes de vie qui n'étaient pas les leurs.

[Ketty Steward] LA FĂŠTE
Quelle fête ce fut mes enfants. Nous dansions sur les cendres du patriarcat, hurlant notre joie, notre désir de changer d'air. Aujourd'hui encore, nous essayons de vivre mieux. Mais les nostalgies poignent déjà et les divergences réapparaissent de-ci de-là.
Avec ce défi, Writever, je me sentais comme à la maison, avec des amis. Des amis que je ne connaissais pas encore. Vraiment comme à la maison.

[Mikaël Cabon] J'ai couru la vie, cœur et corps offerts. J'ai aimé l'amour des hommes, des femmes. J'ai ri, j'ai pleuré et été comme hiver, cherchant vainement la petite flamme, l'esprit du foyer, la douce lumière qui ne pouvait naître qu'en moi, en mon âme.

[Ketty Steward] C'Ă©tait vraiment de l'amour.
Toute cette place à ma table. Tant d’heures dans un jour et des êtres adorables, ce soir ou toujours. Nonobstant les fables et les vieux discours, la peur d'être jetable, la pression autour fabricant des coupables et des jaloux. Tout amour véritable est polyamour.

[Ketty Steward] chante
32:00 Ă  35:15 Feeling good.
[Chanson “Felling good” de Nina Simone]

Birds flying high, you know how I feel
Sun in the sky, you know how I feel
Breeze driftin' on by, you know how I feel

It's a new dawn
It's a new day
It's a new life for me, ooh
And I'm feeling good

Fish in the sea, you know how I feel
River running free, you know how I feel
Blossom on the tree, you know how I feel

It's a new dawn
It's a new day
It's a new life for me
And I'm feeling good

Dragonfly out in the sun you know what I mean, don't you know?
Butterflies all havin' fun, you know what I mean
Sleep in peace when day is done, that's what I mean
And this old world, is a new world
And a bold world for me, yeah-yeah

Stars when you shine, you know how I feel
Scent of the pine, you know how I feel
Oh, freedom is mine
And I know how I feel

It's a new dawn
It's a new day
It's a new life for me

I'm feeling good

[Ketty Steward] Une belle période de bonheur, vraiment. Et un jour, un milliardaire a pris notre beau jardin comme terrain de jeu. La grande coloc est devenue un petit peu moins habitable.

[Mikaël Cabon] On se terre.
Depuis que les incendies spontanés et les éruptions volcaniques se déclenchent quotidiennement dans les terres comme à la surface des océans, notre planète devient de plus en plus rouge. Par nostalgie, nos abris souterrains sont tapissés de bleu et de vert.

[Ketty Steward] Alors on voudrait s'en aller, ailleurs.
Prisonnier quelque part : pars.
Si tu souffres aujourd'hui : fuis.
Des tourments du temps qui nous rongent au présent se diluent dans l'espace, et passent.
OĂą aller ?

[Mikaël Cabon] Quitter sans tout oublier.
Dans chaque famille on trouve un membre dont le nom secret est Constance, chargé de conserver les traditions ; et un autre nommé Diaspora, qui s'en va découvrir le monde et, parfois, ne revient pas.
Moi, j'ai reçu ces deux noms, j'ai choisi de partir.

[Ketty Steward] Il s'agissait de rejoindre une nouvelle contrée, qui en quelque sorte est déjà un chez-soi. Debbie sortit du caisson et bailla, ravie de quitter pour douze semaines le mode hibernation afin de profiter du printemps. Elle s'approcha du triple vitrage blindé de la fenêtre et contempla longuement le ciel ocre de la planète, la Terre.

Finalement là où se trouvent les mots, je suis chez moi. C'est comme un voyage forcé, mais un voyage que quelque part j'ai déjà fait.

[Ketty Steward] chante
37:40 Ă  39:55 Redemption song.
[Chanson “Redemption song” de Bob Marley]

Old pirates, yes they rob I
Sold I to the merchant ships
But minutes after they took I
From the bottomless pit

But my hand were made strong
By the hands of the almighty
We forward in this generation
Triumphantly

So won't you help me sing
These songs of freedom
Is all I ever had
Redemption song
Redemption song

Emancipate yourself from the mental slavery
None but ourselves can free our minds
Don't be afraid of atomic energy
'Cause none of them cannot test the time

So how long shall they kill our prophets
While we stand around and look
They say it's just a part of it
We've got to fulfill the book

So won't you help to sing
These songs of freedom
Is all that I ever had
Redemption song, redemption song
Is all that I ever had
Redemption song, redemption song
These songs of freedom
Redemption

[Mikaël Cabon] Merci beaucoup.

[Ketty Steward] D'après la prophétie.
C'est une chanson qui nous sauvera du réchauffement climatique. Les vocations d'auteurs compositeurs ont explosé. Tous veulent créer la chanson salutaire. Et tous contribuent à sensibiliser le monde.
Merci.

[Mikaël Cabon] On voudrait remercier Bruno et Mattias de la technique, merci beaucoup.

[Ketty Steward] Plein d'Ă©motions ! Merci d'ĂŞtre lĂ .

En cours de lecture

Éloge des fins heureuses, l'espoir en imaginaire - Avec Claire Garand, Edouard H. Blaes, Célia Flaux, Alice Carabédian (Modération Fanny Ozeray)

Éloge des fins heureuses, l'espoir en imaginaire

Enregistré le 30/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.

Dystopies, post-apo… Les genres de l’imaginaire les plus pessimistes ont le vent en poupe, à l’image de l’anxiété de leurs lecteurices. Mais quelle alternative les auteurices d’imaginaire peuvent-iels proposer ? Comment redonner espoir en l’avenir à travers leurs œuvres ? La parole est à 4 auteurices résolument optimistes.

Transcription :

Éloge des fins heureuses : l’espoir en imaginaire
Avec Claire Garand, Edouard H. Blaes, Célia Flaux, Alice Carabédian
Modération : Fanny Ozeray

[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off]
Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…

[Alice Carabédian] Merci cher public d'être aussi nombreuses et nombreux. Je trouve ça super parce que je vois plein de gens qui sont prêtes et prêts à prendre des notes, donc l'avenir est radieux, puisque on va parler d'avenir radieux. Qu'est-ce qu'une fin heureuse ? Pour moi c'est quelque chose de nécessaire aujourd'hui, parce que ce qu'on recherche dans les littératures de l'imaginaire c'est l'aspect évasion, certes, on le sait, l'aspect divertissant, certes, mais c'est surtout l'aspect critique - en tout cas pour ma part - c'est nous offrir des perspectives nouvelles et inaccessibles, en dehors du corps d'un livre, sur ce qu'on vit aujourd'hui. Du coup ce qu'on cherche c'est cet aspect critique, par la critique ça nous sert à nous orienter : si on trouve une situation injuste, on va avoir un esprit critique à propos de cette situation injuste et ainsi pouvoir imaginer des sorties de cette situation injuste. Je pense qu’aujourd'hui, comme tu le rappelais, on a été vachement été submergés, que ce soit dans la littérature autant que dans les actualités, par cet esprit plombant, catastrophiste, si bien que j'ai l'impression qu'on s'habitue à ce genre de choses, on s'habitue à se préparer à une troisième guerre nucléaire, à se préparer à une attaque de zombies, à se préparer à des champignons, c'est encore des zombies dans The last of us, la dernière mouture. On s'habitue à ce genre de choses, on se sent un peu prisonnier et on se sent finalement content de vivre aujourd'hui. Demain ça sera vraiment pourri, aujourd'hui c’est pas si pire. Or je pense qu'on a vraiment besoin d'inverser d'inverser la vapeur. Mais je ne vais pas faire un tunnel de monologue, donc je pense que c'est nécessaire les fins heureuses aujourd'hui.

[Claire Garand] Je vais juste répondre à ta question ! Cela dit, je partage tout à fait ce sentiment. Il me semble que l'une des premières questions à se poser quand on parle de fin heureuse, c'est de savoir heureuse pour qui. Ce qui est considéré comme heureux pour certains ne va pas être considéré comme tel par d'autres, soit parce qu’il peut y avoir une domination de l'un sur l'autre, même si la domination change par exemple, ça reste une domination. Donc déjà : heureuse pour qui ? Et d'autre part, il y a plein de manières d'avoir une fin heureuse. C'est-à-dire que même si c'est heureux pour un certain type de personnages (quand on est dans la fiction) ou de personnes (quand on est dans la réalité), il y a plein de manières d'être heureux. Il y a plein de manières d'avoir une situation heureuse.
Je rebondis sur ce que tu disais, c'est-à-dire qu’on est heureux maintenant parce que l'avenir est pire, ça peut être ça un bonheur. Est-ce, au contraire, le bonheur ça n'est pas d'avoir un bonheur autre, qui s'inscrive dans l'avenir justement ?
Donc il y a plusieurs manières et je pense que c'est le problème : s'il y avait une seule manière d'être heureux ou d'avoir une fin heureuse, on ne serait pas en train de se battre pour des bonheurs différents. Pour moi c'est déjà c'est une question, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles dans mon roman il y a plusieurs “fins” ; il n'y a pas plusieurs fins mais plusieurs visions de la fin. C'est aussi parce que, pour moi, il est très important que le lecteur joue un rôle. Il est de cinquante pour cent dans l'affaire ! Quand on lit un livre, peut-être aussi dans un essai (je lis pas mal d'essais), la réception est toujours différente en fonction du lecteur. Il va penser quelque chose ; tu disais “ça va nous donner des idées”, “ça va nous donner des portes de sortie” quand tu parlais de la fiction ; tout le monde ne va pas, évidemment, avoir le même raisonnement, la même porte de sortie. Donc il m'a semblé important d'avoir, dans le roman, une manière d'ouvrir plusieurs types de portes, si je puis dire, de manière à ce qu'il fasse ses propres choix. Je suis toujours attentive au choix, c'est un élément qui me tient particulièrement à cœur. Donc voilà, pour répondre à ta question : différents types de bonheur, et laissons le lecteur choisir le sien.

[Célia Flaux] Pour ma part, je suis également très attentive au bonheur du lecteur, au sens où c'est important pour moi que, quand le lecteur referme mon livre, il le referme avec un sentiment qui soit relativement agréable. J'ai bien conscience que tout le monde a des goûts différents et que chacun, j'espère, y trouvera quelque chose, mais au moment où le lecteur referme le livre mon objectif c'est que le lecteur se sente bien. Je trouve que l’on a souvent des visions assez négatives, assez cyniques, assez désabusées du monde et que c'est parfois très valorisé. A l'inverse, on a parfois des visions très dévalorisantes des littératures de réconfort, qu’ils ont jugé comme un burger vite consommé. Je pense qu'on peut faire mieux en littérature du réconfort que ça, je pense qu'il existe des littératures de réconfort de très grande qualité et je pense que, dans les pires moments de la vie, on en a vraiment besoin. C'est important pour moi, c'est encore quelque chose que j'ai dit à une personne qui allait très mal, j'ai dit “qu'est-ce que tu veux lire ?”, parce qu’il y a des moments dans la vie où ce sont vraiment les histoires qui nous donnent la force et le courage d'avancer, de ne pas sombrer, qui sont comme des bouées. Je pense que c'est très important de valoriser ces histoires, ces livres qui sont justement nos phares dans la nuit, dans les pires moments de l'existence, et peut-être que certains me traiteront de Bisounours, de naïve, mais tant pis, j'assume.

[Edouard H. Blaes] Merci. Quand j'ai reçu l'invitation pour la table-ronde, j'avoue que je me suis un peu dit “Tiens, marrant comme sujet, pourquoi moi ?”. Effectivement ça ne se ressent pas obligatoirement dans tous les écrits pour l'instant, parce qu’il y en a d'autres qui viennent où ça se ressentira plus, mais effectivement les fins heureuses ça me donne envie de poser une autre question : “Qu'est-ce que la fin ?”. [Rires] C'est une question à laquelle je ne répondrai pas, parce qu'elle est trop compliquée je pense, et que de toute façon on ne va pas répondre non plus. Mais c'est quoi la fin finalement ? Est-ce que la fin heureuse, dans une dystopie, ne vient pas après ? Est-ce qu'on n'est pas obligés de passer par un passage un peu plus dur pour atteindre la fin heureuse ? Je n’en sais rien mais c'est une question qui est intéressante. De toute façon les questions, c'est toujours plus intéressant que les réponses ! [Rire]. Du coup je ne sais plus où j'allais… Pour moi ce que c'est une fin heureuse, ça va dépendre de plein de choses, ça va dépendre de l'époque à laquelle on écrit, ça va dépendre de pour qui on écrit et ça va dépendre aussi de ce qu'est vraiment l'histoire qu'on est en train d'écrire. Si elle part de quelque chose, est-ce que revenir au statu quo c'est une fin heureuse ? Pour moi non, mais pour certains oui. Je vais avoir la pire réponse ! Je vais avoir la réponse du “ça dépend” [rires], ça dépend vraiment du lecteur, de ce que lui attend comme fin heureuse. Je ne pense pas que ça soit à l’auteur.ice de se démener à ce que le lecteur pense que c'est une fin heureuse. Je pense que l’auteur.ice doit écrire sa fin et à celui qui la reçoit de décider si elle est heureuse ou pas.

[Claire Garand] Je suis tout à fait d'accord, d'autant plus que (je parle de mon roman), j’ai reçu des témoignages de lecteurs totalement différents sur la vision qu'ils ont eu de la fin de mon roman. C'était un petit peu prévisible, parce que j'ai fait en sorte qu'il y ait aussi plus plusieurs possibilités de compréhension, mais ça me paraît essentiel. Le lecteur, comme je le disais, est pour moi vraiment de cinquante pour cent dans la compréhension du texte,
dans l'analyse. Mais j'ajouterais un point. J'ai relu, puisqu'on avait parlé d’Ira Levin à l'autre table-ronde, j'ai relu Les femmes de Stepford, je ne me souvenais plus de la fin. Alors je suis désolée, je vais spoiler, c'est un classique donc bon… A la fin, l'héroïne échoue, mais, et c'est là que je trouve qu’il y a ce point intéressant que tu soulèves, elle a rencontré une autre personne pendant l'histoire et cette autre personne, manifestement, a des doutes et va probablement, en tout cas on s'attend à ce qu'elle suive le même cheminement que l'héroïne. On se dit, et c'est là tout le rôle du lecteur, on se dit soit elle aussi elle va rater, soit cette fois ça va marcher. C'est pas une fin plus ou moins ouverte, mais avec tout ce qui précède et oriente, moi je l'ai lu en me disant qu’elle allait y arriver, précisément parce qu'elle se rend compte des choses plus tôt que l'héroïne ne l'avait fait. Mais quelqu'un d'autre va le lire peut-être différemment. C'est compréhensible ce que je dis ? Oui ? D'accord ! Je te vois faire des gestes.

[Edouard H. Blaes] Pardon, les gestes c’est parce que j’étais en train de réfléchir en même temps, ça permet de faire avancer le suivant qui, lui, aura des réactions plus tôt que celui d'avant.

[Claire Garand] Oui, c’est ça, exactement, tout à fait ça. Je voulais juste souligner par cet exemple le fait que le lecteur a vraiment un rôle à jouer, mais que l'auteur va l'orienter plus ou moins dans une certaine direction.

[Célia Flaux] Je trouve que c'est très important, effectivement, que le lecteur mette de lui dans la lecture d'une histoire, mais je pense que ce n'est pas non plus une raison pour que l'auteur se déresponsabilise en disant “Oui, les lecteurs se débrouilleront, ils prendront ce qu'ils voudront, non mais c'est pas moi c'est les lecteurs, prenez ce truc dégueulasse et puis vous en ferez ce que vous voudrez”. Voilà je pense qu’il faut quand même aussi prendre ses responsabilités d'auteur, et assumer le fait qu’on veut transmettre quelque chose, que ce soit une émotion, une histoire ou quoi que ce soit au lecteur. Je sais que chez moi il y a beaucoup d'inconscient, mais je pense que c'est quand même important d'y réfléchir et d'avoir une part de conscient dans ce qu'on transmet avec la fin d'une histoire. Donc pour ma part je sais que le lecteur et vous, vous avez tous votre part à jouer lorsque vous lisez des livres, mais je n'aurais pas non plus entièrement cette position de dire “Les lecteurs prendront ce qu'ils voudront et moi je ne suis pas concernée”. Je pense que j'ai ma part de responsabilité, que je choisis mes mots avec soin et que même si les champs sont ouverts, il y a aussi des champs qui sont fermés parce que je les ai volontairement fermés.

[Alice Carabédian] Je me rends compte du coup que, par rapport à mes camarades auteur.ices ici, j'ai compris le titre de cette conférence vraiment comme “éloge des horizons désirables”, pas du tout comme la fin “ils-elles vécurent heureux et eurent plein de chats”. [Rire] Je n’ai pas du tout pris le terme “fin heureuse” comme la fin d'une histoire, la fin d'une narration, j'ai pris ça comme un cadre conceptuel, mais c'est la déformation professionnelle désolée. Du coup c'est très intéressant de vous entendre parler en termes d'écriture : où est-ce qu'on veut aller, quelle portée a la fin d'un livre.
J'étais sur un cadre beaucoup plus général, qui est pour moi celui de l'utopie. Qu'est-ce que ça veut dire de penser des choses désirables aujourd'hui et pas seulement des histoires de personnages qui finalement s'en sortiraient, même dans la pire des dystopies.

[Fanny Ozeray] Pour toi, ça serait quoi pour toi, dans ce cadre, ce futur désirable ? [Rire] Là je te demande l'exercice extrêmement catastrophique de résumer en quelques phrases quelque chose que tu as mis sûrement beaucoup de temps à écrire sur 150 ? 200 pages ?

[Alice Carabédian] Mais en fait je pense que je peux rebondir sur ce que disait Claire tout à l'heure : heureuse pour qui ? C'est là où, une fois de plus, je parle d'un concept et du coup j'ai élargi au maximum, c'est pour ça que je travaille sur l'utopie et que cette utopie particulière, je l'ai appelée “radicale”. Il faut oser imaginer une utopie qui soit utopique pour toutes et tous, c'est-à-dire qu’il n’y a pas “Mon utopie c'est la dystopie de l'autre”, non, parce que ce ne serait pas de l'utopie. Dans l'utopie, la question de la domination a disparu ou, en tout cas, on est toujours en train de faire en sorte de la dépasser. C'est une utopie qui travaille à rester utopique. Même si on recrée des situations de domination, de conflits, on a les armes pour la dépasser. Et donc moi ce qui m'intéressait avec ce travail, c'était justement d'imaginer vraiment une fin heureuse pour toutes et tous, et pas un truc qui serait inégalitaire finalement, puisque utopie-égalité-liberté, la question ne se pose plus. Mais à partir de là, qu'est-ce ça nous fait, en tant que lectrice, lecteur, ou même de visionneur de séries, de films, qu'est-ce que ça nous ferait (parce qu’en fait il y en a pas beaucoup des utopies utopiques pour toutes et tous) ? Qu'est-ce que ça nous ferait politiquement, sur la question de la survie aussi, parce qu'on lit de l'imaginaire aussi parce que, parfois, ce sont des questions de survie, on a besoin de ces mondes-là pour se sentir exister.

[Fanny Ozeray] Je voulais revenir sur l’écriture en soi. Est-ce que vous trouvez ça plus facile ou plus difficile d’écrire justement sur le bonheur, d'écrire le bonheur, comme exercice d’écriture ? [Rires] Pardon, vous avez l’air de souffrir avec ma question !

[Edouard H. Blaes] Non, non, on se demande qui va commencer.

[Célia Flaux] Pour ma part, ce n'est pas plus difficile, j'ai au contraire une difficulté, c'est que j'ai tendance à avoir un rythme dans mes histoires que mon éditrice décrit comme “apaisant” et “agréable” parce que c’est tranquille comme un cocon douillet. Du coup, je dois me forcer, au moment où j'écris des scènes de bataille et de combat, parce que cela se passe dans un milieu qui se rapproche du japon féodal donc évidemment je n'ai pas résisté au plaisir de mettre des combats de samouraï. Du coup, dans ces moments-là, je rencontre plus de difficultés pour écrire ces passages, d'une part parce qu’il faut mettre beaucoup de rythme, d'intensité, en même temps si je rentre dans des éléments extrêmement techniques du combat de samouraï personne ne va rien comprendre ([rire] même pas moi), et en même temps parce que je joue un peu avec la réalité. En réalité, un combat de samouraï c'était “Je dégaine mon sabre - je te tue - tu es mort”, merci, au revoir. Donc je me rends compte de ces difficultés-là, dans certaines scènes qui nécessitent de l'action, du rythme, de briser justement mon écriture naturelle. Alors qu’au moment où je dois décrire des moments de respiration et de joie, ça me vient, oui, plus facilement. Après, moi, ceux qui viennent souvent en premier c'est les dialogues et les disputes viennent assez facilement aussi [rire]. Je ne sais pas ce qu’il en est pour toi ?

[Edouard H. Blaes] C'est marrant parce que je trouve que ça dit beaucoup de nous, en vrai.
Il y a le côté un peu “est-ce que l’on est en train de se faire une psychothérapie sur l'écriture”, tu sais, en écrivant. Non, mais ça dit beaucoup de nous, je trouve, de voir ce qui est facile à écrire et ce qui est difficile pour nous d’écrire. Et là j'ai un peu l'impression qu'on est les deux faces d'un miroir opposé. Pour moi c'est plus simple d'écrire les choses un peu difficiles et les choses plus heureuses (mais ça c’est peut-être la dépression qui parle [rire]), c'est plus difficile effectivement. Il y a des moments où effectivement, il y a toujours cette sensation que l'histoire va reprendre le dessus sur le côté heureux. Mais c'est super agréable aussi, et c'est super important, d'écrire des trucs heureux. Et du coup je vais parler de quelque chose qui n'est pas encore sorti [rire]. Dans je ne sais pas combien de temps, il y a une anthologie chez Projets Sillex qui va sortir, qui est sur le thème de l’Isekai et qui s'appellera Les Portes de l'Envers, dans laquelle j'ai écrit une nouvelle qui, pour le coup, est très lumineuse. Peut-être que c’est là que moi j’ai un “problème” ou que je ne m’entends pas avec “fin heureuse”, c'est que quelque chose peut être très lumineux sans être obligatoirement heureux. J'aime bien écrire des trucs lumineux, mais ça ne veut pas obligatoirement dire heureux, je crois.

[Claire Garand] Moi j'écris très peu de texte heureux, non pas que je ne trouve pas ça intéressant, mais tout simplement parce que je n'y arrive pas. Je me suis lancé le défi d'écrire un texte qui parlait plus d'un sujet totalement ringard, mais qui moi me touche profondément, c'est le bonheur conjugal. Oui alors c'est complètement has-been, moi je suis heureuse dans mon couple depuis vingt-cinq ans, vingt-sept maintenant (je ne vois pas les années passer), alors je sais que n'est pas du tout à la mode mais je me suis dit : “je vais écrire quelque chose pour raconter mon bonheur conjugal”. Je n'ai pas réussi ! [Rire] J'ai fait une pièce de théâtre qui raconte l'histoire de deux nonagénaires qui font tout pour se suicider parce qu'ils veulent mourir ensemble et avant d'être avant la déchéance, et voilà ma vision du bonheur conjugal ! [Rire]. C'est juste pour vous dire que je n'arrive pas à écrire le bonheur, je n'y arrive pas, et je pense que c'est parce que je suis quelqu'un d'heureux. Je le pense sincèrement, c'est-à-dire que moi j'ai eu énormément de chance dans ma vie, alors j'ai eu comme tout le monde des petits problèmes, mais j'ai eu beaucoup plus de bonheur, sans doute plus que la moyenne des gens, ça c'est très possible, et je ne vais pas m'en plaindre ! Donc je pense qu'il est plus facile, je suppose, j'ai l'impression, qu'il est plus facile d'écrire sur le bonheur quand on est malheureux, paradoxalement.

[Célia Flaux] Alors à ma gauche nous avons “c’est plus facile d'écrire sur le bonheur quand on est malheureux” et à ma droite nous avons “je n'arrive pas à écrire sur le bonheur parce que je suis en dépression”. [Rires] Alors c'est amusant qu'on dise ça parce que j'ai parfois cette impression-là, dans ma personnalité, d'être un espèce de miroir et de renvoyer aussi aux gens ce dont ils ont besoin. Ca présente un certain avantage, c'est-à-dire que c'est très agréable d'échanger avec les gens, d'avoir de l'empathie et d'essayer de renvoyer aux gens les mots qu'ils ont besoin d'entendre, et de voir l'effet que ça peut parfois avoir sur eux. Il y a toutefois un inconvénient, c'est que les mots que les gens ont besoin d'entendre ne sont pas toujours ceux que j'ai besoin de dire. Donc je dois trouver cet équilibre personnel. Voilà donc c'était le miroir qui parle. [Rire] Je vais juste conclure en disant qu'effectivement, dans mes romans, je pense qu'il y a un peu de ça, c'est-à-dire que j'essaye en même temps d'écrire les mots que j'ai besoin d'écrire, et en même temps ce que les gens ont besoin d'entendre. Je ne sais pas si cette alchimie est agréable mais c'est ce que j'essaye de faire.

[Alice Carabédian] Encore une fois, pour moi la question se pose différemment de vous, mais pour autant je pense que l'exercice que j'ai fait avec ce texte qui est donc de conceptualiser l'utopie radicale à partir de la science-fiction, c'était plutôt (puisque moi aussi je veux bien participer à la psychothérapie du dimanche matin [rire]) une expérience très heureuse d'écriture et je pense que ça se sent dans le texte. A un moment, quand on travaille sur l'utopie, moi ça commence à faire un moment que je me bagarre avec ce mot, mais de façon très joyeuse encore une fois, il y a le fond qui se mêle à la forme. L'utopie, on se dit souvent c'est la cité idéale, c'est le programme de la société parfaite, et en fait non. Il y a toute la mise en place du récit qui nous déplace, qui nous déplace vers un ailleurs, qui nous montre comment on pourrait transformer une société, donc il y a vraiment le jeu de la forme et du fond qui sont très importants. Comme ça fait un moment que je travaille sur ce sujet de façon plus ou moins académique, ce texte ne l'étant pas vraiment, il a fallu que je me mette à écrire de façon utopique. Il ne fallait pas juste que j'écrive à propos de l'utopie, mais j’ai vraiment senti l'expérience d'une écriture utopique où il fallait que la forme fasse référence au fond. Je pense que ça se ressent dans le texte avec un rythme effréné, assez enragé, parce que le sujet de l'utopie c'est quand même de dire que ce monde n’est pas top et qu'on pourrait faire mieux, mais aussi joyeux par les perspectives que ça nous ouvre d'un point de vue imaginaire et d'un point de vue politique (puisqu’à un moment la politique a besoin de l'imaginaire pour savoir où on veut aller).

[Fanny Ozeray] Je vais revenir sur quelque chose qui a été évoqué par toi, Célia, c’est sur le mépris des fins heureuses, des sociétés utopiques aussi. Il y a cette tendance à dire “c’est niais”, le mot “bienveillant” est très galvaudé, mais ce n’est pas toujours bien vu de vouloir être bienveillant, de vouloir être gentil. Est-ce que vous avez votre théorie, pourquoi est-ce que c’est aussi méprisé de vouloir faire des fins heureuses?

[Célia Flaux] Parce que les gens sont lâches ! [Rires] Parce que c'est plus facile d'être résigné et de dire “oh de toute façon on peut rien faire, ça vaut pas la peine d'essayer d’arranger le monde, t'es gentil, et bien tu vas te faire bouffer donc soit méchant, de toute façon, ça n'arrivera jamais, donc c'est pas la peine de l'écrire ou de l'imaginer, mais enfin reviens sur terre ma fille dans quel monde tu te crois, sois le clou qui ressemble à tous les autres clous parce que si tu dépasses la tête, tu vas te faire taper dessus”. C'est une manière de justifier la résignation, c'est une manière de valoriser le cynisme, la passivité, et c'est une manière d'enfoncer les gens qui essayent de rendre le monde meilleur. Au lieu de dire “je vais essayer de les aider et de les soutenir”, c'est plus facile de dire “tu n'y arriveras jamais donc ne compte pas sur moi pour te soutenir”. Voilà, je pense que c'est une forme de lâcheté dont je ne m’exclus pas, je ne suis pas en train de dire que je suis meilleure que les autres au sens où j'ai mes lâchetés moi aussi, j'essaye d'y travailler. Mais il est vrai - et j'en ai conscience - que parfois, renoncer à une fin heureuse c'est une manière de se protéger et de justifier des actions qui consistent à se fondre dans la masse et à ne pas oser lever la voix pour dire “je suis contre, ce n'est pas bien, ce n'est pas normal”.

[Alice Carabédian] Je trouve ça très intéressant ce que tu dis, mais je pense que la question la question de la bienveillance n’est pas forcément contradictoire avec une notion de conflit. C'est pour ça qu'on peut encore écrire des utopies en fait, on peut écrire des mondes où ça va à peu près mais c'est pas pour ça qu'il y a pas de conflit, et la bienveillance n'est pas forcément l'opposé de la violence. Pourquoi ? Parce qu’il y aura peut-être des bienveillants, il peut y avoir des méchants et la question de l'usage de la violence peut se poser. Du coup je trouve ça assez intéressant ce que tu dis et je rattacherai la question de la bienveillance à celle du conflit. C'est pas parce qu’on est dans un monde de bisounours et je suis d'accord avec toi, je pense qu'un monde de bisounours peut beaucoup politiquement, parce que déjà il est violent par rapport à notre monde qui lui n'est pas bisounours, justement dans l’écart qu’il y a entre les deux, mais il peut y avoir de la violence chez les bisounours, il peut y avoir du conflit et c'est pour ça aussi que ça nous parle toujours du réel. Je pense que le mépris pour le pays des bisounours réside aussi dans le fait qu’on va dire que c'est trop loin du réel. Or c'est justement dans cette distance que ça se joue. On oublie souvent, et c'est ce que je reprocherai à la prépondérance de la dystopie, c'est qu'on oublie que la SF (je parle de science-fiction plus que de fantasy que je connais moins) est d'autant plus forte qu'elle nous projette loin et fort. Parce que la perspective est grande parce qu’elle nous déplace. C’est pour ça qu'on l'aime, la science-fiction ou les littératures de l'imaginaire, c'est que ça nous déplace et ça nous fait voir les choses différemment.

[Claire Garand] Je suis tout à fait raccord avec ce que vous venez dire. Je voudrais juste ajouter (on en avait parlé quand on avait préparé cette table ronde) l'ouvrage de Coline Pierré qui s'appelle Eloge des fins heureuses justement. Ce n'est pas une autrice d'imaginaire, Coline Pierré, donc vous ne la connaissez peut-être pas. Pour illustrer son propos dans ce livre, je voudrais mentionner l'un de ses romans qui est finalement très imaginaire puisqu'il s'agit de Pourquoi pas la vie, publié aux éditions de l'Iconoclaste, et qui raconte la vie de Sylvia Plate (je prononce à la française, c’est Plath mais moi je suis nulle en anglais donc je préfère prononcer mal, voilà je suis très lâche exactement [rire], je suis lâche linguistiquement parlant). Sylvia Plath est une très grande poétesse mais qui est morte assez jeune, qui s'est suicidée. Coline Pierré, qui apprécie énormément cette poétesse dont je vous recommande d'ailleurs la lecture entre parenthèses, s’est dit “Non, moi, j'ai pas envie de raconter sa vraie vie”. Donc elle raconte le début qui est vraiment la vie de Sylvia Plath mais à un moment, au lieu de la faire se suicider (et puis bon, il y a quand même des petits signes avant-coureurs), elle la fait continuer à vivre et puis mettre en scène ses poèmes dans une comédie musicale, c'est un truc de fou. Parce que, justement, son objectif dans Eloge des fins heureuses, c’est de montrer ce changement radical [rire]. Pourquoi est-ce qu'elle le fait, elle l'explique bien dans Eloge des fins heureuses. Je parle par rapport à la lecture que j'en ai faite, qui n'est certainement pas exactement ce qu'elle aurait choisi elle-même, je vous invite à lire le livre directement c'est mieux. Ce que j'en ai compris et ce avec quoi j'étais d'accord, c'est justement cette volonté, cette capacité que nous avons, qui moi me touche profondément, c'est une fois qu'on croit que tout est perdu, parce que précisément si on n’agit pas, si on se dit “c'est pas la peine”, si on se dit “ça y est tout est foutu”, c'est précisément quand on croit que tout est perdu que finalement il y a encore quelque chose à faire. C'est ce qu'on voit dans ton essai, entre autres, cette radicalité est réaliste. Ce ne sont pas seulement des utopies radicales mais c'est des utopies radicales réalistes. Je pense que c'est ce point, qui est une espèce de tache aveugle, qu'on retrouve à la fois dans un essai et dans des romans, c'est que, même quand Sylvia Plath elle est morte, elle est vraiment morte, rien ne nous empêche de raconter la vie qu'elle aurait pu avoir, comme l'a fait comme l'a fait Coline Pierré. Oui, politiquement il se passe des choses très graves contre lesquelles on pense qu'on ne peut pas revenir, mais en fait si. Enfin si… Oui, si. En tout cas, on peut le tenter et je dirais même qu’on n’a pas besoin d'espérer pour entreprendre. C'est la devise de Guillaume d'Orange, que tout le monde connaît. Ca me paraît vraiment quelque chose de fondamental, de ne pas s'arrêter à “c’est pas réaliste”. C'est pas réaliste, mais il y a tellement de choses pas réalistes qu'on a faites en tant qu’humanité (je parle pas de moi [rire]) !
[Edouard H. Blaes] Un couple heureux depuis combien de temps, tu as dit, déjà ?
[Claire Garand] 27 ans !
[Edouard H. Blaes] Ouais, quand mĂŞme ! [rire]
[Claire Garand] C’était pas vraiment l’exemple [rire], je pensais à des choses un peu plus grandioses [rire]. Mais donc c'est ça qu'il faut jamais oublier, et il me semble que, aussi bien sur le plan romanesque que sur le plan plus scientifique et donc plus philosophique, ce sont des points qu'il faut garder présents à l'esprit. Je ne sais pas si c'est de la lâcheté, ce dégoût, ce mépris pour les fins heureuses, peut-être [rire], mais c'est peut-être aussi une espèce de résignation avant d'être de la lâcheté, c'est peut-être de la résignation. C'est contre ça qu'on peut essayer de faire quand même quelque chose. Donc lisez l'Eloge des fins heureuses de Coline Pierré et Pourquoi pas la vie.

[Edouard H. Blaes] Je suis super d'accord avec ce que tu viens de dire, sur le fait que ce soit moins de la lâcheté que de la résignation, et aussi qui regarde. C'est-à-dire qui écrit, qui regarde, et comment est-ce qu’on écrit la chose. Ce que je veux dire par là, c'est que si on écrit depuis le statu quo, est-ce que la fin heureuse c’est revenir au statu quo ? J'en reviens à ça parce que je suis passé très vite dessus tout à l’heure, mais globalement c'est là qu'on peut parler de lâcheté ou de résignation. Mais effectivement ça demande du courage, de sortir de ce statu quo où en fait, si moi j'écris, moi j'ai plein de privilèges. Donc réussir à me dire “Ok, attends, je vais me projeter dans le truc pour me sortir de ma condition de mec blanc”, qu'est-ce que la fin heureuse va être pour quelqu'un d'autre ? Parce que je pense que la fin heureuse, ça va dépendre aussi de à qui on parle et de qui va recevoir la chose. Pour la gentillesse et la bienveillance, moi personnellement je trouve que c'est super important et que c'est loin d'être galvaudé comme principe. J'ai cette phrase qui dit “souviens-toi que,si tu as le choix entre être intelligent et être gentil, il est toujours plus intelligent d'être gentil”. Je pense que c’est important d’avoir la gentillesse, et pour ça l'imaginaire (vous me coupez si je dis des conneries), mais pour moi l'imaginaire a cette force, l'imaginaire globalement dans la littérature a la même vertu pour moi (et ça je le dis souvent, ça va être une phrase que vous allez m'entendre dire tout le temps), il a les mêmes vertus pour moi qu'une métaphore dans un discours. C'est-à-dire qu'il permet de regarder, à travers un prisme, une situation et de la voir différemment. La métaphore te permet de reprendre une situation et de dire “Ok, si ça c'était un animal [rire], qu'est ce que ça me ferait”. En fait, l'imaginaire me permet de prendre la réalité, de la décaler un petit peu et de me dire “ok, qu'est ce que ça me ferait”. Pour moi, l'imaginaire c'est son importance et c'est comme ça je pense qu'on va vers une fin heureuse, c'est de regarder la réalité différemment et de voir vers où on veut aller, et surtout pour qui. Parce que la fin heureuse va dépendre principalement de là où elle part, et de à qui elle s'adresse. Ah, ça faisait sérieux d’un coup là ! Je te repasse le micro ?

[Questions du public]
[Public] Bonjour, merci déjà pour cette table ronde que j'ai trouvé très gaie, pleine d'humour,
et ça fait du bien déjà, rien que ça [rire]. Je voulais savoir quelle était la place de l'humour en fait dans tout ce bonheur et ces fins heureuses, parce que j'ai vu que c'était quelque chose que vous maniez tous les quatre avec brio [rire]. Donc quelle est la place de l'humour là-dedans ? Et j'aurais une deuxième question : est-ce que c'est pas intéressant pour le lecteur ou la lectrice d'avoir une fin dans un roman qui échoue, pour que en fait, je ne sais pas comment formuler cette question, mais pour que le lecteur ou la lectrice ait envie de faire mieux et que ça le ou la pousse à l'action. Je ne sais pas si c'est clair.
[Célia Flaux] C’est clair et c'est exactement ce dont Coline Pierré parle à un moment dans son essai. Elle était en relation avec un autre auteur et il a dit : “Je décris dans mes romans des situations intolérables pour que les gens aient envie de réagir.” Elle disait “C'est étonnant qu’on ait le même objectif et qu'on utilise des moyens tellement opposés pour y arriver”. Je vais reprendre un petit peu ce qu'elle disait. Elle disait “Est-ce que cet auteur croit vraiment que les lecteurs ne connaissent pas ces situations intolérables” ? C'est un peu ma position aussi. Je n'ai pas l'impression que les gens autour de moi ne connaissent pas ces situations intolérables de deuil, de dépression, de maladie, du chômage, de société, de famille, qui leur donnent l'impression de se sentir à leur place, de couples parfaits, de milieux non racistes, d'égalité hommes-femmes, d'environnement écologiquement viable et parfait, etc. Je pars du principe que mes lecteurs vivent dans ce monde, qu’ils sont conscients et qu’ils vivent tous, chacun bien sûr à notre niveau, des moments difficiles, et donc j'ai l'impression que je n'ai pas besoin de décrire l'intolérable parce qu'en fait c'est ce qu'on vit. Voilà.
[Alice Carabédian] Je peux dire un mot sur l'humour, peut-être, parce que je pense que c'est un sujet super important. Comme la science-fiction a toujours - maintenant elle commence à être acceptée et c'est plus un rebut de la société, la littérature de l'imaginaire etc. - mais comme il y a le mot “science” dans science-fiction, il y a toujours eu cette volonté de démontrer que, même si c'était des détours fictifs, il y avait quand même quelque chose de très sérieux qui était dit sur le réel, et pour le coup sur le réel aussi bien social que scientifique parfois, si bien que l'humour n'a pas souvent sa place en SF, à part dans quelques œuvres très précises. Je trouve que c'est bien malheureux, parce que pour moi l'humour justement c'est une façon de faire encore un pas de côté, et tout ce qui permet de faire des pas de côté, de se déplacer, donc on se déplace avec la SF, on se déplace avec l'utopie, on se déplace avec l'humour. Je trouve que ça permet d'être très sérieux au final, d'avoir un regard pas forcément cynique mais ironique, c'est-à-dire de biais sur les choses, c'est toujours un point important. C'est aussi ce qu'on attend de l'imaginaire, je pense, de nous déplacer, et l'humour en fait partie mais c'est vrai qu'on en trouve peu dans la SF. En fantasy je ne sais pas.
[Edouard H. Blaes] Sur l’humour, j’allais dire ce que j’ai dit tout à l'heure avec l'imaginaire et le fait que ça a les mêmes vertus qu’une métaphore dans un discours. En fait l'humour c'est la chose, ça a les mêmes vertus qu'une métaphore, c'est-à-dire que ça permet de prendre une situation, de décaler un petit peu, et de la regarder différemment, et de la regarder avec quelque chose qui va faire du bien aussi un petit peu, et donc de dédramatiser des choses très graves. Ça permet de les voir autrement et de pouvoir agir dessus, ce que l’on n’est pas obligatoirement capable de faire face à une situation qui est terrible, parce qu’on n'a pas la force pour ça. Alors que si on déconne dessus un peu, ça va permettre de faire quelque chose de plus appréhensible, je pense. Ca c'était pour l'humour et il y avait un autre truc que je voulais dire mais j'ai oublié, c'était quoi la question déjà ? [brouhaha en réponse]. Si oui, moi j’ai un truc à dire là-dessus. Vous n'allez pas être d'accord avec moi, ça je le sens mais très fort, moi je continue à penser qu’on écrit des petites histoires et j'ai pas envie qu'on me mette autant de poids dessus ! J'ai pas vocation à porter un lectorat entier vers un état supérieur, une réflexion, je ne suis pas assez solide pour ça moi. On écrit des petites histoires et j'aime bien rappeler quand même qu’on est des conteurs. C’est important, je dis pas, c'est super important et ça permet au contraire aux gens de créer leur réflexion, mais encore une fois j’ai pas envie de faire mal aux égos, mais on écrit de petites histoires [rire].
[Claire Garand] Oui, disons qu’en ce qui concerne l'humour, je partage tout ce qui a été dit. Je trouve que l'humour est particulièrement difficile à écrire, personnellement je ne m'y risque pas parce que je trouve vraiment ça très délicat. En terme de réception c'est [soupir, rire], c’est très très compliqué ! On parlait de ce que c'était qu’une fin heureuse pour qui, à quel moment, à quelle époque, etc. Et bien pour l'humour, les références, personnellement je trouve ça très très compliqué. J’adore en lire aussi, mais je pense que là il y a une grosse marge de progression en ce qui me concerne [rire]. Mais je trouve aussi que c'est une manière excellente, enfin c'est extraordinaire quand ça tombe juste, mais c'est tellement bon
et vraiment on se le répète en boucle, même, on l'apprend par cœur tellement c'est tellement, mais encore faut-il y arriver ! Je pense que c'est aussi pour cette raison qu'il y en a peu, parce que ce n'est pas facile à manier.
[Dans le public] Pardon, mais moi j'ai l'impression que les éditeurs français disent “On ne fait pas d'humour, enfin oui on fait des textes où il y a un peu d'humour, maïs on ne fait pas des textes d'humour parce que ça ne se vend pas”, et en fait ça ne se vend pas parce qu'ils n'en font pas. Enfin moi c'est mon avis, vous avez tous dit que vous voulez lire ça, que vous en voulez, et en fait vous êtes les mieux placés pour dire aux éditeurs “Si, si, prends-le mon bouquin”, vous, vous êtes déjà publiés et vous avez, peut-être pas vous personnellement, mais d'autres auteurs que vous connaissez, vous avez un poids en fait pour amener de l'humour et on en a besoin, sincèrement, on en a besoin.
[Fanny Ozeray] Plaidoyer pour l'humour !
[Edouard H. Blaes] Alors je suis super d'accord avec le fait qu’il faut amener de l'humour. Par contre (je sais que c'est pas ce que tu voulais dire, mais ça me permet de dire un truc), ce qu’effectivement peut-être un éditeur ne veut pas apprécier c'est l'humour pour l'humour, même si France on a vraiment ce côté-là, en tout cas plus du côté cinématographique on va dire, on a vraiment le côté l’humour pour l’humour, où il faut que ce soit potache, il faut qu’on rigole et que l'on puisse déposer le cerveau de côté. Alors il y a un truc, évidemment, qui a été publié en France et on ne parle que de lui, quand on pense humour en littérature, c’est de Terry Pratchett ou Douglas Adams, et c'est pas de l'humour pour de l'humour. C'est ça qui est super fort chez Pratchett justement, c’est qu’il prend un petit point de la société (pas sur les tout premiers, on va dire un peu plus loin dans le cycle), il va prendre un petit point de la société, il va le développer avec humour et justement il a le double prisme. Le prisme de l'imaginaire qui permet de décaler, et puis ensuite l'humour, on décale encore un peu plus et on va vers un truc où tu dis “effectivement, c'est complètement débile ce que je suis en train de lire” et ensuite tu dis ”mais attends mais attends mais c'est complètement débile mais là aussi c'est complètement débile” et si je le remets ici mais c'est complètement débile de base en fait” et c'est ça qui est fort avec Pratchett, je trouve. Ce n’est pas tant qu’il fait de l'humour, il analyse avec humour. Ca, si vous savez le faire, allez-y ! Parce que c’est chaud.

[Public] Bonjour, merci d'avoir parlé de santé mentale et merci aussi d'avoir parlé de fin faillible mais lumineuse en tant que fin heureuse. Ma question est par rapport à ce que vous avez dit tout à l'heure, donc les fins heureuses ce sont des fins réalistes aussi. Quels sont vos outils pour rendre ces fins heureuses réalistes, c'est-à-dire plausibles, qu'est-ce que vous utilisez narrativement ?
[Rires parmi les intervenants]
[Célia Flaux] Alors la structure narrative la plus simple en fait c'est celle qu'on retrouve dans tous les Disney, Marvel, machin, etc. En général, situation de départ, problème, ça marche pas ; deuxième plan, ça ne semble pas marcher ; retournement de situation, au moment de désespoir absolu, et fin heureuse, ça marche. Ca, c’est le schéma classique. Je suis désolée maintenant quand vous regarderez les trois-quarts des films et une bonne partie des romans que vous lirez, vous verrez que c'est exactement ça le schéma narratif d’une très grande partie des histoires. En gros si c'est un moment de désespoir qui arrive à 90% ou 95% de l'histoire, ça veut dire que ça va bien finir, et à l'inverse s’il y a un moment de joie qui arrive à 90% ou 95% de l'histoire ça veut dire que ça va mal finir. C'est le principe du contraste très général que tout le monde utilise. La question c'est justement que ce que je viens de dire là est très artificiel, n'est-ce pas. Donc, après, comment on fait pour faire une fin heureuse, je pense qu'il n’y a pas de recette parce que justement ça dépend énormément
des personnages et de qu’est-ce que représente le bonheur pour eux. Personnellement j'utilise énormément Anatomie du scénario de Truby prononce le nom de deux façons, qui dit que chaque personnage au début de l'histoire a un objectif mais que cet objectif est une illusion vers laquelle il court et qu'en réalité, il a un besoin qui est un besoin caché, qui est un besoin profondément enfoui et que ce besoin qu’il a va le conduire à faire du mal aux gens qui l'entourent. Donc le véritable enjeu pour ce personnage n'est pas d'atteindre son objectif, qui est comme un objet brillant, mais qui est de répondre à ce besoin, qui peut être un besoin d'amour par exemple, et de dire que la personne fait du mal autour d'elle parce qu'elle n'a pas reçu d'amour et qu'on qu'elle n'arrive pas à en donner autour d'elle. Et donc la question n'est pas de savoir est-ce que cette personne qui a besoin d'amour va devenir le chef de la grande entreprise mais plutôt est-ce que cette personne va réussir à renoncer à devenir le chef de la grande entreprise en réalisant que ce dont elle a vraiment besoin c'est de l'amour des personnes qui l'entourent et notamment de ses salariés par exemple. Je pense que quand on réfléchit sous ce prisme du besoin caché, du besoin fondamental dont le personnage ou nous-mêmes on n'a pas forcément besoin, alors tout d'un coup le concept de fin heureuse prend une autre dimension.
[Claire Garand] Je partage tout à fait ce que vient dire Célia, j'ajouterai juste un élément puisque nous avons des utopies radicales à ma gauche [rire], ça peut être l'univers aussi. C'est-à-dire que selon le même principe, l'univers peut être “malade”. Quand je dis l'univers je m'exprime mal, pardon, je veux dire l'endroit où se situe l'histoire. Cet univers peut être malade et la fin heureuse va consister selon un schéma similaire à celui que tu viens de décrire à rendre l'univers plus ou moins guéri. Ce que je veux dire par là c'est qu'il y a des histoires qui vont être dirigées par le personnage donc ce que tu décris mais certaines vont être plutôt centrées sur l'univers lui-même, sur ce qui s'y passe, et dans ce contexte c'est le “bonheur” de l'univers qui va être concerné mais le schéma est le même. C'est ce que je voulais ajouter parce que, quand on parle de dystopie ou d'utopie voire d'eutopie [rire], on va au-delà du désir du personnage. Alors l'univers n'a pas de désir mais ce sont les personnes qui vivent à l'intérieur, qui le constituent, mais ça peut constituer aussi une trame de l'histoire avec à la place du personnage l'univers voilà je voulais juste préciser ce petit point.
[Alice Carabédian] Moi ce que j'entends sur la question, c'est la question du réalisme en science-fiction et la question du plausible, la question du probable, du possible et/ou de l'impossible. Une fin heureuse peut être réaliste pour moi, même si elle est improbable ou plutôt impossible en fait. C'est ce qui est merveilleux avec l'imaginaire, c'est qu'on peut inventer les univers les plus fous possible mais néanmoins ils peuvent être réalistes. Déjà ils sont peuplés par des créatures que des humains ont créé, des humains de telle période, tel lieu, donc en soit le réalisme y fuse dans l'histoire qu'on le veuille ou non, puisque c'est vous qui l’écrivez. C'est pour ça que c'est intéressant, c'est qu’on peut raconter des histoires complètement improbables, qui ne se réaliseront peut-être jamais mais ce n'est même pas leur propos en fait. Pourtant elles sont réalistes ces histoires, ce qui s'y passe, les aventures des personnages, leurs émotions, leurs chocs, leurs traumas, les conflits, les transformations de société etc., ça reste réaliste. Je ne sais pas si ça répond vraiment à la question mais ces termes, en tout cas, moi je les travaille dans ce bouquin pas mal, entre réalisme, impossible, etc. Il y a beaucoup à fouiller là-dedans.
[Edouard H. Blaes] Pardon je réfléchissais. Ça m'arrive… et du coup ça se voit ! [Rire] Oui, ça c'est une question qui est super importante. Ce que je vois là-dedans, c'est comment est-ce qu'on écrit une fin qui soit heureuse et réaliste quand ce qu'on attend souvent de nous actuellement c'est qu’effectivement nos textes d'imaginaire soient réalistes, dans le sens où il y a des trucs qui se passent dans la vie, si on les écrit dans un bouquin on va nous dire c'est irréaliste et ça ne marche pas, et ça pour moi c'est un peu le taf de l'auteur ou de l’autrice de réussir à jongler avec ça et de réussir à se dire “Ok, je vais sortir un truc qui va avoir l'air réaliste même si dans la vraie vie il y a eu des trucs bien pires”. Je vais prendre un tout petit exemple dans un truc que j'ai écrit où je parle de trois mois dans une cave, isolé complètement du reste du monde, pour des raisons... Mon éditrice me dit “C’est super long, trois mois dans une cave” et du coup je dis “bah ouais j'suis d'accord, mais en fait c'est ce que c'est ce qu'a vécu ma grand-mère pendant la guerre”. Ils se sont cachés pendant trois mois en Alsace dans une cave parce que juste au-dessus il y avait les Allemands. Du coup, elle m’a dit “Ah merde, si c’est arrivé en vrai, bah oui on le garde” [rires]. Je lui ai dit “Non, on va couper la poire en deux, parce que moi mon taf c'est pas de faire un truc où le lecteur va s'arrêter et se dire “Mais n'importe quoi”, moi mon taf c’est de raconter une histoire”. Et ce n'est pas le sujet. Disons que si c'est le sujet, si vraiment ton histoire c'est l'histoire de ta grand-mère dans une cave qui a survécu pendant trois mois et de montrer à quel point les humains sont badass quand il s'agit de survivre à une saloperie de manière absolument insensée, et bien oui évidemment tu le gardes, évidemment tu le fais. Mais là ce n'est pas le sujet. Donc du coup j'ai pas envie de casser la lecture à quelqu'un, juste parce qu’il va devoir s'arrêter et faire une recherche sur Google pour voir si effectivement des gens survivent dans des caves pendant trois mois. Je ne sais plus où j’allais avec mes histoires. Je disais quoi… Tu te souviens ? Non toi non plus ? Ah oui, si, pardon, je voulais juste… je suis désolé mais effectivement il n'y a pas de réponse à cette question. [Rires dans le public] Parce qu’il n’y a pas de recette. Ce serait cool qu’il y en ait, en fait non ce serait nul qu’il y en ait, mais effectivement non il n'y a pas de réponse à comment est-ce qu'on écrit une fin heureuse ou même une fin.

[Fanny Ozeray] Même si on passe un très bon moment ensemble, et qu’ils vont vous dire “Oui, oui, on peut rester, tout ça”, mon rôle c’est aussi de m’assurer qu’ils aient une vraie pause déjeuner, parce qu’en fait c’est fatiguant d’être devant vous. Mon rôle c’est de ne pas dépasser le temps, j’en suis désolée, merci à tout le monde d’avoir été présent !

[Générique de fin]

En cours de lecture

Réécrire les mythes : un acte politique ? - Avec Yasmine Djebel, Jean-Laurent del Socorro, Jolan C. Bertrand et Aiden Thomas (Modération Manon Berthier, Interprète Julia Richard)

RĂ©Ă©crire les mythes : un acte politique ?

Enregistré le 30/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.

Depuis des décennies, les auteurices d’imaginaire réécrivent les mythes et légendes du monde entier. En se réappropriant les œuvres polymorphes de leurs prédécesseurs, ils capturent l’image de nos sociétés et leurs évolutions. Comment réécrit-on les mythes et légendes et pourquoi ? Quels engagements se cachent derrière cette nécessité de réécriture ?

Transcription :
RĂ©Ă©crire les mythes : un acte politique ?
Avec Yasmine Djebel, Jean-Laurent del Socorro, Jolan C. Bertrand, Aiden Thomas
Modération : Manon Berthier
Traduction : Julia Richard

[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off]
Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…

[Manon Berthier] Bonjour à toutes et à tous, je suis très heureuse, et je crois que c’est partagé, de vous voir si nombreux-nombreuses pour cette table ronde qui est consacrée à la réécriture des mythes, et qui va poser la question de la dimension politique de ce travail. On est six sur scène ce matin. Je m’appelle Manon Berthier, je suis doctorante en littérature comparée sur la fantasy dans une perspective féministe et je vais vous présenter nos invitée·es. Jolan C. Bertrand est auteur de science-fiction et de romans jeunesse, il est également intervenant scolaire et conseiller syndical à la ligue des auteurs professionnels. Il a obtenu le prix jeunesse de l’Ouest Hurlant pour Les sœurs hiver paru à l’École des Loisirs l’an dernier, et dans la même maison d’édition en février dernier il a sorti Là où règnent les baleines. Yasmine Djebel a passé son enfance entre la banlieue parisienne et Alger, elle exerce en tant que kinésithérapeute dans une clinique pour adolescents et est inspirée des légendes d’Algérie et d’ailleurs : Sirem et l’oiseau maudit est son premier roman. Jean-Laurent del Socorro est auteur de romans de fantasy historique, et Morgane Pendragon est une réécriture des légendes de la table ronde qui prend le partie d’un scénario où c’est Morgane et non Arthur qui extrait l’épée de la pierre. Il écrit également à destination des jeunes adultes à l’École des Loisirs avec notamment Une pour toutes, et à paraître en octobre Vainqueuse sur la princesse spartiate Cynisca. Et enfin Aiden Thomas qui est un auteur latino-américain qui écrit surtout de la fantasy jeune adulte, son premier roman Cemetery Boys est un bestseller du New-York Times et le premier titre de fiction écrit par un auteur trans et centré sur un personnage trans à figurer sur cette liste prestigieuse. Il est paru en 2020 et traduit en 2022 chez ActuSF, et cette même maison d’édition vient de traduire son dernier roman sous le titre Le porte Lumière. Enfin, Julia Richard, qui est elle-même autrice, a la gentillesse d’interpréter pour Aiden aujourd’hui, donc on la remercie. Et on vous remercie tous et toutes d’être là avec nous.

[Applaudissements]

Je l’ai dit c’est une table ronde consacrée aux mythes. Ce qui est bien à l’Ouest Hurlant c’est qu’on ne se voile pas les yeux sur tout acte politique de l’acte d’écriture. On va un peu restreindre le sujet à la révision des mythes. À titre préliminaire, je veux juste préciser qu’on va prendre ce terme qui est très protéiforme sur la définition duquel on n’est pas d’accord, y compris en études littéraires, dans une définition très large, qui va renvoyer à toute tradition, image, scénario reconnu et répété au sein d’une communauté humaine et c’est une définition qui peut à la fois englober des récits liés aux cultes, aux religions ou à des création individuelles (récits, figures) qui ont échappé à leurs auteurs premiers. Pour peut-être situer vos textes pour celles et ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de les lire, et pour introduire ma première question, Jolan tu associes mythologie nordique et scandinave à un imaginaire plus folkloriques ou en tout cas plus proche du conte pour ce qui concerne l’intrigue de Les sœurs hiver, et dans Là où règnent les Baleines tu travailles à partir de la figure de la sirène et des contes d’Andersen. Yasmine ton roman est inspiré des contes et légendes d’Afrique du Nord, d’Algérie en particulier, et plus largement de la culture berbère. Jean-Laurent, tu t’inscris dans une tradition longue de réécriture de la matière arthurienne. Et Aiden, ton roman est centré sur diverses traditions latino-américaines, en particulier le roman s’articule autour de la figure de Lady Death, la Dame de la mort, et du Dia de muertos. La première question que je voulais vous adresser est : qu’est-ce qui vous a attiré, interpellé, mené au choix de retravailler ces matériaux mythiques en particulier ? Matériaux mythiques qui sont justement caractérisés par leur dimension collective et leur réappropriation permanente.

[Jean-Laurent del Socorro] Bonjour à tous·tes. Je pense que comme vous l’avez dit, je m’inscris dans une longue tradition de réécriture, donc je pense déjà qu’il faut une bonne dose d’orgueil pour dire aujourd’hui je vais pouvoir apporter quelque chose de neuf alors qu’il y a énormément de choses très intéressantes qui ont été faites de façon contemporaine sur la légende de la table ronde. J’ai voulu, et m’inscrire et quand même interroger quelque chose. L’inscrire dans mon propre chemin d’écriture, de remettre au centre des personnages féminins et d’interroger la figure de Morgane en disant : qu’est-ce qu’il se passe si on met Morgane au centre du récit en zone de pouvoir si elle retire l’épée, et plus globalement si on replace des personnages féminins à tous les niveaux de représentation au sein du récit autour de la table de ronde en zone de pouvoir. Et, je voulais voir comment aujourd’hui, on pouvait essayer de réécrire ça, de reproposer ça où tout le lectorat peut se retrouver dedans. La première chose qui m’a marquée dans la lecture des textes, parce que j’ai quand même dû avaler des milliers, des milliers et des milliers de pages de textes écrits entre le 13e et le 17e siècles qui constituent le canon. On voit déjà qu’il y a d’énormes variations sur le personnage de Morgane qui passe d’un personnage plutôt très autonome et bienveillant, à l’opposante malveillante et cruelle que l’on dépeint aujourd’hui dans la pop culture. Et justement je suis quand même étonnée parce que dans la pop culture si on a aujourd’hui des ouvertures sur la représentation au cinéma, en BD et en série, il y a des choses qui ne sont toujours pas abordées, notamment sur la représentation des femmes, au sein de ce mythe.

[Yasmine Djebel] Je vais partir à contrepied de ce que disait Laurent, et même de la conférence parce que pour moi avant de réécrire les mythes il faut les écrire. Dans le sens où, quand on vient d’un pays où quand on a un héritage. Moi je suis née en France de père algérien, et on a un héritage très oral, mes grands-mères ne savaient pas écrire, étaient analphabètes, et il y a une grande tradition orale qui s’est perdue, dûe à l’invasion arabe pour la culture berbère, et ensuite avec la colonisation française. Et je me pose aussi cette question dans Sirem avec ces thématiques de l’acculturation, de quels savoirs méritent d’être écrits, et quels sont ceux qui sont voués à disparaître. C’est pour ça que j’ai voulu mettre d’abord des mots sur ces mythes pour les préserver, ou ce que j’en ai gardé. Donc pour moi c’était la première étape. Ensuite ces histoire que me racontait mon grand-père enfant, et mes grands-mères c’étaient plutôt des proverbes, des superstitions, c’était plus diffus. Et il y a beaucoup d’événements avec des conteuses, il y a une vraie figure de la conteuse. Mais il y a très peu de gens qui ont écrit, à part Mouloud Mammeri qui a essayé de chercher ces mythes et de les réécrire, mais il y a très peu de sources. Donc j’ai dû me reposer sur des souvenirs. Dans la réécriture par contre, j’ai dû mettre des valeurs qui sont les miennes, car j’adorais les histoires de mon grand-père mais on n’était pas très en accord sur certaines choses, notamment la figure du héros qui était souvent un garçon très rusé. C’est pour ça que j’ai décidé de choisir une femme, Sirem, qui elle est l’héroïne rusée qui va déjouer les pièges.

[Aiden Thomas] Somewhere as Manon said that my Mexican culture, and indigenous Americans were entirely wiped out in our society, it only exists through storytelling and retellings as in oral tradition. So for me when I am taking a myth and I’m retelling them, not only I’m trying to perserve these stories so we can continue to pass them down, but I also want to introduce people to our mythology and even just my culture which I think is naturally very beautiful and magical. So I think a lot of people don’t know that, so for me one of the most gratifying part of rewriting these stories is to show off how beautiful and vibrant it is, while also evolving the stories so they are more representative of our modern communities with queer and trans characters. So that we are building on tradition and bringing more people in and honoring the diverse communities that made part of the culture.

[Interprétation de Julia Richard] Donc comme vous le savez surement je viens d’une culture Mexicaine, pour moi les mythes existent à travers le fait de les dire et de les réécrire. Par rapport à ce que disait Yasmine, on est sur une tradition orale donc pour moi c’est d’abord le fait de préserver l’histoire pour ensuite pouvoir la transmettre. Et c’est une bonne chose qui me permet d’introduire ce type de mythe à un public, mais aussi de donner cette culture au public. Et ce qui est très gratifiant c’est que ça me permet un peu de me la péter pour montrer que cette culture est particulièrement belle et vibrante, mais c’est également une opportunité de la faire évoluer en incluant des éléments modernes. Notamment avec toute la notion d’éléments queer, et de pouvoir construire au-dessus de ce qui a déjà été fait, mais aussi d’honorer ce qui a été fait auparavant.

[Yasmine Djebel] Je vais rebondir sur ce qu’a dit Aiden à propos de “Showing Off”. Quand on est entouré de représentations négatives toute son enfance sur la culture arabe, arabo-musulmane, nord-africaine, c’est important de montrer des beaux objets livres, de belles aventures, qui mettent nos héritages en valeur. Parce que je connais beaucoup de gens qui font un rejet total de cette culture par honte. Donc c’était aussi une volonté d’en faire quelque chose de beau. Donc se la péter avec notre héritage.
[Jolan C. Bertrand] Je vais passer mon tour car je pense que ce que Aiden et Yasmine ont dit était important et que c’est bien de clore là-dessus en fait. Je répondrai à la question suivante si ça ne vous dérange pas.

[Manon Berthier] L’intitulé de la table ronde est « Un acte politique », et je voulais donc vous interroger sur ce positionnement politique vis-à-vis des matériaux mythiques que vous avez choisi de traiter en termes de responsabilité, peut-être, en termes de rapport en tout cas au collectif, à la communauté. Et il me semble que la question se pose de façon particulièrement évidente pour Yasmine et Aiden puisque vous travaillez à partir de traditions qui sont encore très vivantes. Surtout dans le cas d’Aiden il me semble, mais tu me corrigeras si je me trompe Yasmine, il y a aussi un rapport au sacré, au spirituel, au religieux. Donc peut-être en première piste avant de revenir à vous, je me demandais Aiden comment tu avais navigué entre ta volonté de parler de transidentité et de transphobie au sein de communautés latino-américaines, et ce qui est très manifeste dans ton écriture, à ton attachement à celle-ci et à vos traditions.

[Interprétation de Julia Richard] Could you tell us, cause she’s saying that this panel offers the opportunity to talk about a political statement. So what is your position about this matter? You have Cemetery Boys, but also The Sunbearer Trial, so in terms of ethics and responsibility, especially through sacred and spiritual elements, how did you navigate between the transidentity and the transphoby that might occur in latinx communities, and your will to position.

[Aiden Thomas] A big question ! For me, within the latinx community there’s a thing called machismo which is toxic masculinity basically, and for me it’s so funny cause our culture can be very traditional. And usually when you hear that you think exclusionary. So when I was retelling these stories, and telling in general, it was to show off and to teach people that all of these identities are part of our community. And while I think sometimes acknowledging people is different than moving away from traditions like what I mentioned earlier. It’s much more about representing all these people who make our community and how diverse that is, and how we should be honoring and respecting them. As opposed to being wary and afraid. So, whenever I’m retelling these myths it’s so important to me that I am putting in these all the different people of our community.

[Interprétation de Julia Richard] C’est une grande question. Pour moi, il se trouve que dans la latinx community il y a pas mal de machisme, en tout cas de masculinité toxique puisque l’on est sur une culture qui est assez traditionnelle. Avec cette notion peut arriver la notion d’exclusion, donc pour moi c’est vraiment important de pouvoir démontrer aux gens qu’il y a de belles choses dans cette culture, mais aussi de pouvoir enseigner aux gens, de montrer que cette culture là est assez diverse, et que l’on appartient tous à cette culture là en tant que personnes. C’est donc important de pouvoir représenter et de respecter la communauté sans notion d’opposition parce qu’on pourrait être effrayé de cette différence. Il faut pouvoir mettre en avant toutes les personnes qui appartiennent à cette communauté, peu importe leur différence.

[Yasmine Djebel] Pour répondre à la question, tout à l’heure je parlais d’écrire les mythes, de mettre en valeur des représentations positives de notre héritage et de notre origine, donc là je me place en tant que française de parents algériens. Mais du coup tu parlais de culture berbère, mon roman a beaucoup été marketé comme ça, on voit sur la couverture une tenue kabyle, mais tous les personnages, et c’est pour ça que je parle du nord de l’Afrique, c’est que moi aussi je suis de culture arabe, c’est la langue que mes parents parlent. Même si génétiquement je ne viens pas de la péninsule arabique, on est Africains. Pour refaire un point historique, lors de la phase de décolonisation, des pays ont pu l’obtenir de manière pacifique avec des traités, mais l’Algérie l’a obtenue dans le sang avec une guerre, donc elle a dû s'allier avec des pays arabes, ce qu’on a appelé le panarabisme avec la ligue arabe, etc. Cette identité arabe a pris le pas sur un héritage de 2000 ans qui est la culture berbère, la culture Amazigh. Par exemple, dans mon roman je parle de tatouages, qui est une culture qui a 2000 ans. Ma grand-mère était tatouée, et elle avait honte de ce tatouage parce que les Arabes et l’Islam avaient dit que c’était contre la religion, que c’était païen. Des gens ont été interdits, comme ma mère qui n’a jamais appris le kabyle par exemple, il fallait parler l’arabe. Donc il y a eu une vraie arabisation forcée. Au lieu de penser l’identité comme plurielle, et même en France, car du coup je suis sur trois couches avec mon identité française. Et en Algérie on a cette culture berbère, mais aussi cette culture arabe. J’ai grandi avec des chansons égyptiennes dont je me suis inspirée, avec des poèmes palestiniens et syriens que j’adore la poésie arabe, et je ne fais pas de distinctif ou d’opposition entre les deux cultures car pour moi une identité peut être plurielle. La thématique de l'acculturation, de cette idée d’État-nation, une identité, ne me plait pas du tout. D’où les différentes inspirations et la portée politique.

[Manon Berthier] Du coup Jolan et Jean-Laurent, comment vous vous positionnez sur cette question du rapport entre le matériau mythique et la communauté ? Et peut-être pour faire la continuité avec la première table ronde de ce matin, je me demandais si tu avais réfléchi Jean-Laurent à ta position en tant qu’auteur, en tant qu’homme, par rapport à une tradition féministe de révision des mythes qui est très anciennes, qui s’est particulièrement développée, qui s’est théorisée à parti du second féminisme dans les années 60. Car au-delà de Morgane Pendragon, tu disais que beaucoup de tes romans sont basés sur une figure historique féminine.

[Jean-Laurent del Socorro] La partition déjà de les remettre en avant autour du texte, et par rapport au matériel mythique c’est dire qu’effectivement il est plus ancien, mais il reste vivant et de ne pas tomber dans quelque chose où le mythe, dans cet exemple-là il est arthurien, il est figé et devient dogme. Il y a pas mal de réactions autour du livre qui est, sans remettre en cause cette approche, disent qu’il y a quand même la vraie histoire avec Arthur au centre, et ça c’est une variation. Donc non, c’est une version du mythe à mon avis comme il y en a eu, comme il y en aura d’autres encore plus englobantes que ce que je propose. Je trouve que c’est important de se poser la question de : le mythe est vivant, il appartient à toutes et tous, et on a le droit de se le réapproprier, de ne pas le laisser, d’un point de vue politique de se figer car il est souvent vite réapproprié par des identités politiques auxquelles on n’adhère pas et on a le droit de reproposer quelque chose derrière. Et ce qui est intéressant par rapport à ce que mes collègues ont dit avant, il y a la dimension religieuse, on connaît la version réécrite d’un point de vue très catholique où la position du paganisme est pointée du doigt, on l’efface, où c’est mal. Et je voulais aussi réinterroger ça sur la dimension d’une culture celtique d’origine. Et dans le récit c’est effectivement l’arrivée du catholicisme, cette question de : on écrase une culture en place, on n’est pas dans une pluralité pour reprendre tes mots Yasmine, il y a qu’une voix qui est possible. C’est important je pense, ce n’est pas parce que le mythe est ancien que : 1 on ne peut pas se le réapproprier, complètement le changer, et 2 qu’il n’a pas une politique politique très actuelle.

[Jolan C. Bertrand] C’est intéressant ce que tu dis sur le fait qu’il y ait des groupes qui peuvent se réapproprier certains mythes alors que ce ne sont pas du tout les mythes qui leurs correspondent. Parce que moi dans Les sœurs hiver j’utilise pas mal la mythologie viking, les fascistes d’extrême droite adorent les mythologies vikings et Odin c’est leur gars, alors que c’est super drôle car tu parlais de réécrire la mythologie pour y amener des thèmes queer, comme le fait Aiden, ici ce qui est bien c’est qu’il n’y a pas besoin de la réécrire elle est très queer toute seule. Donc je trouve ça extrêmement drôle quand je vois des fascistes très homophobes, transphobes, etc., qui se réapproprient cette mythologie alors que si les Nordiques les voyaient ils leur défonceraient la gueule pour leur apprendre une leçon, pour les punir directement car non absolument pas. J’avais déjà un personnage queer dans la mythologie que je voulais utiliser, c’est Loki. Ils sont tous un peu queer, mais Loki c’est particulièrement flagrant, c’est un personnage totalement gender fluid, qui apparaît dans les mythes sous plein de formes différentes, animales aussi, et il y avait tellement de choses à faire avec cette mythologie. Ce qu’on a tous en commun, je pense, ce sont les territoires dans lesquels s’inscrivent nos récits qui sont des territoires, comme le disait Yasmine, avec plusieurs couches de tradition et mythologie. Les Sœur hiver je ne l’ai pas placé dans un pays précis car la fantasy historique il y a trop de recherches à faire, je suis trop flemmard. Donc j’ai fait un pays imaginaire d’inspiration nordique, je ne me suis pas seulement inspiré de la mythologie viking, mais aussi scandinave, spécifiquement finlandaise puisque j’y ai vécu. Sans faire de recherches spécifiques mais en prenant des trucs que j’avais entendu, puis en extrapolant. C’est peut-être pas très cool et respectueux de ma part envers les Finlandais, s'il y en a dans la salle je suis désolé. Je suis flemmard, on ne se refait pas. C’est intéressant aussi car même la mythologie purement viking elle a été ré-écrite de plein de manières différentes au fil des invasions et des colonisations, je ne sais pas si on peut parler de colonisation dans cette partie du monde, mais en tout cas des invasions. C’est pour ça qu’Odin a une liste de noms, avec autant de noms car c’est un personnage qui est apparu dans plusieurs mythologies : slaves, germaniques, scandinaves. Il a eu plusieurs noms à chaque fois. Et même dans les mythologies du sud de l’Europe, si on fait des comparaisons notamment avec la mythologie grecque, on s’aperçoit qu’il y a énormément de connexions entre les deux car toutes les mythologies se rassemblent à un moment car les gens se déplacent et emmènent leurs histoires avec eux, les racontent, et elles évoluent avec les déplacements. Je ne sais plus trop où je voulais aller avec ça, je ne sais même plus qu’elle était la question. Les mythes se réécrivent tout seuls, donc on s’inscrit tous je pense dans une tradition de réécriture des mythes, et de réinvention des mythes en tout cas. Ils se réécrivent traditionnellement, donc on continue ce que faisait déjà la civilisation à la base.

[Manon Berthier] Vous en avez déjà commencé à en dire quelques mots donc ça me fait une super transition. Ce qui m’a frappé en lisant vos romans, que j’ai par ailleurs pris beaucoup de plaisir à découvrir, c’est qu’un enjeu commun qui les traverse, de façon très explicite chez Jean-Laurent et Aiden, et plus subtile mais non moins intéressante chez vous Jolan et Yasmine, c’est la réflexion autour du genre. Pas en tant que genre littéraire, même si par ailleurs il y a un travail très intéressant que vous avez mené à des niveaux différents également, mais en tant que rapports sociaux de sexe. Et sans vouloir trop restreindre le champs de la question, je voulais vous lancer sur ce sujet-là, que ce soit du côté d’une volonté dans ces romans en particulier de traiter de cette problématique éminemment politique bien sûr, ou plus largement ce que l’association des notions de mythe et de genre peut évoquer chez vous.

[Jolan C. Bertrand] Pour moi spécifiquement, je pense que je parle toujours un petit peu de genre dans mes histoires, même si ce n'est jamais le sujet principal. Mais après comme je le disais, dès lors qu’on utilise la mythologie nordique, on ne peut pas échapper à cette question là. Ce n’est pas un hasard si j’ai écrit une histoire dans une culture d’inspiration viking. J’ai trop la flemme pour écrire de la fantasy historique, mais en fait j’adore l’histoire et je trouve ça fascinant. Et la culture viking et l’histoire scandinave fait partie des périodes historiques et des zones historiographiques qui m'intéressent le plus. On découvre sans arrêt de nouvelles choses. Et si on regarde les études historiques qui ont été faites, qui ont commencé peut-être au 17e-18e siècles, il y en a eu avant évidemment, mais l’histoire moderne telle qu’on l’a fait maintenant, ça a commencé à cette période là, et c'était principalement des hommes qui la faisaient. Donc dès qu’ils déterraient un squelette avec des épées c’était forcément un homme, cela ne pouvait pas être une femme. Et maintenant qu’on a la technologie avec des machines dans lesquelles on peut passer les squellettes pour savoir si c’est un homme ou une femme, on s’aperçoit que le fait qu’il y ait des épées autour ça ne veut pas forcément dire que c’est un homme. Et dans la culture viking, c’est flagrant. On n’en sait pas autant que pour d’autres cultures car il n’y a pas autant de sources écrites qui ont survécu, mais on sait que les femmes avaient une place dans la société qui était beaucoup moins mise de côté que dans les cultures catholiques notamment. Elles avaient le droit de divorcer, elles allaient à la guerre… Cela se faisait aussi en Europe sous culture catholique, il y en avait bien évidemment, mais c’est pas forcément l’image qu’on en a, et il y en avait moins ! Alors que dans la culture viking, c’est complètement normal. Alors concevoir un village viking complètement random, limite j'aurais pu le tirer avec des dés, automatiquement j’ai mis des femmes dans des positions dans lesquelles traditionnellement dans les films et séries on voit des hommes. La cheffe c’est une femme, la forgeronne, la seule guerrière qu’on a c’est une mi-guerrière. Ce n’est pas uniquement par rapport aux recherches qui ont été faites, c’est moi qui en ai marre de lire des histoires de fantasy où à chaque fois que quelqu’un se fait poursuivre par un garde, c’est toujours un garde et jamais une garde. Et j’ai beaucoup aimé Le Prieuré de l'Oranger à cause de ça car on se bagarre avec des gardes qui sont un mélange de femmes et d’hommes. En général, dès qu’un personnage n’a pas de nom, particulièrement en fantasy, c’est systématiquement un homme. Les femmes, on ne les voit pas, elles ne sont pas dans le décor, elles sont sur le devant de la scène et sinon elles n’existent pas. C’est une société où les femmes sont invisibles. Donc c’est ce que je voulais faire avec Les sœurs hivers, et les Baleines c’était un peu plus subtil, j’ai parlé de genre aussi. C’est pareil les Baleines j’ai créé toute une civilisation de créatures et j’ai décidé qu'on les genrait uniquement au féminin. Elles n’ont pas de langage donc elles ne se genrent pas, mais les humains qui interagissent avec utilisent uniquement le féminin. Et c’est quelque chose qu'on ne voit jamais. Dès qu’il y a un alien qui arrive sur terre, c’est systématiquement un, on en parle au “il”. Je me rappelle très bien de cette scène dans E.T., que j’ai vu enfant, quand la petite sœur d’Elliot demande si E.T. est une fille ou un garçon et qu’Elliot répond que c’est un garçon. D’où tu sais que c’est un garçon ? Question à la con. Pourquoi tu dis que c’est un garçon ? C’est un alien, c’est une sorte de crapaud bizarre, qu’est-ce que tu racontes. On fait ça systématiquement, et c’est pareil, c’est une invisibilisation totale de la moitié de l’humanité qui n’est pas possible. Donc c’est ce que j’ai voulu faire aussi dans Là où règnent les baleines, quand on aperçoit une créature bizarre donc le genre social ou le sexe biologique n’est pas immédiatement apparent, pourquoi tu partirais du principe que c’est une créature masculine ? Du coup mes personnages sont partis du principe que ce sont toutes des créatures féminines, ce qui me paraît plus intéressant.

[Yasmine Djebel] Thématique très subtile du coup dans Les sœurs hiver que j’ai adoré. Pour les questions de genre j’ai parlé de l'héroïne rusée que j’ai repris, donc je ne vais pas me répéter par rapport à ça. Mais il y a deux choses que je voulais remettre en avant. Une figure des mythes berbères ou amazigh, la figure de l’ogresse qui est très peu connue en France alors que c’est vraiment une figure importante. Toute personne en Afrique du Nord connaît l’ogresse El Ghoula, en arabe, Teryel en amazigh. En fait cette ogresse, on l’appelle aussi la femme insoumise. Et dans les contes, elle n’est jamais ni méchante, ni gentille, parfois elle va aider les femmes répudiées, les femmes seules, dans d’autres histoires elle va dévorer les enfants. Elle n’a pas de morale, c’est une femme puissante et insoumise aux hommes. Plus jeune je n’aimais pas ce mot car c’est devenu une insulte, El Rola, en gros quand j’avais mes cheveux bouclés ou détachés, mon père me disait attention attache-toi les cheveux tu vas ressembler à El Rola, donc l’ogresse. Et c’est devenu quelque chose de négatif de ressembler à cette ogresse. Alors que dans les contes d’origine c’est une femme puissante. Du coup, je réutilise cette figure puisque dans mon roman il y a cette ogresse, et des djinns qui font aussi partie de la culture arabo-musulmane et nord-africaine donc les deux vont bien ensemble. Les ogres ne sont pas qu’à Perrault. Il ne faut pas l’oublier, 2000 ans de culture. Par rapport au genre c’était important pour moi de remettre ça, ce personnage qui est une femme insoumise qui va se venger, qui va être un antagoniste au début, mais pas forcément, sans trop en dire. Et un deuxième sujet, qui est un problème pour moi intracommunautaire que je ne sais pas si peut-être Aiden tu vas rebondir dessus. Si, tu l’as déjà abordé, la virilité toxique, dans laquelle j’ai baignée. Tu es un homme, tu es fort, tu ne pleures pas, tu ne montres pas tes émotions, et la force c’est forcément le courage et la force physique. Et j’ai préféré, du coup, faire des personnages masculins qui sont des personnages forts mais qui ne sont pas des personnages forcément virils, mais qui n’en sont pas moins courageux. C’est ce que j’ai essayé de faire, d’aller à contre pied de ces figures-là, de toutes ces injonctions. Entre mes frères et mes cousins je l’ai vu, certains cousins qui ont beaucoup souffert de ces injonctions à la virilité toxique, ne pas chanter trop aigu, ne pas marcher de telle façon… Il y a des injonctions sur les femmes, mais sur les hommes aussi, donc ça me tenait à cœur de montrer d’autres visions de l’homme et de l’homme maghrébin qui en France est extrêmement déconsidéré, qui est toujours une figure souvent de voleur, de dealer, d’oppresseur, sur sa propre communauté etc. Ça me tenait à cœur de montrer d’autres modèles par rapport au genre. Ensuite, je ne veux pas du tout faire de queerbaiting car je n’ai pas abordé ces thèmes, ou alors trop subtilement avec un personnage, donc je ne vais pas faire comme une certaine autrice, et je vais me taire.

[Aiden Thomas] Think I got it. With mythology and retelling the stories, and what I wanted to do with mine, specifically in American writing and society in general, there’s this idea of the chosen one. So, the hero, the person, that one special person, proves themselves to be chosen, whatever. And we put this emphasis on the chosen one as a being, just because they have this one special thing about them. They should be the one who overthrow the society and must be in charge of this society, which is a very obnoxious American idea of the individual over the community. So, when I retell the stories I try to be a little bit away from this very westernized storytelling. My characters, especially in young adult fiction, you now like Katniss, which is seventeen. Seventeen ! And you want to put her in charge of an entire government. So when I’m retelling the stories, I want to kind of change your expectations of what the chosen one is, what the hero is like. I want my heroes to be asking for help, they need to be vulnerable. I want them to be thinking about not what is just the best for them, but what is the best for their community that they live in. So for me, it’s a very political act of acting against that American exception which is to begin with very embarrassing honestly. I constantly take everything back to the community, whether that’s a whole world, or a secret group of witches in east LA.

[Interprétation de Julia Richard] Quand il s’agit de réécrire des mythologies, de refaire ces mythes ce que je voulais faire déjà c’était de m’émanciper de cette notion du Chosen one, donc c’est-à-dire de la personne élue de la prophétie, puisque dans la société américaine on a cette vision de la personne spéciale qu’on va vouloir mettre en avant car elle a quelque chose, un truc à elle, qui fait qu'on décide que c’est un leader qui pourra amener la société dans un grand chemin. Et qui est une façon de voir les choses qui est extrêmement occidentale. Par exemple, dans le cas de Katniss dans Hunger Games elle a 17 ans, et non c’est pas ok de la mettre à la tête d’un gouvernement car on a décidé que c’était comme ça. Par rapport à ça, pour moi le chosen one, le leader, ça doit être quelqu’un qui peut être vulnérable, qui peut demander de l’aide, qui peut faire ce qui est bien pour lui, mais également ce qui est bien pour la communauté. Car c’était vraiment important de pouvoir sortir de ce schéma de en Amérique on est les meilleurs, car c’est quelque chose dont je suis honteux, et j’en suis particulièrement désolé, mais je pense que c’était quelque chose qu’il fallait reconsidérer.

[Yasmine Djebel] Je vais rebondir en une phrase sur ce qu’a dit Aiden, c’est qu’on partage en fait cette notion de communauté dans nos héritages qui n’est pas mis en avant et qui est écrasée par cette culture occidentale de l’individualisme. Et que c’est super de pouvoir remettre cette notion de communauté dans nos histoires et en imaginaire.

[Jean-Laurent del Socorro] Oui, beaucoup de choses ont été abordées, mais c’est vrai que si je me recentre juste par rapport à mon approche dans mes textes et de la représentation des genres. C’est quelque chose que j’ai essayé d’avoir depuis mon premier texte. C’est un long chemin, je suis une tortue, donc j’ai essayé dès le départ d’avoir cette question là, je ne veux pas parler à un lectorat, je veux parler à tous les lectorats. Alors c’est très ambitieux, je n’y arrive pas mais j’essaie de texte en texte de poser la question. Et c’est vrai que la représentation d’avoir des héros gays, des héroïnes lesbiennes est un peu au centre, et surtout de ne pas essayer de les essentialiser. J’ai un relectorat en sensibilité, donc avoir des gens concernés qui donnent des avis justement pour éviter les nombreux tropes dont j’ai hérités et que je continue à faire dans mon écriture, malgré cinq ou six livres derrière moi. Et voilà, Morgane je pense dans mon écriture a permis d’aborder encore ça sous d’autres aspects. Par exemple, j’ai voulu évidemment une table ronde mixte, mais qui est aussi sous la représentation de tous les genres. Et surtout c’était l’occasion d'essayer de dynamiter la loi salique, et de dire pourquoi on a toujours cette représentation hyper biaisée de dire « ohlala c’est forcément un l’homme qui hérite du pouvoir », comme d’aller plus loin et de dire qu’en zone de pouvoir on s'en fiche. On peut proposer en terme d’alliances un homme et un homme, une femme et une femme, on ouvre complètement l’aire de jeu et on se rend compte que cela interroge vraiment en terme de représentation, et en terme naratifs cela ouvre un champs des possibles incroyable. Je me rends compte, je parle que pour moi, qu’on s’interdit des champs des possible parce que je suis sur un héritage, parce que j’ai baigné dans une certaine culture, et une lecture de l’imaginaire qui était sur un certain type de Moyen ge qui nous était renvoyé, et aujourd’hui je pense qu’il faut expérimenter, il faut ouvrir les choses. Et c’est ce que j’essaie de faire, notamment à travers mes textes, et je pense que Morgane est un pas de plus vers cette question-là.

[Manon Berthier] Vos textes s’inscrivent dans le genre littéraire de la fantasy et les liens qu’entretient cette littérature avec les mythes n’est plus à prouver. On a de nombreux travaux universitaires sur la question, mais il suffit de regarder les catalogues des maisons d’édition, même sur les récents mois, pour se rendre compte que cette association elle est, si ce n’est très riche, en tout cas intéressante économiquement, et puis même si on remonte aux textes fondateurs de la fantasy, parmi les plus connus C.S Lewis et Tolkien, c’est un lien qui est thématisé. Et du côté de Tolkien, qui est théorisé aussi, notamment dans son célèbre essai traduit sous le titre du Conte de Fée. Je vais essayer de ne pas me perdre dans ma question. Je me demandais quelle avait été la réflexion qui vous avait menée au texte dont il est question aujourd’hui, est-ce qu’il s’agit plutôt d’une volonté politique, au sens large, qui vous a conduit à la réappropriation d’un corpus mythique, et donc d’un choix de la fantasy comme genre littéraire ? Ou est-ce que c’est plutôt le cheminement inverse c’est-à-dire une volonté d’écrire un texte de fantasy et donc de toucher à une pensée ou à une vision mythique plus ou moins diffuse qui vous aurait fait prendre conscience de la dimension politique de ce travail ? Si c’est quelque chose que vous avez conscientisé bien sûr. Donc pourquoi la fantasy ? Et éventuellement, qu’est-ce que vous auriez à dire du lien entre ce genre littéraire et le politique ?

[Yasmine Djebel] Pourquoi la fantasy ? Bon, déjà, j'adore ça. Je ne vais pas répéter tout ce que j'ai dit sur les représentations. Mais en fait, on parle beaucoup de fantasy orientale, et qu'est-ce que c'est l'Orient ? Moi je ne connais pas. Je connais l'Algérie, où j'ai passé une partie de mon enfance. Orientale, ça veut dire quoi ? C'est l'Afrique du Nord, c'est la péninsule arabique, c'est l'Asie centrale, c'est l'Extrême-orient. Et on se base sur des contes des Mille et une nuits qui sont écrits par des occidentaux, avec une appropriation culturelle de ces mythes. Et on en fait un genre qui ne veut rien dire, qui n'est même pas ancré dans une zone géographique. On en fait des récits, qui sont pour moi orientalistes, un courant que je ne supporte pas. Ce courant est construit avec une exotisation de la femme berbère, arabe, de la femme étrangère, qui rappelle toutes ces photos de cartes postales coloniales, etc. Et donc, c'était une vraie volonté politique de proposer de la fantasy qui est vraiment ancrée, même si comme Jolan, ça ne se passe pas en Algérie. J'ai inventé un pays, ça pourrait être n'importe où en Afrique du nord. J'ai inventé une carte, c'est un pays imaginaire. Par contre, au niveau des références culturelles, elles sont ancrées, pas en écriture, parce que je disais que c'était la tradition orale, mais j'aime bien situer ma fantasy dans une zone géographique, donc de parler d'inspiration nord-africaine et de lutter en fait contre ce « gloubi glouba » de fantasy orientale qui ne veut rien dire, avec cette exotisation de l'Orient, avec un O majuscule, qui ne qui ne représente rien pour moi.

[Jolan C. Bertrand] Ce genre de questions, j'ai toujours des réponses un peu inutiles, parce que j'ai une écriture complètement instinctive, donc je ne fais pas vraiment de choix antérieur à l'écriture. Et c'est pendant l'écriture, même après aux corrections, que je commence à avoir une vision plus claire de ce que j'essaye de faire et de ce que je veux faire passer spécifiquement avec ce texte-là. Après, ce qui est drôle, c'est que j'écrivais quasiment que de la fantasy quand j'étais enfant et je m'en suis vachement éloigné à l’âge adulte pour aller plus vers la science-fiction. C’est donc un peu un retour aux sources pour moi Les sœurs hiver, un retour à la fantasy. Et j'écrivais de la fantasy très occidentale à la base, c'est-à-dire en suivant les schémas de romans que je lisais. Donc des univers très classiques de ce qu'on a dans l'imaginaire de l'époque médiévale européenne, qui ne correspond évidemment pas à la réalité. Mais qui en images communes dans nos têtes quand on pense au moyen âge européen. Je m'en suis un peu éloigné avec mes vikings et mes territoires nordiques.
Moi, c'Ă©tait ni l'un ni l'autre.
Mes romans pour les enfants ne sont pas écrits pour les enfants de manière générale, ils sont écrits chacun pour un enfant spécifique. En l'occurrence, celui-là était pour mon neveu. Et le message à la base, il n'était pas politique, il était vraiment très individuel. J'ai un neveu très prompt à la mélancolie, je voulais juste lui dire que c'était ok d'être triste parfois. Ce qui a un intérêt politique quelque part, parce que, notamment en France, les maladies mentales et la dépression sont très mal considérées, très mal encadrées et très mal incluses dans la société. Mais, à la base, je ne disais pas ça pour dire au monde que c'est ok d'être triste. J'ai ça pour dire à mon neveu spécifiquement que c'était ok d'être triste. Ce message là passe un peu à la trappe pour tout le monde, parce que les gens qui lisent mon livre et qui m'en parlent après, ils me parlent du fait que j'utilise des pronoms neutres dedans, que loki est gender fluid, qu’il y a un personnage secondaire trans, de manière complètement subtile et pas du tout centrale à l'histoire. Et c'est ça qui intéresse les gens comme si j'avais fait un truc un peu révolutionnaire, alors que pour moi, c'est pas révolutionnaire parce que dans ma vie il y a des gens dépressifs, des femmes, des personnes trans, des pronoms neutres, et des gens gender fluid. Donc pour moi, c'était pas politique, c'était juste ma réalité et la réalité de mon neveu aussi. Quand je vais en classe, les enfants me demandent pourquoi l'oncle d'Alfred il est trans, parce que l'oncle de mon neveu il est trans, c’est pour ça. Le monde réel de mon neveux c’est ça. Il y a peut-être un message politique, mais il est accidentel.

[Jean-Laurent del Socorro] Spécifiquement sur le cas de Morgane Pendragon, oui, ça a été un choix réfléchi d'interroger les mythes, la place des femmes dans les mythes, et notamment dans le mythe arthurien, à travers la figure de Morgane. J'essaie toujours d'avoir toujours un peu une vision plus globale de mon écriture. Je dis je suis une tortue, mais j'ai besoin de savoir où je vais. De la même façon que là, en ce moment, j'interroge la remise en avant de personnalités féminines historiques du côté de mes textes de l’École des Loisirs. J'avais besoin aussi de dire : dans les mythes et légendes et dans les histoires, comment ça se passe par rapport à ça ? Donc il y a vraiment une démarche très volontaire, à travers le mythe arthurien, c'était le thème de la fantasy, la couleur de la fantasy.
Quelque chose que tu soulèves Jolan et qui est très intéressant est la notion des termes aussi. Les pronoms neutres pour moi, effectivement, aujourd'hui, c'est extrêmement politique. Je te trouve éminemment plus politique que moi qui a fait un choix qui me semblait assez simple de mettre le terme chevalière qui a soulevé des levées de boucliers. Pas beaucoup, mais un peu. Alors qu'en termes de révolution chevalier/chevalière dans la légende de la table ronde, je ne pense pas avoir renouvelé quoi que ce soit. Le prochain texte, qui s'appelle Vainqueuse, est aussi dans cette idée-là. On parle de Sparte, on va parler des masculinités. J’ai une réelle interrogation politique sur ma propre écriture et sur ce que je dois à un lectorat. Est-ce que je lui parle ? Je pense qu'on doit quelque chose à son lectorat. Je crois que c'est assez légitime de s'interroger, de se dire que parfois on fait des erreurs et d’essayer de toujours essayer d'avancer dans ce sens là.

[Jolan C. Bertrand] Juste pour rebondir sur ce que tu disais du fait que c'était plus politique dans le sens où j'ai utilisé les pronoms neutres. En fait, je ne pense pas que ce soit les pronoms neutres qui font que c'est politique, je pense que c'est l'ensemble. C'est-à-dire que l'ensemble est un récit qui sort de ce qui jusqu'ici était considéré comme la norme et comme la tradition. Je pense que c'est un acte politique de toute manière. Donc, je pense pour tous les quatre, juste le fait d'écrire les romans qu'on écrit, c'est déjà un acte politique en soi, au-delà de du contenu et de la volonté qu'il y avait derrière.

[Yasmine Djebel] Je suis un peu comme Jolan. Le fait d'avoir mis ce personnage en avant, d'avoir remis ces mythes, etc., c'était réfléchi et politique, de ne pas être sur de la fantaisie orientale ancrée. Mais dans mon intrigue, je me suis fait plaisir. J'adore les énigmes, j'ai mis des énigmes partout. J'ai pas pensé politique, mais à des tropes, des schémas, que j'aime beaucoup et que j'ai mis. Là, c'était du pur plaisir, mais toujours en faisant attention à toute cette réflexion que j'ai développée avant. Dans mes thématiques, il y a la thématique de l'acculturation, mais aussi des thématiques qui ne sont pas forcément très politiques. Ils ne sont pas révolutionnaires de trouver une nouvelle famille, de trouver sa place dans la société. J'ai pas révolutionné la fantasy. J'étais une grande lectrice de fantasy mais j'ai arrêté parce que je m'y retrouvais plus dans les thèmes, etc. J'ai lu beaucoup de littérature qu’on dit « blanche », donc qui n’est pas « de genre », pour avoir d'autres horizons. Et du coup, ça m'a beaucoup servi, dont l'historique. Mais maintenant on a de l’historique en fantasy. ce qui est un peu plus politique, donc, je vais m'y atteler. Mais sur l'intrigue, pour moi elle n’est pas politique. J'ai rien fait d'extraordinaire, j'ai repris des choses que j'aimais enfant et je me suis amusée avec. Et je ne fais pas de plan. Du coup, je suis parti dans tous les sens. C'était un vrai kiff.

[Aiden Thomas] I think a really fun thing about fantasy is that you can be political with it without people noticing necessarily. When I was younger, I hated reading, I was so uninterested. My parents couldn’t afford daycare so they would take me to the public library and I was the librarian’ problem for a few hours. My mom would make me check out a book every week and I hated doing it. I would usually pick books that had covers that I liked, that I could stare at fifteen minutes a day when my mom told me to read. I learned that I didn’t want these… My family, keep giving me these problems novels with sad, depressing and not very good times. So I never wanted to read them. When I discovered fantasy books, it changed my whole perspective. They can be funny, they can be magic and bold, and how wonderful is that !

[Interprétation de Julia Richard] Pour moi, ce qui est bien, c'est que la fantasy c’est fun et politique sans que les gens s'en rendent particulièrement compte. Quand j'étais petit, je détestais lire. On n'avait pas beaucoup d'argent, donc mes parents ne pouvaient pas me mettre à la crèche ou à la garderie et pendant quelques heures on me mettait à la bibliothèque, je devenais le problème du bibliothécaire. Mais je détestais qu'on me force à prendre un livre, comme je n'aimais pas lire. Donc, ce que je faisais c’est que je choisissais un livre dont la couverture me plaisait et ça me permettait de faire semblant de regarder ce truc pendant quinze minutes. Parce que ce que je n'aimais pas c'était que ma famille me donnait des livres avec des messages qui pouvaient être triste et ça ne me donnait pas envie de les lire. Depuis, j'ai découvert la fantasy et je me rends compte que la fantasy, ça peut-être beaucoup plus fun.

[Aiden Thomas] When I started reading fantasy books, they’re very politicals, they have all these stories to be learned and I think that as someone new for Young Adult, if I handed a book to my younger self where there’s a mexican boy who’s trying to fit it, he’s trans. I’ll be like no thanks, it’s my real life, I don’t want to read it, it’s a bummer. But if you handed me a book with a story with a trans boy trying to find his place in the community, but there’s a cute ghost, and there’s magic, and there’s a strange looking cat, then suddenly I’m much more excited about it. I think that it is such an important element for writing stories for young adults, not especially political, but in a much more approachable way, a way easier to consume as a reader. And suddenly you’re learning all these things about new people and new cultures while still having a good time. And having humor in it is a big one for me. I’m like I’m gonna pop a really bad joke in the middle to release the tension.

[Interprétation de Julia Richard] Les livres de fantasy peuvent vraiment être politiques, mais si j'avais donné à mon moi enfant un livre à propos de la communauté mexicaine, avec un personnage trans qui essaye de trouver sa place dans ce monde, j'aurais dit non, merci, ça m'intéresse pas, c'est déjà ma réalité. Alors que si vous m'aviez donné ce même livre en disant qu’il y a un fantôme qui est mignon, qu’il y a de la magie, qu’il y a un chat qui a l'air bizarre, ça m'aurait beaucoup plus intéressé. Donc, la fantasy permet d'être politique en ayant une approche beaucoup plus facile d'accès et qui permet d'apprendre quelque chose de nouveau aux gens et de leur faire connaître une culture. J'essaye de le faire avec des notions d'humour, ce qui me permet de faire monter la tension, et redescendre d'un coup avec des choses qui vont vraiment vous attrister, puis repartir derrière avec un peu plus d'humour, ça permet de relâcher la tension.

[Manon Berthier] On va prendre quelques questions du public pour poursuivre la discussion.

[Spectateur·rice] Bonjour, merci beaucoup pour toutes vos interventions, c'était vraiment très, très intéressant. Pour rebondir sur la dernière question, ça m'a fait beaucoup penser à la phrase qui, si je m'abuse, vient notamment du mouvement lesbien qui a beaucoup fait pour les avancées sociales et qui dit que le privé est politique parce que finalement, tout ce qu'on a raconté ici, c'est des expériences qui sont propres à nous-mêmes, qu’on vit. Comme quand vous avez parlé des pronoms neutres, des personnages trans et tout ça. C'est des choses qu'on connaît de notre vie à nous, et sans que ce soit volontaire, finalement, c’est politique, parce que, surtout actuellement, c'est dans le débat politique, qu'on le veuille ou non.

[Jolan C. Bertrand] Je suis assez d'accord avec ça. Mais j'en parlais avec des amis dans le milieu militant qui disaient que juste être public quand on est trans, ou handicapé·e, racisé·e, quand on fait partie d’une minorité, se rendre visible et faire quelque chose de public, en fait, c'est déjà en soi un acte politique. Parce qu’on est considéré comme un objet politique en tant que personne donc vous avez totalement raison.

[Yasmine Djebel] Je suis totalement d'accord avec Jolan. J'aimerais bien qu'un jour ce soit pas un acte politique que d'Ă©crire ces histoires, que ce soit la norme.

[Spectateur·rice] Pour rebondir un peu sur ce qui vient d’être dit, j’avais une question par rapport à ça. Je suis assez sensible à ce qu’a dit Jolan. J'écris un peu de chansons ou je peux faire de la musique sur scène, et on me retourne souvent le fait que c’est politique ce que je fais, alors que j'ai juste l'impression de parler de ma vie, je ne cherche pas forcément à faire des choses politiques. Et ça m'a aussi freiné parfois, par exemple pour le fait d'être publiée dans des revues, etc., qu'on me retourne que c’est trop politique, alors que moi, je parle juste de choses qui me touchent, sur la dépression, le fait d'être queer, etc. Du coup, je me demandais si vous aussi ça vous avait freiné pour publier vos textes ?

[Yasmine Djebel] Alors, moi, c'est pas par rapport à la publication, mais c'est par rapport aux réseaux sociaux. C’est pas une injonction, mais maintenant il faut quand même être visible sur les réseaux pour espérer avoir des contacts, des lecteurs, etc. Et, en fait, quand on voit une personne racisée, d’une minorité qui va publier son travail, on associe souvent ça à quelque chose de militant. Alors que pas forcément. Je ne suis pas un compte militant, sur mon instagram je parle de mes lectures. Alors, certes, je vais les décrire avec ma vision à moi, mais en fait, on te met directement dans cette case et des fois ça fait peur. « Toi t'es trop politique », comme si le neutre n'était pas politique, comme si la pensée blanche bourgeoise était complètement neutre et pas politique. Et que nous, par contre, nous c'est politique. Donc déjà ça peut freiner, faire peur.
Deuxième chose, c'est qu'on va minimiser nos discours parce que « ce qu'elle dit, c'est militant, c'est pour ça qu'elle va aussi loin, faut prendre des pincettes… ». Ce que je ne supporte pas. On est assimilé de base à quelque chose de militant, et en plus il faut prendre ces propos avec des baguettes parce que c’est militant. Il y a deux couches.

[Jolan C. Bertrand] Et un truc intéressant aussi, c’est que quelque chose a été dit par une personne d'un groupe minorisé du coup on considère que ça a été dit par cette personne parce qu'elle est minorisée. Par contre, si c'est dit par une personne non minorisée… Récemment, j'ai vu une vidéo d'un mec blanc qui s'est déguisé en femme et a passé la journée habillé en femme dans les rues et du coup avait un message super déchirant sur le fait que c'est dangereux d’être une femme dans l'espace public. Merci, bro, mais on n’avait pas besoin que tu te travestisses pour le faire savoir. Les femmes le disent depuis longtemps. C'est comme quand il y a un journaliste qui s'est infiltré dans la police pour parler des violences policières, alors que ça fait des années que des personnes racisées nous disent que la police est violente. Mais il a fallu qu'un journaliste blanc s'infiltre dans la police et écrive un livre sur le sujet pour que, subitement, on se mette à en parler. Et pour revenir aussi sur le fait que, dès lors qu'on fait partie d'une minorité, tout ce qu'on fait est politique, c'est aussi vrai à l'intérieur des récits, parce que, par exemple, moi, c'est arrivé qu'on me demande en interview, pourquoi dans Là où règnent les baleines, ma personnage principale, Roanne, elle est grosse. Mais c'est pas l'histoire. Et donc on m’en parle souvent en interview, et souvent ma réponse à pourquoi est-ce que j'ai fait ce choix ? Est-ce que c'est important pour moi la grossophobie ? Est-ce que c'est important pour moi de passer un message ? Je leur ai dit que non, en fait, les adolescentes grosses ont le droit de vivre une aventure aussi, sans que ça ait de rapport avec le fait qu'elles sont grosses. Les adolescentes minces vivent des aventures dans les histoires tout le temps, les adolescentes grosses ont aussi le droit de vivre des aventures fantastiques, de science-fiction, de rencontrer un alien ou un monstre marin, sans que ça ait le moindre rapport avec le fait qu'elle soit grosse. Tout le monde m'en parle parce que tout le monde pense que j'ai voulu dire quelque chose de politique avec ça, alors que, pas forcément, c'est juste le monde réel qui ressemble à ça.

[Aiden Thomas] Some are saying that just existing seems to be a political act for some of us. For example Cemetery Boys is banned in the United States in conservative states from schools and from public libraries. And that is a very strange thing to know that conservative people in positions of power in the United States even know I exist and think that just me being a trans person is very political. That’s strange, but what upset me the most with these bans that are going on right now in the United States is that it says that Cemetery Boys, which is a love story between two boys, is vulgar and dirty and that children should not be exposed to it. And it’s wild that it’s a political thing when it shouldn’t be. The worst part about it is that it’s keeping the stories from the people who need it, teens and young adults. But not only that, it’s telling teens and young adults that if they think or feel this way, there’s something vulgar and wrong about them. And when you’re a teenager it’s hard to connect with an identity, to see someone and feel kinship with them. If you’re being told that this identity is wrong, bad and gross, for me it’s very strange that it's such a political act when it shouldn’t be. What I’m only trying to do is to help Mexican teens feel seen, represented and loved.

[Interprétation de Julia Richard] Donc certain·e·s des auteur·rice·s disaient qu'exister semble être un acte politique en soi. Et ce qui est bizarre, c'est que Cemetery Boys est banni aux US dans des lycées, dans des écoles et des librairies publiques, parce qu'aujourd'hui ce sont des personnes conservatives qui sont au pouvoir. Mais il y a des personnes trans qui existent et qui n'ont pas la chance de pouvoir décider. Ça m'étonne cette histoire de bannissement parce que c'est une histoire d'amour, et les gens disent qu'elle est vulgaire et sale et que les enfants ne devraient pas être exposés à ce genre de choses. Le pire pour moi, c’est que ça enlève cette histoire des mains des gens qui en ont le plus besoin et ça leur dit en plus que s’iels se sentent comme ça, s’iels s'identifient à ce genre d'histoire, c'est qu'iels sont vulgaires, sales et qu'il y a quelque chose qui n'est pas correct par rapport à elleux. Alors qu'en fait, c'est elleux qui ont le plus besoin de se connecter à ce genre d'histoire. On leur dit qu'iels ont tort, qu’iels sont mauvais et qu’iels sont sales, et ça me semble bizarre, parce que ça ne devrait pas être un choix politique d'avoir à écrire ce genre de choses. Moi, j'essaye juste de faire quelque chose autour de la communauté trans et mexicaine, dire qu'on est là et qu'on existe, et que c'est ok, qu’on devrait tous·te·s être aimé·e·s et que ça devrait pas être quelque chose de particulier.

[Spectateur·rice] Bonjour, merci pour vos propos, c'était super intéressant. Je voulais poursuivre un peu sur le thème que vous venez d'amener. La politique, on le sait, c'est discuter de la société et on n'est forcément pas d'accord avec tout. Qu'est-ce que vous faites quand vous vous retrouvez face à des gens qui n'adhèrent pas à votre propos parce que, par exemple, vous développez les thèmes du féminisme, de la transidentité, des choses comme ça ? On sait que ça peut amener des réactions, parfois vives, parfois violentes, d'opposition. Comment vous réagissez à ça, est-ce que vous y êtes confronté et quel rapport vous entretenez à tout ça ?

[Jolan C. Bertrand] On est en 2023, si quelqu'un vient me voir pour me dire qu’il n’est pas d'accord avec le féminisme et la transidentité, je pense qu'on a rien à se dire à ce niveau-là. Disons que moi, j'ai le privilège de pouvoir tourner les talons dans ce genre de situation, mais c'est un privilège.

[Yasmine Djebel] Sans vouloir alimenter les clichés, je viens d'un milieu socio-culturel qui est pas très ouvert sur ces questions, je ne vais pas te mentir. Et, en fait, j'ai eu la chance de pouvoir lire des livres, et des films d’Almodovar surtout qui m'ont ouvert, très jeune, à cette thématique. Et des fois, je vois des réactions très virulentes de la part de mes oncles, de mon père. C'est des gens auxquels je tiens, et j'essaye d'adapter mon discours. C'est dur de faire de la pédagogie, mais malheureusement parfois il faut prendre ce poids là, même si les mots sont très durs. Et vraiment, je vois au fil des années qu'ils ont évolué sur ces questions. Mais j'ai pu entendre des choses horribles dans mon enfance. Rien que là, c'était l'aïd y'a pas longtemps, je reparle avec mon oncle il m'a dit « non, mais si, tu as raison », sur le mariage pour tous je crois. Quand on est comme Aiden sur des positions d'amour, d'acceptation, et en plus, moi, je suis vraiment pour la convergence des luttes, dans le sens où je dis « Mais tonton, on ne peut pas faire aux autres ce qu'on subit, nous, en fait. ». Et parfois ça marche. Après, on n'a pas tous le même avis et on ne doit pas être des moutons sans cervelle à être tous d'accord sur tout. C’est important de débattre de beaucoup de choses. Il y a des sujets, bien sûr, sur lesquels on doit être intransigeants. Mais être intransigeant, ça veut pas dire être dans la violence et pas être dans la discussion, parce que y a quand même un facteur culturel. On est en 2023 en France, mais il y a aussi d'autres cultures où on est toujours en 2023, mais on n'a pas eu les mêmes avancées. Et je ne veux pas utiliser le terme « se mettre au niveau », parce que c'est un peu méprisant. Tu vois moi, quand je parle avec ma grand-mère, par exemple, mais je ne sais pas peut-être que vous avez aussi des grands-parents racistes… d’amener ce discours-là avec respect, avec amour, parce qu’on veut que ça change. Mais je ne le fais pas avec tout le monde, c'est beaucoup d'énergie. Du coup, j'essaye de le dépenser avec parcimonie. Et je suis quelqu'un d'optimiste par rapport à ça, et chacun a besoin d'avancer sur ces questions à son niveau. Et de ne pas mettre les gens dans des catégories, « Eux ce sont des musulmans, donc forcément homophobes. Ils sont arriérés. ». Mais non. Il n’y a pas eu le même niveau de déconstruction, on n'a pas la même histoire, la même culture, mais ça veut pas dire qu’on peut pas évoluer en prenant ce temps-là de débattre dans la bienveillance, et justement par les œuvres culturelles. Parce que moi, fin, je suis sortie de là-dedans grâce aux récits des personnes concernées.

[Jolan C. Bertrand] Je prenais la question plus comme dans la sphère publique et vis-à-vis de mon public, directement. Mais clairement, j'ai souvent eu des conversations en face à face, soit avec des proches, soit avec des gens en vacances rencontrés au petit dej de l'hôtel. Ça dépend du discours de la personne en face de moi et de la manière dont ils se comportent évidemment. Je me rappelle j'étais dans un hôtel en pays étranger une fois et je parlais avec un Français, on était les deux seuls Français à être là. En apprenant que j'étais trans, le mec a immédiatement voulu me dire « Qu’est-ce que tu penses du féminisme ? », avec la voix du mec qui, lui, a une opinion sur le féminisme. Mais, il y avait tellement de candeur dans sa question, il n'était clairement pas en train de me troller. Il était clairement intéressé parce qu'il voulait clairement savoir ce que moi, en tant que mec trans qui, du coup, a été une fille avant et a vécu en tant que fille avant, ce que je pensais du féminisme. C’était une vraie question, et j'étais en vacances, donc j'étais pas en situation d'agression ou de stress, du coup j'ai pris le temps de discuter avec lui de féminisme pendant plusieurs heures. Et le fait d'en parler calmement avec lui, ça, ça l'a amené à réfléchir sur des idées qu'il avait et ça me va. J'ai eu ce genre d’interactions plusieurs fois avec ma famille, comme toi Yasmine avec des proches.
La question m'a amenée à penser spécifiquement à une meuf qui s'appelait madame de quelque chose, qui a écrit à mon éditeur pour lui dire que elle trouvait ça pas normal que Les sœurs hiver ne soit pas accompagné d'un petit encart avertissant que la théorie de genre n'est pas attestée comme un vrai truc. Donc, je pensais à elle spécifiquement quand j'ai eu cette question. Ce genre de personne devant qui je tourne les talons.

[Manon Berthier] C'est un peu triste de finir sur cette note, mais je crois qu'on me fait signe que le temps, c'est le temps. Juste vous remercier toutes et tous pour cette discussion.

[Applaudissements]

[Jean-Laurent del Socorro] Et juste un énorme merci à la traduction, à la modération et à la technique. Merci.

En cours de lecture

Battle « Le Seigneur des Anneaux VS Game Of Thrones » - Avec Benjamin de Bolchegeek, Morgan of Glencoe et Lionel Davoust (Modération Betty Piccioli)

Le Seigneur des Anneaux VS Game Of Thrones

Enregistré le Le 30/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.

L’Ouest Hurlant vous propose son nouveau format de table-rondes : les battles !

Pendant 1 heure, 2 camps vont affronter dans un duel épineux ! Et c’est vous, le public, qui ferez gagner votre camp préféré ! Dans cette battle, 2 œuvres majeures de la fantasy s’affrontent : le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones ! Alors, qui l’emportera ?

Transcription :

Battle « Le Seigneur des Anneaux vs Game of Thrones »

Avec Benjamin de Bolchegeek, Morgan of Glencoe, Lionel Davoust
Modération : Betty Piccioli

[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off]
Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…

[Betty Piccioli] Est-ce que ça va ? Vous êtes prêts pour cette battle ? La battle de l'enfer. Je vous le dis.
[Lionel Davoust] Allez !
[Morgan of Glencoe] La battle des “Ferme ta gueule.”
[Betty Piccioli] Waouh, ça commence bien.
[Morgan of Glencoe] T’as dit qu’on avait le droit.
[Betty Piccioli] Oui, oui, bon bah ça va être super courtois. Je rappelle qu'on a une charte de vivre ensemble sur le festival !
[Rires]
[Morgan of Glencoe] Oui, c’était un un jeu de mots.
[Betty Piccioli] Elle s'applique aussi sur ces conférences.
[Morgan of Glencoe] Juste pour la gloire du jeu de mots.
[Betty Piccioli] Ne t'inquiète pas, ne t’inquiète pas. Du coup : qui a l'habitude ici des matchs d'impro ? Ah ouais, d'accord….
Alors j'ai un peu repris ce principe sur cette battle, voire carrément, puisque, vous allez voir, on va avoir des manches. Donc, il y en a six en tout, plus une manche bonus.
Sur laquelle ces deux Ĺ“uvres vont s'affronter.
C'est des manches thématiques à chaque fois et nos invités auront six minutes par manche pour débattre et argumenter sur la thématique. Et à la fin des six minutes… Vous, je vous reconnais, là : vous étiez la team space opéra hier !Donc la team bleu est la team Game of Thrones aujourd'hui. Très bien.
(Ils votaient toujours la même chose hier, c'était très rigolo.)
Donc, à la fin de chaque manche, vous allez voter pour qui a été le plus convaincant, donc soit le Seigneur des Anneaux en jaune, soit Game of Thrones en bleu.
Voilà, c'est tout simple. Et, à la fin, il y aura un gagnant. Ça n'a aucune valeur, mais c'est pas grave, vous serez content quand même.
[Lionel Davoust] Le perdant sera écartelé.
[Morgan of Glencoe] Non, parce que Léti va m’en vouloir, et elle a une grosse, grosse tronçonneuse.
[?] Très bien. Ah ça y est, ça chambre déjà.
[Morgan of Glencoe] Oui, moi, on m'a dit battle, je battle.
[Betty Piccioli] Je pense que ma modération va être anecdotique, je le dis… Mais je vais essayer d'exister, je vais essayer.
Donc, pour cette battle, j'ai à ma gauche Benjamin Patinaud, donc de la chaîne bolchévique, donc la chaîne youtube, qui vient de sortir un livre qui s'appelle Le syndrome Magnéto, que vous ne pourrez pas acheter à la librairie du festival parce qu'elle est déjà en rupture.
Et c'est très bien, parce que ça veut dire qu'il en a vendu beaucoup. Bravo.
[Applaudissements]
[Betty Piccioli] Benjamin va ĂŞtre un peu entre les deux et il va essayer de faire des choix.
[Benjamin Patinaud] … Centriste !
[Morgan of Glencoe] Personne n’y croit !
[Betty Piccioli] Il va ĂŞtre centriste, pire, macroniste. Tant qu'on y est. Non, quelle horreur.
Ensuite, nous avons Lionel davoust, qui a refoulé de se mettre sur le trône qu'on ne sait pas pourquoi.
[Lionel Davoust] Je défends le trône de fer, j'ai la plus petite chaise. Je suis offusquée, je suis scandalisé. Je suis le méchant dans cette histoire. C’est pour ça que j’ai cette gueule-là. Oui, et il faut que je vous dise que j'y vois que dalle.
[Rires]
[Betty Piccioli] Donc c'est pas à toi qu'on va demander de compter, si jamais on a des presque égalité.
[Lionel Davoust] Mais si, justement !
[Betty Piccioli] Ce sera toujours Game of Thrones qui va gagner du coup.
[Lionel Davoust] Juste une fois de temps en temps, mais juste assez.
d'accord. Très bien donc. Lionel Davoust, auteur des Dieux sauvages, de Port d’âme, de La messagère du ciel et de plein de grosses briques de livres.
[Lionel Davoust] On peut lire des livres et construire une maison !
[Betty Piccioli] Et enfin nous avons à ma droite Morgan of Glencoe qui va défendre le Seigneur des Anneaux.
[Morgan of Glencoe] Il paraît.
[Betty Piccioli] Il paraît. dDe manière, je crois…Honnête… ou peut-être de mauvaise foi parfois. Peut-être on verra.
[Morgan of Glencoe] On m'a dit que, pour une fois, j'avais le droit.
[Betty Piccioli] Voilà, elle a le droit. Donc, autrice de La dernière geste, qui est une saga.
C'est ça ? Oui, je confonds toujours, si c'est le titre d'un livre ou la saga, et donc, je, je suis nul en ça.
[Morgan of Glencoe] La dernière Geste, c’est le titre de la saga.
[Betty Piccioli] C’est la saga. Et avec, donc, L'héritage du rail, l’Ordalie, Dans l’ombre de Paris et encore plein d'autres. Voilà.
On va pouvoir commencer tout de suite avec notre première manche. (Si, en régie, on peut me mettre la première manche, s'il vous plaît.)
On va parler de world building. Est-ce que vous voyez bien l'écran ou pas ? Très bien.
Le World Building dans le Seigneur des Anneaux et Game of Thrones.
Comment ça se passe, est-ce que c'est bien, qui a le meilleur ? Honnêtement, ça va être à chaque manche qui a le meilleur. Donc, on va lancer le compteur, le minuteur, et les six minutes vont commencer.
Qui veut commencer ? Allez, ça tourne.
[Morgan of Glencoe] Ok, alors je vais commencer.
Alors déjà, pourquoi le world building du Seigneur des Anneaux ? Mais déjà, il commence vachement plus avant, puisqu'il commence, littéralement, à la création du monde, puisque le Seigneur des Anneaux, il a une, une jeunesse, une cosmogonie. Contrairement à Game of Thrones, qui a… un très gros mur. Vous avez un très grand mur. C'est bien bravo.
[Rires]
[Morgan of Glencoe] Voilà, je suis désolé, on va commencer par là. Ok, nous, on a des dieux, voilà, on a des Valar qui se baladent, et tout voilà. Vous, vous avez des dothrakis qui meurent dans la nuit devant des murs, parce qu'il fallait défendre les murs avant qu’on les abîme, je crois.
Et voilà, parce que vous aimez bien les murs, ça, d'accord, vous avez des murs, nous on a le world building. Ok, voilà.
[Lionel Davoust] L'infrastructure, madame !
[Morgan of Glencoe] Oui, ben vous en avez, c'est ça., vous avez guère que ça.
En plus, nous on a des langues,et elles ont une histoire. Vous, vous avez des bouts de langues qui ont pas d'histoire.
[Lionel Davoust] Alors, sans.. Déjà. Françaises, français, votez pour moi. Je suis l'honnêteté irréprochable. Deuxièmement, parlons de mur, est ce qu'on parle de la configuration naturelle des montagnes qui encadrent le Mordor ?
[Morgan of Glencoe] On s'en fout, elles sont magiques,
langues qui ont pas d'histoire.
[Lionel Davoust] Elles ont l'air un peu, voilĂ ... Alors voilĂ , voilĂ , voilĂ .
[Rires]
[Lionel Davoust] Mesdames, messieurs, mon adversaires tout de suite.
Voilà ce qui ne va pas dans le world building de Tolkien, c'est que, voilà, dans Game of Thrones, je veux dire, on sent bien qu'il y a quand même des forces naturelles à l'œuvre. Je veux dire, c'est pas juste qu’il y a des Valar, des types qui se baladent, franchement, on dirait Vampire la Mascarade, où, en gros, c'est les vampires qui ont tout fait dans l'histoire.
Et qui font : “Tiens, voilà un arbre qui porte des fruits magiques”. Et puis, “tiens, on va mettre des forêts inexplorées. Il faut pas y aller.” Faut pas y aller pourquoi ? Parce qu'elles ont été inexplorées.
Dans Westeros et dans Essos, il y a des véritables forces géologiques à l'œuvre, de véritables plans écologiques où il faut penser à l'alimentation des dragons ont un'impact sur l'industrie ovine locale. Donc, le building de Game of Thrones, c'est beaucoup plus fouillé, je suis désolé. Et justement, on ne remonte pas jusqu'au début parce que… parce qu'on s'en fout en fait.
[Morgan of Glencoe] On s'en fout, sauf qu'ils n'ont plus rien Ă  craindre.
D'accord. Ils ont des saisons qui, objectivement, sont pas alignées sur leurs années. Donc comment est-ce qu’ils calculent leurs âges ? Déjà ça on n'a jamais compris, hein. Parce que si vraiment ton été dure dix ans, comment tu sais que ton gosse, il a dix ans? Hein, voilà, comment tu sais ?
[Betty Piccioli] Benjamin, tu veux dire quelque chose peut-ĂŞtre.
[Benjamin Patinaud]En fait, c'est comme je suis un peu goal volant… C'est trop tentant d'être de mauvaise foi des deux côtés.
[Morgan of Glencoe] On a dit qu’on était de mauvaise foi !
En fait, j'ai envie de dire que oui, Game of Thrones, il y a quand même un truc que je reconnais, c'était quelque chose d'un peu matérialiste et quand même qu'effectivement l'économie, c'est un truc qui est… ou la construction géologique ou quoi, c’est des choses qui sont assez absentes chez Tolkien, qui ne se pose pas la question. Mais en même temps,
on parle de Tolkien, quand même. J’ai envie de dire… Je veux bien être de mauvaise foi, mais à un moment donné, il y a des choses qui, il y a des limites à pas dépasser.
Et quand même : est-ce que il y aurait ne serait-ce que du World building de fantasy solide s'il n'y avait pas eu papa Tolkien à la base ? Qui a créé réellement une mythologie et qui, juste, s'inspire pas de faits historiques et de choses comme ça. Est-ce que y'aura des milliers, des centaines d'œuvres, des centaines de milliers d'œuvres inspirées par le world building de Game of Thrones par la suite ? Alors que maintenant, on a des elfes, des nains et des trucs, etc. partout depuis Tolkien.
Moi, j'ai envie de dire un peu : le baron c’est difficile de lutter contre.
[Lionel Davoust] Alors, c'est vrai, mais en même temps, est ce que la littérature n'est pas un petit peu une course d'évolution perpétuelle, où nous construisons sur les épaules des géants pour aller au-delà de ce qui est venu avant nous ? Bien sûr qu'il faut rendre à Tolkien ce qui est à Tolkien, mais de la même manière que que l'on rend hommage à tous les classiques qui nous ont précédés et auxquels nous rendons hommage, bien entendu… mais le but, toujours, est d'aller plus loin, d'aller, de construire au-delà.
[Morgan of Glencoe] Je suis pas sûre qu’il ait construit au-delà…

[Lionel Davoust] Et aussi dans la verticalité.
[Morgan of Glencoe] Oui, des murs quoi. T’as des murs. On t'a dit : t'as des murs.
[Betty Piccioli] Merci pour la gestion en régie du problème d'internet, mais ça va mieux. Non, mais ça va mieux.
[Morgan of Glencoe] Ah on a encore le temps ?
[Betty Piccioli] Oui, vous avez encore le temps. Vous avez été hyper court. Donc, si tu veux dire quelque chose encore, Benjamin, je ne sais pas.
[Morgan of Glencoe] Benjamin, il dit des trucs intéressants et vrais, en fait, Lui non.
[Rires]
Non mais moi, on veut parler du worldbuilding de Tolkien pendant des heures. En fait, on peut vachement moins parler du worldbuilding de Game of Thrones pendant des heures. Je suis désolé, une heure, ça peut tenir, mais…
[Lionel Davoust] Parce qu'on est là pour raconter une histoire et pas forcément faire un annuaire géologique ni un précis de… de terragénèse magique, c’est tout. Je veux dire :
est-ce qu'on est là pour lire le guide du routard de la terre du milieu, ou est-ce qu'on est là pour s'éclater avec une histoire, avec des gens qui s'entretuent ? Moi, je dis ça, je dis rien, hum,
[Morgan of Glencoe] Mais lui ne le met pas pendant qu'il écrit, d’accord, il écrit un tome qui s’appelle le Silmarillion et qui n'est lu que par les gens hardcore.
[Lionel Davoust] Y’a quand même des chansons, un peu, au milieu.
[Morgan of Glencoe] Ah oui, mais ça c'est parce que Tolkien est une princesse Disney !
Il met des chansons au milieu de ses histoires, c'est normal !
[Rires]
[Lionel Davoust] Mais lĂ , messieurs, je laisserai mon adversaire responsable de ses propres propos.
[Benjamin Patinaud] Si je peux me permettre un point d'arbitrage. La question qui a été posée, c'est qu'il y a le meilleur world building. Je suis d'accord pour un truc, pour dire: c'est que parce que j'ai lu, (j'ai eu ma phase), j'ai lu le Silmarillion, les contes, les machins et tout.
En fait, tout le monde s'en fout un peu. Genre, c’est quand même… C'est très chiant, ce n'est pas très simple, ce n'est pas hyper passionnant. C'est du, c'est du truc, c'est des trucs de nerds qu'on aime bien parce que, voilà, on a envie de savoir, mais la question, c'est qui a le meilleur ? Et donc, le fait qu’on s’en foute ou pas, le fait que “c’est pas très intéressant ces bouquins-là” est assez hors-sujet. J’ai envie de dire : Tolkien a fait un meilleur travail, il a créé toute une mythologie, des langues… Il a fait ses trucs de nerds, et y’a pas ça dans Game of Thrones. Je vous invite à vous concentrer sur rendre les lauriers à Tolkien pour toutes ces heures passées dans sa bibliothèque à inventer des langues, à lire des trucs en Hittite, en en machin et tout, et reconnaître un petit peu la valeur du travail de Tolkien là-dessus. Même si, effectivement, on s’en fiche un peu de lire le Silmarillion, le monde a été créé par des chansons… Je sais pas ce qu’il a avec les chansons.
[Morgan of Glencoe] Le monde est créé par le chant d’Ilúvatar.
[Benjamin Patinaud] Ouais, d’accord… Mais je sais pas ce qu’il a avec les chansons.
[Morgan of Glencoe] Mais parce que la musique, c’est bien ! En fait. C’est bien la musique, aimez la musique ! Un monde sans musique, c’est vide !
[Lionel Davoust] Parce que je suis grand seigneur, je serais prêt à concéder le point… Mais !
J’aimerai quand même pointer l’attention de l’assistance sur le fait que oui, certes, worldbuilding très fouillé, mais il se passe rien à coup de dix-mille ans ! Elle est où la dynamique historique. C’est tout ce que je dirais.

[Betty Piccioli] Eh bien, merci pour cette très belle manche.
La première manche était déjà très saignante. C'est maintenant il va falloir voter. Public, je le rappelle: le jaune pour le Seigneur des Anneaux et le bleu pour Game of Thrones.
[Morgan of Glencoe] Je crois que le jaune gagne haut la main.
[Betty Piccioli] Gagné, c'est bien le jaune. Je pense qu'on va être dans cette situation pendant toute la battle.
Donc, c'est le Seigneur des Anneaux. Premier point pour essayer un anneau. Bravo, le Seigneur des Anneaux.
[Morgan of Glencoe]Merci, ma team, vous ĂŞtes les meilleurs !
[Betty Piccioli] Et c'est là que vous allez voir la qualité de mon travail à moi, puisque vous voyez ce canva qui… Oh ça a été fait hyper vite. Bravo, bravo, mais vous n'avez même pas vu le changement. Il fallait changer le point manuellement. Enfin bref, c’est que je suis nulle en canvas, c'est pas grave.
Deuxième manche : la magie. Attention, beaucoup de choses à dire des deux côtés. Qui a la meilleure magie ? Qui a le meilleur système magique ? Est-ce que c'est bien exploité ou pas ? On peut lancer le chrono. Qui veut commencer ?

[Lionel Davoust] Alors je suis désolé, mais la magie, chez Tolkien elle envoie pas du rêve, je veux dire Gandalf, Gandalf ! Ah voilà, on l'a Gandalf, grande barbe, et tout la classe, et tout fume la pipe. Magicien mystérieux, mystérieux. Et tu sais faire quoi ? Lumière.
Et alors, à un moment où il commence un petit peu à sortir l'épée de feu, tout ça, vous ne passerez pas, boum. Et après l'autre, l'autre, hein. Il a l'artefact magique qui tue, le truc ultime, mais il peut pas s'en servir. C'est quand même un peu ballot.
Chez Tolkien la magie, c'est quand même un peu… c’est important, mais on y touche pas. C'est dangereux. Alors que chez Martin, la magie est beaucoup plus réduite de base. Mais on s'en sert, on fait des trucs avec. Est réduite, elle est mystérieuse, mais elle est ramenée au rôle de force dangereuse, inconnue, ésotérique de l'univers dont certains, certaines peuvent éventuellement se servir. et elle est beaucoup plus utilisée comme levier narratif et imbriqué dans la création du monde, plutôt que d'être un petit peu un artifice magique qui arrange bien une fois de temps en temps. Quoi ? On a le droit d’'être de mauvaise foi. Je respecte les règles du jeu.

[Morgan of Glencoe] Moi, je tiens à dire que déjà, ok, donc la magie dans Game of Thrones…
On parle du type qui fait des zombies, ou de la meuf qui fait des rituels de sang, c’est ça ?
[Lionel Davoust] Y’a le warging, aussi.
[Morgan of Glencoe] Oui aussi, mais globalement, la magie chez Tolkien elle a pas besoin d'être, parce que ce qui est magique chez Tolkien, c'est l'ensemble de son univers. La magie est à la fois partout et finalement inaccessible, parce qu'elle a pas besoin d'être utilisée. Elle est, en fait, elle, elle infuse littéralement le monde et savoir l'utiliser, ben c’est Gandalf de temps en temps quand il fait des trucs, mais quelque part la vraie magie de Tolkien, c'est la beauté du monde et, en fait, pour quelqu'un qui sort de la première guerre mondiale à un moment donné, qui est quand même un petit peu grave, trauma… En fait, dire que ce monde a perdu sa magie (parce que c'est ça, en fait, le monde de Tolkien, c'est un monde qui est en train de perdre sa magie) c'est un monde qui est en train de perdre sa saveur et c'est un monde qui est en train de perdre sa beauté. Et, en fait, justement, le fait qu'elle ait cet aspect inaccessible, cette espèce de course contre le temps qui l'efface, c'est ça qui est déchirant, enfin, dans Tolkien, et effectivement dans Martin, comme à peu près tout dans Martin, la magie est utilitaire. Alors que dans Tolkien, comme à peu près tout dans Tolkien, c’est déchirant parce que, justement, il est là et il est inaccessible, justement. Bah oui, en fait, Gandalf, il fait plus que de la lumière parce qu'en fait, ce n'est plus que ce petit point dans les ténèbres qui menace de s'éteindre avec notre rêve et notre enfance.
[Benjamin Patinaud] Là, c’est dur de passer après…
Mais, du coup, je vais quand même essayer d'être de mauvaise foi et je vais choisir, sur ce point, d'être dans le “en même temps”.
Parce que, en fait, je suis très, très d'accord avec ton argumentaire sur le fonctionnement de la magie, parce que, effectivement, la magie dans Tolkien, je ne comprends pas le système, je ne comprends pas comment ça marche. Je ne sais pas si Tolkien lui-même comprend comment ça marche. C'est quand même très, c'est presque religieux en fait, comme rapport à la magie. Et moi, c'est un truc qui me… C’est pas un problème parce qu'effectivement ça donne des belles choses, suis très d'accord. Mais moi ça me pose problème en tant que lecteur.
Parce que je déteste être devant un récit dont je ne comprends pas, a minima un petit peu les règles et à quoi m'attendre, et ça si je trouve ça un peu facile. J'ai beau avoir défendu Tolkien sur ses efforts là-dessus, je trouve que ce qu'il a mis comme efforts pour créer des langues hyper complexes, les consonnes, les voyelles, tout bien fait, et la magie, c'est le bordel. On comprend rien, et ça c'est un problème. Mais en même temps.
Il y a un point où j'ai envie de mettre quand même un gros carton rouge à Game of Thrones, c'est que, justement, si cette magie est utile, si c’est un dispositif narratif et qu'on comprend le système. Dans un récit qui est quand même assez célèbre pour le fait que les personnages peuvent mourir à tout moment.C’est quand même célèbre pour ça. C'est qu'on a peur tout le temps pour les personnages et tout… pourquoi il a mis de la résurrection ? Erreur !. Mais vraiment, carton rouge, ça casse tout le truc et là-dessus, voilà, c'est pour ça que je ne peux pas être complètement du côté de Game of Thrones, parce que pour moi, ça, ça pète tout le suspense.
[Lionel Davoust] Je ne peux pas disconvenir effectivement. Effectivement.
Et ça, et je ne disconviens pas, justement pour, je l'espère, attirer les faveurs du public de mon côté, pour montrer que je suis de bonne volonté.
Mais cela dit, c'est vrai. Alors, concernant le désenchantement, je suis désolé, mais les enfants de la forêt, quand ils se rendent compte de ce qu'ils ont fait avec les marcheurs blancs, désenchantement de deux mille pour-cent. Rendez-vous compte !
[Morgan of Glencoe] ] Mais y’a encore des gens qui l’utilisent.
[Lionel Davoust] Alors dans Game of Thrones, il y a des écoles qui sont vachement différentes les unes des autres. Concernant le sentiment, parce que ce que mon adversaire décrit concernant la magie ressemble effectivement (je suis d'accord avec Benjamin) un petit peu un sentiment religieux qui pour moi, est une chose différente. Je soumets un non-lieu en disant à notre bien-aimé directrice artistique que peut-être, nous aurions dû avoir une manche sur la religion.
[Betty Piccioli] Je rappelle que je ne vote pas.
[Lionel Davoust] Mais je triche !
[Morgan of Glencoe] Moi, j'ai un truc à redire, c'est qu'en fait, la magie chez Tolkien marche à l'émotion. En fait, la magie chez Tolkien se révèle uniquement quand on va être justement dans les situations, en fait dans ce moment où on a ce dernier regain d'espoir. C'est pour ça que la fiole de Galadriel ne se rallume, que quand, en fait, Sam, il est tout seul face à Arachne, que c'est son seul moyen de la faire reculer.
[Betty Piccioli] C’est pas du tout une facilité scénaristique.
[Morgan of Glencoe] Si, totalement. Mais c'est pas grave, parce qu'en fait, c'est ce réenchantement du monde. En fait, c'est ce moment où tu t'y accroches, au réenchantement du monde.
[Lionel Davoust] C'est dragonball, en fait.
[Morgan of Glencoe] Oui.
[Betty Piccioli] Je suis désolé. J'ai pris parti. C'était horrible de ma part.
[Morgan of Glencoe] Tu as le droit. Je t’ai taquinée dès l’entrée.
[Betty Piccioli] Je dirai un truc gentil sur le Seigneur des Anneaux quand je trouverai quoi dire.
Ah, on va voter. C'est un peu plus compliqué.
[Morgan of Glencoe] C'est compliqué parce que le premier rang est très jaune, mais le deuxième est très bleu…
[Betty Piccioli] Alors je propose que les bleus laissent la main levée et les jaunes enlèvent pour l'instant qu'on fasse une comptabilité. Une cinquantaine. Les jaunes, s'il vous plaît. Quarante-cinq, ça fait un peu moins de moins. Donc là, c'est les bleus qui ont gagné. Hum ouais. Ça a été vraiment genre à cinq voix près. C'est le point pour Game of Thrones, du coup.
Merci beaucoup, et on passe à la suite, c'est-à-dire la manche sur les personnages. Je vois que ça discute dans le public, je sens.
Je sens qu'il y a des frustrations. C'était le but, les personnages des deux côtés. Alors j'ai, j'ai été sympa. J'ai pas trollé sur cette diapositive. Mais voilà, débattons de ces personnages.
On peut lancer le chrono et j'ai l'impression que Morgan veut commencer.
[Morgan of Glencoe] Ouais, alors je vais commencer par un truc, parce que y a un truc qui m'énerve c'est les gens qui ont vu que l'adaptation de Peter Jackson et qui pensent qu'il y a que trois meuf dans le Seigneur Anneaux. C'est faux, il y en a neuf déjà, ceux qui déjà et qui maintenant, ça équilibre vachement ratio. Je tiens à rappeler un truc : c'est les neuf meuf en question. Il y a aucune d'entre elles qui a besoin de jouer les mecs et d'être pire que les mecs pour être intéressante. Les neufs meufs qui parlent dans le dos sont toutes cool et intéressantes. Et d'ailleurs, la plus cool, c'est Lobelia Sacquet de Besace. C'est une petite hobbit de quatre vingt dix cm qui attaque Saroumane à coups de parapluie rose. Voilà !
[Betty Piccioli] Voilà, Morgan, je vais te couper. Oui, je vais un peu spoiler, mais il est possible que la manche bonus parle des personnages féminins. Alors, restons sur quelque chose de plus… général pour le moment.
[Morgan of Glencoe] D'accord alors. Mais mĂŞme les personnages masculins.
Je suis désolé de dire que le héros du Seigneur des Anneaux, c'est Sam Gamegie. Ok, c'est voilà, c'est Sam Gamegie on est d'accord ? Ok et Sam, SAM !
Merde mais Sam ! Alors, déjà, on va dire qu'on va commencer par prendre la masculinité toxique et tirer dedans, parce que le type, c'est un jardinier d'accord, qui sait pas se battre. Il est gentil comme tout ! Dans la vie, il aime faire la cuisine et faire pousser des trucs, voilà, c'est toute sa vie. Et le mec qui se retrouve embarqué dans un truc dix fois trop grand pour lui, clairement, voilà. Tolkien, je suis désolée mais il va jamais dans le concours de quéquette. Alors que Game of Thrones… Ah, est-ce qu'on l'arrête à un moment donné le concours de quéquette ? Parce que c'est comme ça tout du long.
[Lionel Davoust] Y’en a qui la perdent, hein !
[Morgan of Glencoe] Oui, voilà ! Voilà, merci ! Je l’attendais ! Merci. Lionel, je t'adore.
Alors certes,c'est des personnages qui se veulent mythologiques, mais en fait, ils restent très, très humains dans leur approche du monde. Y compris des elfes et les nains.
Et Tolkien il sombre jamais dans la facilité au niveau des personnages. Quand vous lisez le Seigneur des Anneaux, le livre pardon, mais en fait, le personnage rigolo du groupe, c'est Legolas. Je vous jure, c'est Legolas. Legolas arrête pas de dire des conneries, en fait, dans le bouquin. Voilà, et c'est vraiment très, très, très jouissif. Et je pense que là-dessus, Tolkien, en fait, on a tendance à sous-estimer beaucoup ces personnages, parce qu'on a Peter Jackson dans la tête et quand on relit Tolkien, il a des personnages subtils, intéressants et variés. Dans Game of Thrones on a un immense concours de quéquette géant.
[Lionel Davoust] Alors, euh. Avec les personnages dans la situation. Je pense qu'on a à peu près le même genre de dialectique- qu’avec le woldbuilding qui est que, forcément, les personnages sont le fruit du monde. Et que, comme l'a dit mon estimée adversaire, les personnages ont, effectivement, un petit côté mythologique. Si on veut plus de complexité et plus de teintes de gris, on va aller chercher plus chez Game of Thrones. Ce qui est très intéressant chez Game of Thrones, c'est que même chez les pires enfoirés, sauf les vrais sociopathes, (c'est-à-dire en gros, ce qui vient tout de suite à l'esprit, c'est Joffrey Baratheon et Ramsay Bolton) même, chez Sandor Clegane, il y a une part d'humanité, il y a une légère part de rachat. Même chez Jaime Lannister. (parce que je suis désolé, j'ai toujours lu ça comme ça à l'espagnole) qui dit des horreurs, qui est absolument enfoiré, qui nous est présenté comme tel parce qu'ils poussent du haut de la tour dès le début.
Petit à petit, il y a cette espèce d'humanité. Même Cersei, qui est brisée à l'intérieur, même si c'est tous des enfoirés que tu veux évidemment pas partager un ascenseur avec. Il y a quand même, derrière ça, une étude sur toute l'ambiguïté de l'âme humaine et toute la difficulté des forces. Alors, on peut considérer qu'on n'adhère pas à ce qui est tout à fait légitime, mais toute la difficulté de gérer avec les forces sociales, qui nous placent dans une situation, dans un rôle. Et il y a toujours une part de rédemption et une part de noirceur chez tout le monde. Jon Snow est agaçant aussi des fois quand même, alors que c'est quand même clairement censé être le héros un peu doté d'immunité scénaristique.
[Morgan of Glencoe] Donc, pardon, il y a des moments où il est pas agaçant, Jon Snow ?
[Lionel Davoust] Quand il se tait. Donc, c'est un peu le même genre de problématique avec le worldbuilding. C'est que en fait ça, évidemment qu’il n’y a pas de personnages de Game of Thrones sans Tolkien à la base, mais on va plus loin.
[Morgan of Glencoe] Plus loin. Comment dire ? Il y a des persos gris chez Tolkien, d'accord déjà, il y a Boromir.
[Betty Piccioli] Il y a Gandalf le Gris.
[Morgan of Glencoe] Il y a Gandalf le Gris. Alors lui plus gris, tu meurs. Voilà, cancer, tumeur merci. Et même, en fait, chez Tolkien, il y a aussi Denethor, qui est extrêmement gris. Moi, en fait, le truc, c'est que les personnages de Game of Thrones, ils ont tous plus ou moins des objectifs similaires. On est dans le jeu des trônes et c'est qui gagnera le jeu des trônes. Dans Tolkien c’est développer son propre destin en tant que personne. Typiquement, tu parles de rédemption et tout, mais en fait, Boromir, Faramir, Denethor c'est exactement ça, en fait. Et c'est largement aussi bien traité que dans Game of Thrones. La rédemption de Sandor Clegane, très bien, mais la rédemption de Boromir, on en parle ? Alors certes il meurt… Mais Sandor Clegane aussi, en fait.
[Betty Piccioli] Alors, on va laisser Benjamin donner son avis aussi.
[Morgan of Glencoe] Pardon.
[Benjamin Patinaud] Non, justement, je me base un petit peu sur ce que vous dites, je pense, qui ressort là-dedans, pour faire un choix, c'est : qu'est-ce qu'on cherche dans la création de personnage. Moi, je suis tout à fait d'accord pour dire que les personnages du Seigneur des Anneaux sont extrêmement inspirants. Ils sont très beaux mais c'est un peu aussi ce qu'on pourrait trouver… c'est très naïf en fait, et très enfantin.
Et ça a un bon côté, c'est-à-dire que c'est ça qui les rend inspirants aussi. C'est-à-dire que, voilà, on a envie d'être Aragorn. Je trouve qu’Aragorn c'est un beau modèle, mais est-ce que ce qu'on cherche, c'est d'avoir des rôles modèles ?
Où est-ce qu'on cherche plutôt à comprendre comment fonctionne l'humain? Est-ce que c'est ça un bon personnage ? Parce que si c'est pour comprendre comment fonctionne l'humain, d'un point de vue psychologique, comment il est le produit de son environnement, du monde dans lequel il vit, de de sa famille, ce genre de choses.
Et comment, justement, ils deviennent antagonistes, entre eux, pour plein de raisons comme ça, je suis désolé, c'est Game of Thrones, parce que, par exemple, les antagonistes, les vrais antagonistes, dans le Seigneur des Anneaux ne sont même pas des personnages, ce sont des forces maléfiques. Donc, qu'est ce qu'on juge sur cette question ?
[Morgan of Glencoe] On juge ce qu’on a en nous.
[Betty Piccioli] Là je me demande si ça peut être un peu compliqué aussi niveau niveau vote. Je vous laisse voter.
[Morgan of Glencoe] C'est pas aussi écrasant que la première… Mais c’est Game of Thrones.
[Betty Piccioli] Ouais, donc, le bleu gagne Game of Thrones, sur cette manche. C'est parce qu'elle a n'a pas pu répondre.
On passe à la dimension politique, car tout est politique ! Et il y a beaucoup de choses à dire et juste, je crois que je vous ne l'avais pas précisé, mais la manche suivante, ce sera les batailles. Donc on pourra avoir une manche vraiment militaire juste après. Donc, sur la politique, vous pouvez parler d'autre chose que ça.
On peut lancer le compteur.
[Lionel Davoust] Bon alors. Game of Thrones, c'est quand même tout basé sur des intrigues politiques, quasiment, et j'en veux pour preuve que, évidemment, là, dans la complexité du traitement et dans sa finesse, vous ne vous rappelez pas, évidemment, le nom du deuxième assistant du garçon d'écurie. Même si vous avez la liste à la fin.
Game of Thrones porte la complexité de ses intrigues à travers le fait qu’il y a dix pages d'annexes à la fin, pour vous donner le nom de tout le monde. Game of Thrones est ancré et inspiré par Les rois maudits de Maurice Druon et par, entre autres, la guerre des Deux-Roses. Et Martin s'est beaucoup inspiré du contexte historique et des réalités, évidemment pour une œuvre de fantasy dans la gestion économique, politique, territoriale, etc. de son monde fictif. Toute son histoire est basée sur des questions de politique et je pense que je préfère voir comment est-ce que mon estimé adversaire va se débrouiller, parce que il y a juste pas test en fait.

[Morgan of Glencoe] Ah, ouais, alors d'accord. Mais moi, j'ai une question pour toi : qu'est-ce que Game of Thrones raconte sur la politique de notre monde ? Parce que je peux dire ce que Tolkien raconte sur la politique de notre monde.
La politique en soi, à l'intérieur du bouquin lui-même, chez Tolkien, elle n'est pas faite pour être développée. Cependant, quand il nous parle de notre monde, là, Tolkien il dit des choses. D'abord. Comment dire ? C'est anticolonialiste. Parce que je rappelle que, à la fin, les Rohirrim, ils s'assoient quand même sur une partie de leur territoire, pour le rendre à Ghân-buri-Ghân et à sa tribu. Donc la tribu de pécores dans les bois qui font face au royaume d'en face. “Maintenant, vous nous rendez la forêt, vous faites chier !”
À un moment où, comment dire? Il y a une certaine Irlande qui n'est pas encore indépendante d'un autre pays. Voilà, on va en parler.
Comment dire, au niveau du bouquin ? C'est un bouquin profondément antimilitariste et anti-guerre, parce que tout ce qu’il décrit de la guerre Tolkien, c'est jamais la gloire, c'est toujours l'horreur. Et ça, c'est important parce qu'en fait, Tolkien, sa politique intérieure, peut-être qu'effectivement elle est faite pour être mythologique, elle est faite parce que c'est ça qui cherche à faire, c’est une mythologie. Donc, à partir de là, il va pas aller faire des dimensions politiques complexes et identiques à notre monde. Non, il va pas aller chercher Maurice Druon, il va pas aller chercher l'histoire de France. Mais ce qu'il raconte sur notre monde a il le dit. Il raconte la difficulté de revenir chez soi après la guerre, il raconte la résistance, avec Lobelia Saquet-de-Besace (parce que ce perso est trop cool) et d'autres hobbits qui se retrouvent pris dans une guerre qui les dépasse complètement.
Pardon, mais il fait un Ă©norme hashtag #Metoo, mais en 1953.
Parce que Eowyn hashtag #Metoo qui envoie Aragorn dans les cordes alors qu'elle a un crush monumental dessus en mode “Ben, en fait, à un moment donné… Là, ça s'appelle du harcèlement sexuel qu’il me fait l'autre.” Ok. Voilà. Et Tolkien, qui prend la défense d’Eowyn, qui la légitime dans le scénario, qui lui offre un trophy boy à la fin, qui est tellement trop cool parce que c'est Faramir il est chouchou-mignon, voilà.
Et qui lui donne, à elle aussi, une deuxième vie où elle n'a plus à se battre. Je suis désolé, qui donne une régnante, une héritière… Tolkien, ce qu’il offre, en fait, c'est aussi un message, pas forcément dans son monde, mais à notre monde.

[Lionel Davoust] Alors, sur la complexité de la politique de Game of Thrones, je vais temporairement à moitié changer de camp.
Parce que y’a un truc compliqué pour déterminer de la fidélité et de l'intérêt de la politique de Game of Thrones, c'est comment ça va se finir. Pour l'instant, on a évidemment la série et on n'a pas les bouquins.Dans le cadre de la série… La fin de la série a déçu pour beaucoup de raisons. Y’a une trahison majeure des attentes et des promesses narratives de Game of Thrones dans la série, qui est que, en gros : c'est tout ça pour ça ?
Surtout qu'en plus, c'est un manque de respect fondamental à un trope fondamental de la fantasy, qui est que, normalement, on nous raconte un changement d'âge. On nous raconte tout ça parce que il y a un changement, depuis Tolkien.
Il faudra voir comment les bouquins se passent, mais, en l'occurrence, je ne peux pas nier que la politique de Game of Thrones, telle qu’elle est montrée dans la série, pour toute sa finesse et toute sa complexité de représentation… Au final ne change rien. Ce qui est une faute à mon humble avis. On va espérer que les bouquins rattrapent le coup.

[Benjamin Patinaud] Moi, je trouve très beau ta défense de belles valeurs dans Tolkien, parce que c'est un truc que je trouve qu'on dit pas assez souvent. C'est bien aussi de voir qu’il y a des belles choses, y compris politiquement, qui peuvent être portées dedans. En revanche, je trouve que tu fais ça avec une petite prise de risque, parce qu’on peut aussi faire l'inverse. C'est-à-dire qu'on pourrait aussi parler de choses politiques dans Tolkien notamment, la vision de ce que sont des races, et de comment ces races sont perçues, ou ce genre de chose qui est en fait…
Qui m'amènent plutôt à dire que le problème de la politique dans Tolkien, c'est que tout le monde peut y voir beaucoup de choses et je pense qu'elle est très chargée de beaucoup de choses, parce qu’elle est pas très concrète et très symbolique. Et ça parle de choses, ça parle du pouvoir comme une force, pas comme une chose réellement matérielle, etc. Donc, je trouve que c'est un tout petit peu risqué d'aller sur le terrain, justement, de ce que porte l'œuvre là-dessus et je pense que, Tolkien, c'est le problème, c'est que c'est quelqu'un qui fuit la politique. Pour plein de raisons qui le concernent. Et je pense, qui sont très bien, et c'est quelque chose qu'il essaie de fuir aussi avec ce monde-là.
Quand, quand il le crée. Game of Thrones, je suis désolé, c’'est manifestement écrit par quelqu'un qui prend la politique de front et je ne suis pas d'accord pour dire que ça, ça ne parle pas de choses de notre monde, puisque ça parle de comment fonctionne la politique réellement dans notre monde. Et je prends un exemple tout bête là-dessus, c'est que les discours qu’il y a sur le pouvoir, sur la politique, sur la légitimité dans Game of Thrones par exemple entre les personnages entre eux même qui en parlent, ce qu'ils disent, ça, ça a été écrit par quelqu'un qui s'intéresse à l'histoire politique. Dans le Seigneur des Anneaux, la légitimité du roi, c'est qu’il est gentil et c'est le descendant du roi d'avant. Et je suis désolé, c'est un peu de la politique pour les enfants, et un petit peu naïve, et voilà, je suis pas sur qu’il y ait trop match là-dessus.

[Morgan of Glencoe] Il vient de désavouer ses propres arguments !
[Betty Piccioli] Il vient de de se pencher et dire qu'il ne pensait pas.
[Morgan of Glencoe] Il vient dire qu'il ne pensait pas !
[Lionel Davoust] Il ne l'a pas dit dans le micro, ça compte pas.
[Benjamin Patinaud] Et vous vous applaudissez, je ne sais pas. Non, je précise un truc. C'est pas comme si quelqu'un avait attaqué Tolkien en disant : c'est raciste, c'est réactionnaire… J'aurais fait exactement l'inverse.
J’aurais dit oui, mais non, justement, il y a des très belles valeurs dans Tolkien.
[Morgan of Glencoe] J’ai pas parlé d’écologie encore !
[Benjamin Patinaud] Voilà, c'est juste parce que t'as bien défendu ce point là que voilà, je me suis mis en contrepoint.
[Morgan of Glencoe] Voilà, vous voyez ça en plus. Je n'avais pas d’allié.
[Betty Piccioli] Alors on va voter, s'il vous plaît, pour cette nouvelle manche.
C'est très bleu quand même.
[Morgan of Glencoe] Eh mais j'ai plus de fan de Tolkien lĂ .
[Lionel Davoust] L'Ĺ“uvre parle d'elle-mĂŞme.
[Morgan of Glencoe] Vous me laissez seule ! En plus maintenant… Voilà, je me retrouve seule contre tous.
[Betty Piccioli] Et je remarque que personne n'avait remarqué, mes très belles illustrations pour la partie politique.
J'avais géré…
[Morgan of Glencoe] J’avoue, ils ont tous des gueules de cons…
[Betty Piccioli] Maintenant, du coup, on va parler des batailles. Voilà, ça a été une demande faite par Lionel et Morgan sur Twitter. Vous avez dit que vous vouliez des batailles. Donc, j'ai rajouté une manche sur les batailles, voilà pourquoi elle est là. Dites ce que vous voulez en dire.
[Morgan of Glencoe] Non, mais vas-y commence. Commence par me dire que les dothrakis sont devant les murs. Vas-y. Dis-le.
[Lionel Davoust] De la même façon que Martin s'est beaucoup intéressé à la politique. La politique, malheureusement, comme disait l'autre, “la guerre est la continuation de la diplomatie par d'autres moyens”. Martin s'est énormément intéressé à la réalité et à l'horreur de la guerre à l'époque médiévale. La guerre et la stratégie militaire chez Tolkien, encore une fois, elle a des couleurs mythologiques, parce que je suis désolé, mais le gouffre de Helm, le gouffre de Helm qui est censé être la forteresse inexpugnable qu'on a construit dos à des montagnes, nickel. J'imagine bien le chef architecte, un jour, qui arrive et qui fait : “Excusez-moi mais c'est quoi ? Le truc est dans la muraille, là ?” “Ca, chef, mais c'est un trou, c'est pour l'alimentation en eau, y’a une rivière qui passe à travers.”
“Pour une forteresse inexpugnable ? Vous êtes sérieux ?”
“C'est bon, vous regardez, regardez. Vous allez voir ça, ça, ça va regarder, regardez : on a mis une grille.” Ouais, ça serait quand même super ballot que dans ce monde hyper magique et tout, il y a un jour un type qui invente un truc qui explose. Ça ne serait pas de bol.
Donc la stratégie militaire quand on met un trou dans une muraille…
Plus sérieusement, la stratégie militaire chez Tolkien, elle a valeur, encore une fois mythique. C’est des batailles homériques, au sens premier du terme, et ces batailles mythologiques.
Elles ont vocation Ă  ĂŞtre plus Ă©motives qu'autre chose.
Et attirer de l'émotion, ce qui est un certain but. Mais encore une fois, ça dépend de ce qu'on cherche. Chez Martin y a un véritable souci de l'organisation militaire, pensant également à tout ce qui concerne le ravitaillement d'une armée, la logistique d'une armée, les distances de marche, sauf sur la fin de la série où les dragons découvrent l’interstice…
[Morgan of Glencoe] Les dothrakis devant les murs ! Les dothrakis devant les murs !
[Lionel Davoust] Voilà… Les dragons de Daenerys deviennent des dragon perdre tout ça.
Donc il y a un véritable souci de ça et notamment de tout ce que représente une guerre sur également l'économie d'un royaume, c'est-à-dire tout ce qui concerne le soutien en termes d'aliments, de d'alimentation, de transport.
Evidemment tous les ravages que ça entraîne.
Les populations qui subissent la chose, le fait que si t'as envoyé tout le monde crever à la guerre, il y a plus personne pour s'occuper des champs et que c'est un autre problème.
Ce sont des choses qui sont absentes chez Tolkien parce que ce n'est pas le projet de Tolkien. Mais en termes de vraisemblance, d'intérêt de stratégie militaire, Martin est quand même beaucoup plus ancrée dans la réalité, l'horreur et la difficulté des choses.
[Morgan of Glencoe] Alors je suis d'accord et en même temps pas d'accord. Voilà, parce que, de fait, il a toujours une dimension militaire. Et en fait, Tolkien, je trouve que là où on retrouve quelque chose de la bataille et de l'émotionnel, c'est qu'en fait, pardon, mais tu sens qu'il l'a fait la guerre. Quand il te parle des cris des Nazgûl, il les identifie lui-même dans une interview au sifflement des bombes au-dessus des tranchées. Quand il te parle de la guerre qui te prend aux tripes et qui te démembres, littéralement, eh ben, tu, tu sais qu'il l'a vécu, et tu sais aussi quand c’est le désespoir.
Bon, ben voilà, Martin en avant. L'armée est devant les murs qui sont censés protéger l'armée. Meilleure idée du siècle, pardon.
[Lionel Davoust] C’est la série ça…
[Morgan of Glencoe] On a dit qu'on avait le droit d’être de mauvaise foi.
Et puis, je suis désolé, mais même même, honnêtement, même même dans les bouquins.
Les marcheurs blancs, là, super gros mur. Alors, on a fait un beau gros mur, hein, c'est bien. Oui, désolé de dire qu'il y a aussi des trous dedans, hein ? Voilà, et des trous qu'on peut franchir direct. Il y a même pas de grille.
Alors là…
[Lionel Davoust] C'est pas vrai. Il y a des grilles ! Y’en a deux ! C'est deux fois plus que dans le gouffre de Helm !
[Morgan of Glencoe] Sauf que dans le gouffre de Helm, le machin déjà, il avait un vague intérêt, ce qui est une foutue rivière qui passe, quand même au cas de siège. Parce que, en cas de siège, l'approvisionnement en eau, ça peut servir à un moment donné.
Aussi. Le trou dans le mur de glace, il sert à rien. Il n'a aucune autre utilité qu'être un trou dans le mur de glace. Alors il n'y a même pas l'excuse. En plus, le gouffre de Helm, ce n'est pas une si mauvaise stratégie quand tu penses que l'autre stratégie, c'était Edoras. A savoir un machin, un château en plein milieu d'une plaine hyper facile à assiéger et attaquer, alors ce n'était pas une bonne idée. Le gouffre de Helm, c'était mieux. En plus, quand Tolkien fait des stratégies désespérées... Il les déclare comme désespérées ! Alors que des fois Martin, il nous refait le coup de c'est moi que le plus gros ça va. Et en fait, ça fois. Ou, des fois, ça ne foire pas, mais il y a des fois quand même où il se repose beaucoup sur : “bon, et alors donc, du coup là, on a des dragons et on va envoyer des dragons”. Et puis Tolkien il parle aussi des gens qui attendent, et de ce qui se passe quand on est parti et qu'on revient, et que ta maison elle est détruite derrière. Et ça, Martin…
[Betty Piccioli] Très bien, Benjamin ?
[Benjamin Patinaud] Hum, je suis assez d'accord pour dire que, quand même, Martin est, comme pour le reste, plus matérialiste. Sur la guerre ça dit plus tout ce qu'est la guerre en terme d’histoire, de ce que ça représente pour tout le reste de la société, tout ça. Mais ça prouve aussi un truc, c'est que cette approche-là, ça fait des moins bonnes batailles.
Parce que là, on parle des batailles, et en heure, et en fait, je suis désolé, les bataillesdu Seigneur des Anneaux, du fait justement d'avoir une autre approche, c'est beaucoup plus épique et c'est beaucoup plus impressionnant. Il y a un souffle comme ça qui est dedans et qu'il n'y a pas, mais parce qu'il n'existe pas effectivement dans la guerre, ce souffle.
Ça marche pas exactement comme ça et du coup, elles seront toujours plus marquantes, et toujours plus fortes et je rajouterais en plus un point pour vraiment être du côté de Tolkien, c'est qu’il arrive à faire un tour de force. Il arrive à faire des batailles extrêmement épiques et mémorables, et dont vraiment, on se souviendra toute notre vie. Ce soufflet, y compris dans les adaptations.
De même, ça fonctionne même à ce niveau-là, c'est que c'est beaucoup plus impressionnant.
Au cinéma ce genre de bataille. Il réussit à faire ça en ayant un propos anti-guerre, et ça, je trouve que c'est un tour de force. Et là, je suis désolé, je suis full côté Tolkien.

[Morgan of Glencoe] Ah merci, j'ai enfin du soutien Ă  nouveau.
[Betty Piccioli] La manche est finie avant la fin du chrono. C'est merveilleux. Bravo Ă  vous.
Il va falloir voter pour les batailles.
[Morgan of Glencoe] Ah, là c’est Tolkien. Là, ma team ne me trahit pas.
[Betty Piccioli] C’est jaune, c'est jaune. Un point pour Le Seigneur des Anneaux. Alors, pour les adaptations j'ai fait un choix…. Mais j'ai fait un choix des deux côtés. Vous admirerez quand même ce que j'ai fait. J'ai fait les choses bien. Je suis restée neutre.
Plus ou moins. Et on va laisser Benjamin commencer sur les adaptations, si ça te va.
[Morgan of Glencoe] Là, t’es obligé de défendre Tolkien.
[Benjamin Patinaud] Ah mais là, pas de problème. Mais en fait, je suis même surpris de la tournure des événements, parce que c'est facile d'aller dire : oui, oui, il y a le Hobbit, etc. Non mais attendez : Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson !
Qui n'est pas, évidemment pas la seule adaptation, mais qu'on se rappelle de l'impact que ça a eu, pa juste dans le domaine de la fantasy, parce que déjà, ce que la fantasy doit dans son regain d'intérêt, grâce à cinéma-là, déjà on pourrait, on pourrait le dire, grâce à ces films-là, mais même ça a impacté le cinéma à un niveau incroyable. On ne pouvait plus faire de bataille comme avant Peter Jackson. Maintenant, il fallait juste singer Peter Jackson ou trouver d'autres façons de faire. Ça a été vraiment incroyable ! Et en plus, là, je pense vraiment ce que je dis. Je ne vois pas comment l'existence de certains trucs remet en cause l'impact culturel et la réussite qu'ont été la trilogie de Peter Jackson.
Alors que… On pourrait parler d’autres adaptations notamment du Hobbit, de choses comme ça, en dessin animé. Bon, il y en a peut-être aussi un petit peu plus, mais au moins, quand même il y a les films de Jackson, là Game of Thrones, y’a… (J’ai pas vu la série spin-off là, avec les dragons et tout) la série Game of Thrones.
Bon, je n'aurais pas tenu le même discours dessus si on était à la saison trois ou actuellement, etc. Mais là on a l'inverse, c'est-à-dire qu'on a une série qui a été une grande réussite pendant un moment et qui a déçu tout le monde, mais qui, en plus, a gâché l'œuvre originale pour beaucoup de gens. Pas juste parce qu’on aurait dû faire l'effort de le lire ou quoi que ce soit, c'est que comme elle a été plus loin et qu'elle lui a donné une sorte de fin, et que cette fin est quand même… Il y a quand même consensus sur le fait qu'il y a un problème avec ce truc-là, y compris, je pense, que, parmi les gens qui l'ont fait parce que, manifestement, ça s'est pas très bien passé.
Je suis désolé, pour moi, il y a pas photo : entre quelque chose qui gâche vraiment pour les années à venir le matériau originel et quelque chose qui lui redonne un regain d'intérêt tout en bouleversant le médium du cinéma lui-même. Pour moi, y'a pas photo.
[Lionel Davoust] On constatera, je dirais, à mon aimable adversaire qu'on constatera que le matériau d'origine a été tellement bien gâché qui a eu un spin-off derrière.
[Betty Piccioli] Visiblement un spin-off qui se passe avant.
[Lionel Davoust] Oui, mais alors ça, c'est la grande mode dans tout ça. Je veux pas dire, mais dans le en terme d'adaptation, le Hobbit c’est avant le seigneur des Anneaux aussi, hein. Moi, je dis ça, je dis rien.
Sur les adaptations, je suis, bien sûr, je suis entièrement d'accord, car il faut commencer par être d'accord avec son adversaire avant de commencer à être de mauvaise foi.
Je suis entièrement d'accord sur l'impact qu'a eu le Seigneur des Anneaux en termes de cinéma.
On peut également parler de ce qui a durablement gâché, c'est-à-dire le Hobbit. Et je soumettrai à la sagacité de l'audience ici présente, extrêmement sagace, que le Game of Thrones a eu le même genre d'impact sur la série télé. Au moment où Game of Thrones arrive, on n'ose pas. On commence à se dire : la série télé, ça marche un peu comme ça.
On pourrait mettre un petit billet dedan, HBO ose le faire après avoir tenté quelques grosses productions, notamment Rome, série des années 2000 qui est excellente, qui commence à avoir un peu du gros budget. Et dans Game of Thrones il y a le début de cette mouvance. Game of Thrones change le Game aussi, à partir de là, pour les séries tv.
Et entraîne et engouffre tout un tas d’imitateurs, ce qui nous a donné toutes les séries de fantasy qu'on a actuellement, de The Witcher en passant par Wheel of time, etc. Qui sont de qualité variable, mais sans ça, sans Game of Thrones ça n'existe pas. Et ça aussi ça change les codes de la série télé, d’une part, parce que, évidemment, ça montre qu'il y a de l'intérêt pour ça, mais surtout aussi, ça montre qu'on peut mettre en scène et qu'on peut financer des projets de taille considérée comme étant proprement déraisonnable, avant qu'on fasse ça. Après, concernant la fin, voilà bon.
Mais si l'on parle des adaptations, je pourrais, mais je vais charitablement ne pas le faire. Je pourrais parler, par exemple, du dessin animé de Ralph Bakshi. Mais j'ai encore de la décence.

[Morgan of Glencoe] Alors vous avez vu que j’ai pris la place de Benjamin. Je me suis mis au milieu parce que je vais vous dire, je déteste les deux.
Voilà. Alors, je reconnais à Jackson qu'il a rendu hommage à l'esthétique et à l'univers de Tolkien, mais je ne lui pardonnerai jamais d'avoir inversé les caractères de Gimli et Legolas pour le plaisir de se moquer du petit rouquin au lieu du grand blond, et je lui pardonnerai jamais ce qu'il a fait aux personnages d’Éowyn. Voilà, à un moment donné, Éowyn, c'est une putain d’héroïne féministe, qu'on le veuille ou non, c’est dans le texte, littéralement. Et Jackson, en 2003, arrive à faire un film plus sexiste qu'un bouquin écrit cinquante ans avant. Et ça je peux pas. Et de l'autre côté, Game of Thrones. Je suis désolé, mais moi, à un moment donné, le sexisme je me le tape au quotidien, à quel moment ils rajoutent un viol à Daenerys alors qu'avec Drogo, c'était censé se passer…. Et pourquoi d'ailleurs ils rajoutent des scènes de cul ? Et pourquoi il faut que, à chaque fois, toutes les meufs, elle aient des plans sur leurs nichons et sur leur cul ? Et en fait, j'en ai marre des trucs filmés en male gaze qui passent leur temps à se branler la nouille.

[Applaudissements du public]
[Morgan of Glencoe] Alors les adaptations : zéro ! Retournez bosser sur le matériau de base !
[Betty Piccioli] Très bien, est-ce que vous savez des choses à dire du coup ? Les garçons ?
[Rires du public]
[Betty Piccioli] Est-ce que vous voulez qu'on arrĂŞte la manche lĂ  ? Eh ben on va s'arrĂŞter lĂ .
Les choix d'intervenants étaient plutôt bons sur cette battle. Vous allez pouvoir voter… si vous l’osez.
C'est jaune, Seigneur des Anneaux !
Alala, c'est fou. On arrive avec une égalité.
[Lionel Davoust] J'aurais dĂ» parler de Ralph Bakshi.
[Betty Piccioli] Une manche bonus, pour départager les deux œuvres. Avec un point supplémentaire. Et tu m'as fait une très belle transition, parce que mon introduction de la manche bonus, c'était donc les personnages féminins. Ouais, je me suis fait plaisir là aussi.
Les personnages féminins : vaut-il mieux en avoir très peu, et assez archétypaux, mais plutôt bien fait ? Ou vaut-il mieux en avoir beaucoup, et qui passent leur temps à se faire violer, à être nues et, si on peut parler de la nouvelle série aussi, à avoir des accouchements horribles, tous les épisodes. La question se pose, et je vous laisse répondre. Qui veut commencer ? Je pense que c'est Morgan qui va commencer.

[Morgan of Glencoe] Alors, ouais, là on arrive sur un truc sur lequel j'ai beaucoup trop bossé, hein, je suis désolée. Ça risque de pas être d'aussi mauvaise foi que ça. En tout cas… j’ai vraiment le droit, là ? Tu te rends compte de ce que tu vas faire ?
[Betty Piccioli] Si on reste sur quelque chose de raisonnable niveau temps.
[Morgan of Glencoe] Oui, je fais des efforts.Tolkien, de fait, a moins de personnages féminins que de personnages masculins. Par contre, il ne fait jamais de voyeurisme avec ses personnages féminins. Tous ces personnages féminins sont construits, sont utiles, ont une vraie personnalité marquée, parfois amusante. Oui, Lobelia, c'est la petite vieille acariâtre et vénère. En fait, déjà, on en parle, du fait qu'il fout une meuf, de cent ans, en fait, qui est une résistante, qui est portée en honneur à la fin, alors que, depuis le début, on disait : non mais c’est la petite vieille qui pique des petites cuillères, c'est la tatie Danielle… Sauf que la tatie Danielle était une héroïne, en fait. Donc, déjà, ce perso est beaucoup trop sous côté. Ensuite, tous les autres personnages qui nous sont présentés. Alors, comment dire? Arwen, c'est l'héritière de son père. Quoi ? Elle est plus jeune que ses frères ? On s'en fout, c'est l’héritière, puisque c'est elle la plus intelligente, en fait. Voilà la vraie raison. Et elle épouse qui elle veut. Son père est pas d'accord ? Mèrde, papa, voilà. T’as dix mille ans ? Rien à secouer. J'en ai peut-être que trois mille, mais je m'en fous.
En fait, il a des personnages féminins qui sont libres, qui sont puissants. Galadriel, c'est une régnante, désolé de dire qu’à côté, Celeborn, il passe le balai. Parce que, en fait, ces personnages féminins, ils sont pour ce qu'ils sont, et Galadriel, c'est une reine.
Elle refuse le pouvoir masculin. Elle le refuse. On le lui donne. Frodon il arrive, tu prends l’anneau s’il te plait, décharge-m’en et elle est là : je pourrais. Et je pourrais devenir un mec, je pourrais devenir Sauron, je pourrais défoncer la gueule de tout le monde. Et bien, tu sais quoi ? Je ne vais pas le faire, parce que c'est plus important de protéger le monde, de protéger mon royaume et d'assurer la justice, l'égalité et la lumière dans les ténèbres, ok ? Voilà, alors à un moment donné, bon voilà.
Ensuite, il y a Eowyn, alors ceux qui ont dans la tête Peter, Jackson, Eowyn est massacrée dans Jackson, elle est massacrée.
Erwin, c'est pas quelqu'un qui va au combat parce qu’elle veut prouver qu'elle est une héroïne. C'est quelqu'un qui va au combat parce qu'elle veut pas que son oncle et son frère y passent, parce que c'est la seule famille qui lui reste. Et quand elle affronte le Seigneur des nazgûls, c'est pas pour gagner la bataille, c'est pour protéger son oncle mourant. Voilà un moment donné, la raison pour laquelle elle y va, c'est parce qu'elle se sait compétente et elle sait qu'elle peut protéger les siens. Elle va jamais jouer à “moi je suis la plus forte, d'abord, ok ? “ C’est pas Brienne de Torth. Brienne de Torth elle veut être la meilleure parce que c'est ça la seule place qu'elle peut avoir. Eowyn elle s'en fout d'être la meilleure, parce qu'elle connaît sa propre valeur et elle s'en fout de prendre des gadins plein la gueule, et elle va continuer à faire ce qui est bien. A la fin elle a un trophy boy et devient herboriste et elle devient guérisseuse et elle est trop cool et ensuite elle règne. Voilà, parce que c'est comme ça qu'on fait. Et quand les mecs disent des trucs sexistes sur elle, y’a toujours quelqu'un d'autre pour les engueuler. Par exemple, à la fin, Aragorn, qui dit à Eomer “Dis-donc, t’es gentil, t'as donné à mon pays la plus jolie fleur de tes champs.” Et là, en fait, Eomer il le regarde et fait : “Mais c'est ce que tu dis ? Tu parles de ma soeur. C'est pas une fleur, c'est une meuf. Elle a choisi qui voulait, en fait.”
Donc, en fait, quand il y a des gens qui disent des trucs sexistes chez Tolkien,les gens disent que c'est sexiste. Voilà, c'est pas parce qu'il y a peu de personnages féminins qui sont pas travaillés, qui sont pas développés, qui sont pas intéressants, qu'ils ont pas d'influence sur l’intrigue. A côté les personnages de Game of Thrones, c'est simple, la plupart d'entre elles, si elles veulent survivre, elles jouent le jeu des trônes. Elles deviennent pire que tous les mecs et à la fin, on a des tyrans génocidaires, des assassins à moitié pété du bulbes, et euh… Sansa. Qui essaye de tirer son épingle du lot, en fait, en étant pire que Littlefinger. Voilà donc en fait les, les meuf dans Game of Thrones, elles n’ont pas le droit à leur féminité. Leur féminité, elle ne peut s'exprimer qu'à travers un masculin viriliste, toxique, hégémonique et vénère, alors que chez Tolkien, elles ont rien à prouver. En fait, elles ont rien à prouver d’autre que : “Je suis. Démerde toi avec ça.”

[Betty Piccioli] Très bien, Lionel ?
[Lionel Davoust] Il est évident que, du point de vue où je me tiens, je ne peux pas défendre une quelconque raison sur ce thème là, quelle qu'elle soit.
Je suis disqualifié d'office, je ne peux pas parler de ce sujet-là, surtout que, de manière générale, sur Game of Thrones, y’a un certain nombre de trucs qui ont été dit. Mais justement, j'allais dire justement, je suis entièrement d'accord avec toi sur, justement, l'aspect que le, le, la société de Game of Thrones est ultra viriliste et qu’il n'y a pas d'autre voie que ça. De manière, dans le cadre du récit, cela se justifie narrativement, parce que c'est le monde qui est comme ça. Maintenant, je pense qu'il est important d'interroger l'intention. Je ne préjugerai pas des intentions de Martin, qui vont derrière, mais je pense que c'est intéressant aujourd'hui et de manière générale, dans les œuvres qu'on fait, de façon générale. Je trouve que c'est intéressant. d’'interroger la question de la société, justement, qu'on doit représenter quand on est en fantasy et qu'on a finalement tous les droits de création, parce que, on n'écrit pas du roman historique vraisemblable, ou en tout cas réel, on écrit de la fantasy. Et la fantasy n'existe que parce que, finalement, elle donne à montrer, on va dire très, de façon très globale, un “passé” avec tous les guillemets du monde. Puisque, évidemment, le passé de Tolkien, même si c'est censé être le passé de la terre, les mondes de Tolkien et Martin sont des mondes secondaires, donc, en gros, c'est des moyen-âges qu’on va dire “fantasmé”, globalement. Mais l'idée, c'est justement de ne pas représenter la réalité. La fantasy est un genre qui est moderne et qui naît justement au tournant du vingtième siècle, parce que il s'établit dans un discours entre nos sensibilités contemporaines modernes et le monde, qui est mythologisé au sens large, qu'on nous amène à montrer. Du coup on peut fortement interroger le projet de présenter justement une société comme ça, au vingt-et-unième siècle au sens large.
Et je ne suis pas dans la tête de Martin. Je ne connais pas les intentions de Martin et je ne veux pas faire un procès d'intention à Martin parce que je ne sais pas.
Mais je trouve que quand on écrit et quand on lit, c’est intéressant de se poser ce genre de questions, de manière générale. Je trouve en fait que le le le fait de dire oui, mais ça représente une certaine réalité historique… Quand on écrit de l'imaginaire, c'est un peu facile, quand même, de s'arrêter à ça.
A mon humble avis, et que c'est dommage de pas pousser la réflexion plus loin.
[Betty Piccioli] Benjamin
[Benjamin Patinaud] Oui, j’ai pas beaucoup mieux. A la limite, si je dois ajouter un truc, je reviendrai, je pense, ça revient un petit peu ce que je disais sur les rôles models et ce qu'on décrit. Ça revient, je pense, à la question de : est-ce que on veut une démarche où on essaie de représenter un monde qui est ultra-violent, et y compris sur les questions de sexisme ? Et alors, ça, est-ce qu'il le fait bien, et ce qui devrait le faire, ça … Je vous laisse seul juge de ça. Mais la démarche, j’ai l'impression que c'est plutôt ça. Et en face, une démarche plutôt, justement, de donner quelque chose qui est inspirant, et qui est alors qu'il sombre aussi des fois, mais qui est, qui est donc censé tirer une lumière et où là on va tirer des rôles modèles, ceux que t'as décrit de manière féminine. A la limite, je dirais même aussi que les représentations de masculinité du Seigneur des Anneaux seraient pas mal à réhabiliter aussi.
[Morgan of Glencoe] Totalement.
[Benjamin Patinaud] Donc voilà, il est plus dans une optique de roles models, y compris aussi à ce niveau-là, et que c’est deux démarches différentes, et que voilà, vous pouvez peut-être juger à partir de ça.
[Morgan of Glencoe] J'ai juste un mini truc à ajouter, c'est que, de fait, là où je peux en quelque sorte excuser Tolkien de faire en fantasy une société sexiste c’est qu’il l'écrit en 1953. Juste pour rappel, en 1953, l'état des droits des femmes… En france, on n'a pas le droit de vote depuis une décennie, on n'a toujours pas le droit de travailler sans l'autorisation de notre mari, ni d'avoir un compte en banque ou de toucher notre salaire directement. Voilà donc que Tolkien n'arrive pas à se projeter dans une société cent pour cent déconstruite et ainsi de suite. Ça peut se comprendre. Martin, il a commencé à écrire dans les années 90.
Comment dire ? C'est vachement moins excusable.
Pardon, mais c'est vachement moins excusable. Il y a pas l'excuse. Tolkien. C'est un catho tradi qui est né au 19e siècle dans une colonie anglaise et qui est professeur de langues anciennes à Oxford. En fait, pour son époque, légitimer la révolte adolescente d'Eowyn, c'est déjà révolutionnaire, en fait. De dire une ado qui désobéit à tous les mecs de sa famille pour aller à la guerre, c'est monstrueux comme révolte adolescente. Voilà. Pardon, mais Martin, il n'a pas cette excuse. S'il veut faire du sexisme dans un univers où il y a de la magie et où, pardon, mais tu peux tirer des boules de feu avec ton cul… Il a pas l'excuse de dire : c'est parce que les filles, ce sont des petites choses. Non, s'il met du sexisme, c'est parce qu'il veut mettre du sexisme, c'est parce qu'il veut mettre du voyeurisme sur le sexisme, parce qu'il veut faire souffrir ses personnages féminins en les mettant à poil et ainsi de suite.
[Betty Piccioli] Et comme dit Lionel, reproduire des schémas patriarcaux qu'on a déjà et dont on a pas besoin. Et je suis tout à fait d’accord pour dire qu’en tant qu'auteur, c'est un peu flemmard de faire ça, et on devrait faire mieux.
C'est, c'est ma prise de position sur le sujet. Et ben, merci pour cette manche bonus.
Vous allez voter et cette égalité va tomber. Morgan, tes arguments ont complètement payé. C'est jaune, c'est Tolkien. Bravo au Seigneur des Anneaux !
[Morgan of Glencoe] En vrai, merci, Betty, parce que c'est cette manche là pour moi qui était…
[Betty Piccioli] J'étais obligé de la mettre.
[Morgan of Glencoe] Sans ça, je pense qu'on faisait une belle égalité. Mais là…
[Lionel Davoust] Les méchants perdent toujours. C’est bien.
[Morgan of Glencoe] Les bébés phoques, on a gagné !
[Betty Piccioli] Honnêtement, je m'attendais pas à ce que ce soiti si rapproché. Je pensais que Tolkien allait être… qu'on allait finir sur un cinq, deux ou un truc comme ça.
[Morgan of Glencoe] Tu m'as mis Lionel en face.
[Betty Piccioli] Non, c’est vrai. Merci beaucoup, j'espère que ce format vous a plu.
Merci à nos intervenant·es. C'était très sympa.

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