Tout savoir sur le marché anglo-saxon
Enregistré le 29/04/2023 à l'occasion du festival L'Ouest Hurlant.
Le marché anglo-saxon du livre attire toutes les convoitises. Mais entre fantasme et réalité, la désillusion peut être grande ! Comment se porte le marché anglophone en imaginaire ? En quoi diffère-t-il du marché francophone ? Est-il pertinent de les comparer ? Deux spécialistes, une agente littéraire et une autrice primée aux États-Unis, répondent.
Transcription :
Tout savoir sur le marché anglo-saxon
Avec Elisa Huot, Aliette de Bodard
Modération : Pierre-Marie Soncarrieu
[Chaise qui racle le sol]
[Grincements]
[Musique et bruits de pages qui se tournent]
[Musique et carillons]
[Musique et bruits de vaisseaux]
[Tirs de pistolets laser - Pewpew]
[Bruits d'épées qui s'entrechoquent]
[Voix off] Les conférences de L'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire…
[Pierre-Marie Soncarrieu] D’abord, on va s’arrêter sur le marché français pour vous donner une petite idée de l'étendue de l'imaginaire français. On parle d'inédits. Ce sont à peu près deux milles nouveautés qui sortent dans l'imaginaire français par an. On ne compte ni les auto-éditions, ni les éditions à compte d'auteur. On ne compte que les éditions à compte d'éditeur. C’est donc le marché traditionnel mais sur lequel n'interviennent ni Elisa, ni Aliette. C'est ce qui va nous donner un point aussi intéressant.
[Aliette de Bodard] Juste un point de correction, moi je fais les deux. Je fais à la fois de l'auto-édition et de l'édition traditionnelle en anglo-saxon.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais pas en France ?
[Aliette de Bodard] Pas en France.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Autre chose, le marché français est un marché littéraire qui est très régulé, notamment avec la loi Lang, je ne sais pas si vous connaissez. C’est la loi qui oblige que le prix de vente soit décidé par l'éditeur et non pas par le commerçant, ce qui fait que les entités qui peuvent vendre des livres ont en général une marge de cinq pourcents sur le prix de l'éditeur. C'est aussi un point de grosse différence avec le marché anglo-saxon. À ce sujet-là, Aliette, comment est-ce que tu définis un prix sur ta production ? Comment se passe la mise en vente ?
[Aliette de Bodard] Sur le marché anglo-saxon, c'est l'éditeur qui décide mais les prix sont quand même assez standardisés. Le prix d'un hardcover est dans les 20 livres. Ça peut être plus s'il est plus épais par exemple. C’est pareil pour les mass market paperback, il n’y a pas vraiment d'élasticité là-dessus. En auto-édition, il y a beaucoup plus d'élasticité. Dans mon cas, c'est presque que de l'auto-édition. Mon agence littéraire s'occupe de toute la partie commercialisation et maison d'édition, et moi je m’occupe de la couverture. Je ne fais pas la partie illustration, j'ai essayé et c'est une bonne raison pour ne pas le faire. [Rires] Par contre, en concertation avec l'agence, je décide du prix de vente. Là-dessus ce que je regarde ce sont les livres qui se vendent ou les livres qui définissent les courants et dans quel ordre de prix on est. Sachant que plus un livre est neuf, plus on peut le vendre cher avec la partie nouveauté. Lorsque ça devient ce qu'on appelle du “backlist”, c’est-à-dire des livres qui sont sortis il y a longtemps, les gens s'attendent à ce que ça coûte moins cher. Sur des séries aussi, souvent le premier est moins cher voire gratuit, ça permet d'appâter un peu le lecteur pour qu’il lise le premier tome et après télécharge les trois tomes suivants, on espère. Puis, ça dépend un peu du genre. Typiquement, là, j’ai une romance space opéra où j'avais mis le prix plus en comparaison avec la SF (science-fiction) et en fait, en romance, c'est généralement moins cher parce que les lecteurs sont plus sensibles au prix. Ils préfèrent des trucs à prix un peu plus bas. Je pense que quand le paperback sortira, on va rediscuter avec mon agence pour mettre le prix plus bas pour être dans des fourchettes de prix comparables. Ça dépend aussi pas mal du sous-genre. La SF et la fantasy ont tendance à être plus chers. La romance, ça dépend de la longueur aussi évidemment, a tendance à être un peu moins cher.
[Pierre-Marie Soncarrieu] On va laisser de côté le milieu de l'auto-édition. On va partir sur l'édition classique. En France donc, l'auteur fait son roman, a des bêta et des alphas lecteurs, puis va le proposer à une maison d'édition qui va accepter ou non et on espère avoir une édition. Sur le marché anglo-saxon, dans le circuit traditionnel, à quel moment intervient l'agent littéraire ?
[Elisa Huot] Alors l'agent littéraire intervient exactement au milieu. Quand l'auteur a terminé un livre aux Etats-Unis et en Angleterre, en grande majorité, il ne peut pas lui-même présenter son livre à des maisons d'édition, en tout cas pas à des maisons d'édition classiques, traditionnelles. Il est obligé de trouver un agent. C'est à ce moment-là que l'agent intervient. Au lieu de pitcher son roman à des maisons d'édition, l'auteur le pitche à des agents. Une fois qu'il a trouvé un agent, c'est celui-ci qui s'occupe de trouver une maison d'édition aux livres et qui, après, représente l'auteur pour toute sa carrière et l'ensemble de ses livres.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Ça veut dire que, par exemple, Aliette qui fait de la SF et de la romance et qui décide de faire un essai sur les fourmis, ce sera le même agent qui fera ça ?
[Elisa Huot] Alors ça dépend si c'est un genre que l'agent ne représente pas. Dans notre agence, on a des agents qui sont spécialisés dans à peu près tout. Donc si un de mes auteurs écrit de l’horreur par exemple, ce que je ne fais pas, je demanderai à un de mes collègues de s'en occuper. En revanche, si personne dans l'agence n’est capable de représenter ce titre, l’auteur sera obligé de trouver un autre agent pour ce titre bien spécifique, mais c'est très rare d'avoir des auteurs qui sont dans des genres aussi éloignés.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Et du coup Aliette, tu as déjà choisi de faire à la fois du traditionnel et de l’auto-édition. Est-ce que ça pose des soucis vis-à-vis de ton ou tes agents, ou pas ?
[Aliette de Bodard] Non parce que c'est le partenaire américain de mon agence qui fait la partie auto-édition. Ce sont même eux qui me l’avaient proposé, en particulier sur des œuvres soit de backlist, soit des titres qui sont un peu difficiles à vendre. Par exemple, quand j'avais écrit un re-telling de La Belle et la Bête en version saphique et où la Bête était un dragon, la longueur était surtout super foireuse. C’était trop long pour être ce qu'on appelle une novella, donc un roman court qui peut se vendre dans un certain nombre de maisons d'édition au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais par contre beaucoup trop court pour le faire passer pour un roman. On ne voyait pas ce qu'on pourrait faire pour le rallonger et puis, philosophiquement, ce n’est quand même pas terrible de rajouter des trucs juste pour faire du “gonflage artificiel” de roman. [Rires] Donc sur un projet comme ça, la maison d'édition va être mon agence et on va se coordonner pour sortir un titre.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Là, tes romans anglo-saxons, si jamais tu voulais les sortir en France, comment est-ce que tu pourrais le faire économiquement ? Est-ce que tu as déjà essayé d'ailleurs ?
[Aliette de Bodard] Je n'ai pas essayé, non. Pratiquement, ça passe par le même circuit que décrit Elisa, c'est-à-dire que mon agence a des partenaires en France qui démarchent les maisons d'édition pour voir si quelqu'un est intéressé pour récupérer le roman et le faire traduire.
[Elisa Huot] Ces partenaires-là, en général, ce sont les co-agents justement. Les agents en ont à peu près dans chaque pays ou certains s'occupent de plusieurs pays. Ce sont eux effectivement qui vont démarcher les maisons d'édition. C’est aussi ce que je fais pour l'agence que je représente en France. C'est moi qui démarche, je suis la co-agente française. C'est comme ça que ça fonctionnerait pour les titres publiés en édition traditionnelle ou même en auto-édition d'ailleurs. Tant que ça passe par l'agence, ça peut fonctionner.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Donc un auteur anglo-saxon qui a envie d’écrire pour la France est obligé de garder ce contrat d'exclusivité avec l'agence avec laquelle il est. Il ne peut pas avoir lui-même ces liens amicaux pour pouvoir aller démarcher des auteurs, des éditeurs, ou des traducteurs qu'il connaît.
[Elisa Huot] Il pourrait mais ce n’est pas quelque chose qui se fait. Là-bas, c'est très clair que l'agent est “au centre de tout” et que l'auteur s'en remet à l'agent pour toutes ces questions-là. Moi, j'ai des auteurs qui sont particulièrement intéressés pour être traduits en Espagne ou en France. Dans ces cas-là, ils me le disent et j'essaye de faire tout ce que je peux pour leur avoir ces traductions dans les pays qui leur tiennent à cœur. Mais, à part ça, ça ne se fait pas du tout qu’ils aillent les démarcher eux-mêmes
[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais là tu parles vraiment d'une mentalité très anglo-saxonne où l'agent est au milieu de tout. En France, on n'a pas trop cette mentalité ou alors je ne l'aperçois pas. Comment est-ce que tu pourrais t’insérer dans un schéma d'édition française ? Il faudrait que les auteurs soient partie prenante mais aussi les maisons d'édition. C'est un coût en plus.
[Elisa Huot] C'est un coût en plus mais c'est aussi un avantage puisque les éditeurs négocient directement avec les agents, donc avec des gens dont c'est le métier. C'est souvent difficile pour les auteurs de négocier correctement avec les éditeurs ou même simplement d'avoir une conversation qui est facile avec l'éditeur. Tout ça est facilité par l'agent en France. Je le vois bien. De plus en plus d'auteurs sont intéressés par ce schéma là en France. Pour l'instant, ce serait compliqué pour des primo auteurs d'être représentés par un agent dès le début parce que les maisons d'édition pourraient être réticentes. Pour des auteurs qui sont déjà publiés, pour même un seul roman en France, c'est un schéma qui peut complètement fonctionner. Pour l'instant ce n’est pas extrêmement répandu mais on voit de plus en plus d'agences qui commencent à se créer et c'est une très bonne chose. Je pense que dans dix ans l'agent fera plus partie de la chaîne du livre.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Dans le schéma anglo-saxon, Aliette, quand tu vends tes livres, tu dis que tu définis le prix en auto-édition. Dans l'édition classique, c'est toujours l'éditeur qui décide du prix sur les marchés anglo-saxons ?
[Aliette de Bodard] Oui, je n’ai jamais eu de conversation pour définir le prix. Ce sont eux qui le définissent en fonction du livre. Ils ont la maîtrise sur les coûts d'impression, etc. Je n’ai pas de visibilité et puis, pas spécialement les compétences non plus.
[Pierre-Marie Soncarrieu] On dit souvent qu’en France l'auteur récupère moins de cinq pourcents du prix du livre. Est-ce que tu peux nous parler un peu des revenus d'auteurs traditionnels en anglo-saxon ?
[Aliette de Bodard] Quand je vends un livre en milieu anglo-saxon, l’agence perçoit pour moi les revenus et constitue un à-valoir, donc une avance sur des royalties qui est définie en pourcentage. Je ne me souviens plus des pourcentages. C’est huit pourcents, je crois. Tu dois connaître mieux que moi.
[Elisa Huot] Le basique c’est huit pourcents. Mes auteurs ne signent jamais rien en dessous de huit pourcents dans le milieu anglo-saxon.
[Aliette de Bodard] C’est huit ou douze pourcents à peu près pour un hardcover - un couverture dure -, et entre vingt-cinq et quarante/cinquante pourcents sur les ebooks. Il y a eu beaucoup de conversations sur le pourcentage touché par l'auteur dans le cadre d'un ebook et ça a fait couler beaucoup d'encre, de mails et de discussions pour essayer de fixer un standard de l'industrie. Il y a des pourcentages comme ça sur les audiobooks et sur plein d’autres choses. Une fois, j'ai signé des trucs avec des clauses de produits dérivés. Je me suis dit : “Ok, on ne sait jamais si Hollywood vient frapper à ma porte un jour”. [Rires] Et donc, l’agence est payée là-dessus, prélève une commission ;
[Pierre-Marie Soncarrieu] Sur les huit pourcents qui te sont allouées, il y a la commission pour les agents ?
[Aliette de Bodard] Oui c’est ça, sur ma part à moi.
[Elisa Huot] Sur les huit ou douze pourcents pour le papier et sur tout ce que l'auteur gagne pour le contrat signé.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Du coup, on aborde la question que je voulais poser mais qui est déjà arrivée. Donc, ces huit pourcents là, c'est l'agent qui va les négocier et est-ce que c'est dans son intérêt de négocier plus de pourcentage, de manière à ce que sa commission soit plus importante ?
[Elisa Huot] Dans tous les cas, l'agent a tout intérêt à négocier les meilleures conditions financières possibles pour l'auteur puisque si l'auteur gagne moins, l'agent aussi donc forcément - ce qui arrange souvent les auteurs qui veulent aussi gagner plus. Oui, c'est évidemment dans leur intérêt mais ça arrange aussi l'auteur. Tout le monde est gagnant. Le pourcentage est plutôt difficile à négocier, en tout cas pour ce pourcentage papier de huit pourcents. On a un peu de mal à aller au dessus, surtout quand ce ne sont pas des auteurs mondialement connus. Par contre, le pourcentage des ebooks est plus facilement négociable. Il est plutôt basé sur les droits dérivés que l’on arrive plus facilement à négocier. Il y a une plus grosse marge de manœuvre.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais là on parle de huit pourcents chez les anglo-saxons. On revient aux cinq pourcents français. Comment est-ce qu’un agent pourrait arriver à négocier plus ? Les éditeurs ne sont en général pas d'accord pour payer plus.
[Elisa Huot] Ça fonctionne, j'y arrive. [Rires] Ça fonctionne très bien en général. Il y a aussi beaucoup le fait que les auteurs n’osent simplement pas demander. C'est un petit peu bête mais des fois un éditeur dirait oui à huit pourcents mais comme les auteurs ne demandent pas, ils ne vont pas le proposer. Les éditeurs ont un peu tendance à proposer des pourcentages qui sont bas en sachant qu’ils peuvent faire mieux mais beaucoup d'auteurs n'osent pas du tout négocier et ne le font pas forcément. En tout cas, ça se négocie très bien.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Il n’y a pas de réticence parce que ce sont des grosses maisons d'édition ou même les petites maisons d'édition ?
[Elisa Huot] Alors, les maisons d'édition qui ont le moins de réticence sont celles qui font aussi des traductions parce qu’elles sont amenées à travailler avec des agents ou des co-agents au quotidien et donc ont l'habitude de tout ça. Les plus petites maisons d'édition ont sans doute plus de mal à accepter la négociation. Dans tous les cas, il faut essayer. Mais, les grandes n’ont aucun problème avec ça.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Aliette, dans la partie auto-édition, est-ce que tu as déjà utilisé ce qu'on appelle les facilitateurs d'édition que peuvent être CoCyclics, Amazon, Wattpad, des faiseurs de reconnaissance ?
[Aliette de Bodard] Pas spécialement, non. Mes livres sont vendus sur Amazon mais je n’ai jamais utilisé ni Wattpad, ni CoCyclics.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que l'agence littéraire peut s'appuyer sur ça, c’est-à-dire sur des textes qui ont déjà été travaillés, qui ont déjà une reconnaissance ?
[Elisa Huot] C'est une question compliquée que l’on se pose souvent puisque un texte qui a déjà touché pas mal de monde, sans avoir été un gros carton par exemple sur Wattpad, on va se demander si les lecteurs touchés n’ont pas déjà lu le livre. Donc, est-ce que ça vaudrait le coup de l'éditer ou pas ? C'est vraiment du cas par cas. Par contre, si c'est un carton ultime, oui bien sûr. Là, l'éditeur va le vouloir tout de suite, c'est évident. Pour ceux qui fonctionnent bien sans être des gros cartons, c'est vraiment du cas par cas.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Là-dedans, l’agent ne fait que proposer un texte qui est déjà a priori fini. Il reste quand même la partie correction sur un texte.
[Elisa Huot] Oui. On a plusieurs types d'agents. Il y a les agents éditoriaux ou non. C'est ce que je fais, c'est-à-dire que les textes que je représente, je les corrige avant de les présenter à des éditeurs. J'ai des collègues qui ne font pas ça, simplement parce qu'elles n’ont pas le temps et que ce n’est pas la partie qui les intéresse le plus. Elles ne prennent que des textes qui sont déjà prêts à être présentés à des éditeurs. Moi, j'aime justement cette partie : améliorer le texte jusqu'à ce qu'il soit au maximum de son potentiel. C'est quelque chose que je fais mais tous les agents ne le font pas. C’est une question à poser à des agents potentiels.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que le fait que tu aies cette compétence en plus influe sur la commission que tu vas récupérer ?
[Elisa Huot] Je touche autant. La commission ne change pas. J'ai des auteurs pour lesquels j'ai vendu leurs livres alors que j'ai travaillé deux heures dessus, puisqu'ils se sont vendus quasiment tous seuls. Il y en a d’autres sur lesquels j'ai passé deux cents heures au total en correction et en présentation à des éditeurs. Le premier m'a rapporté beaucoup, le deuxième, avec ses deux cents heures de travail, ne m'a rien rapporté du tout puisqu'on ne l'a jamais vendu. La commission ne dépend absolument pas du travail que l’on fait. Elle est complètement fixe.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Et toi, Aliette, est-ce que tu as une préférence entre une agence qui te fait des corrections ou un éditeur qui te propose une correction pour coller à sa ligne éditoriale ?
[Aliette de Bodard] Non. Avec mon agence - là je suis quand même dans un schéma qui est bien établi, avec une carrière qui est déjà bien établie - les livres que l’on essaie de proposer généralement, elle les soumet directement voire on vend sur ce qu'on appelle un “proposal”, c'est-à-dire un synopsis et trois chapitres au lieu du manuscrit complet sur lequel ils jettent un rapide coup d'œil. On s’arrête là parce que j'ai déjà cette reconnaissance, j'ai déjà une carrière qui existe et globalement on sait dans le milieu que je vais être capable d'écrire un livre et que les corrections éditoriales vont être suffisantes. Les premiers livres que j'ai vendus pour le coup, mon agent avait regardé, m'avait fait des commentaires et des corrections avant qu'ils soient soumis. Pareil, je sais qu'on a eu un livre qui était sorti mais qui ne se vendait pas donc il avait de nouveau regardé pour voir s’il y avait des modifications qui étaient possibles pour essayer de mieux le présenter à d'autres maisons d'édition. Après, les corrections éditoriales sont plus ou moins constantes. Ça dépend franchement du style de l'éditeur, de ce qu’il veut faire et de ce que je suis prête à faire. Je sais que quand j'avais vendu La Chute de la Maison Flèches d'Argent, donc The House of Shattered Wings, en Angleterre, ils m'avaient demandé d'enlever toute une partie et j’ai dit : “Non, je ne veux pas enlever cette partie-là mais je comprends que ça vous pose un problème.” On a donc discuté pour savoir comment l’on pouvait faire pour garder la partie et résoudre leur problème en même temps. C'est vraiment une approche collaborative. Ce n’est pas : “Si vous ne faîtes pas ça, on ne va pas acheter le livre.”
[Pierre-Marie Soncarrieu] Sur ta partie auto-édition, je parle plutôt sur le marché américain, est-ce que tu as de la correction à faire ? Est-ce que tu as un schéma correctif ou tu proposes un texte qui va être apprécié et ce sont les agences qui te disent si ça va ou pas ?
[Aliette de Bodard] Quand je fais de l'auto-édition, les agences ne me disent pas si ça va ou pas parce que, comme j’amène le budget de la couverture, leur avance de frais est minimale. Si ça ne marche pas, ça ne marche pas. C’est l’avantage. Il n’y a pas beaucoup d'investissements en “upfront” sur des choses comme ça. Du coup, c'est plus moi qui vais démarcher des lecteurs que je connais, je leur demande ce qu’ils en pensent, s’ils pensent que ça peut marcher, s’ils ont des corrections à suggérer. Ensuite, on va rentrer plus dans un schéma de correction micro de ce qu'on appelle les “copy edit”. Je ne sais pas ce qui est l’équivalent des “copy editing” en français. Ça n’existe pas ? D'accord. [Rires] On va peut-être expliquer ce qu’est un “copy editing” pour commencer. Alors, en Angleterre et aux Etats-Unis, quand je présente un texte même après l’avoir vendu, pour partir en production donc à l'impression, il va d'abord y avoir un, deux, trois, ou plusieurs rounds de ce qu'on appelle les “edit”. Ce sont des corrections éditoriales qui peuvent être assez lourdes. C’est par exemple restructurer tout le dernier tiers car ça ne marche pas du tout. Une fois que le texte est à peu près figé, on va avoir ce qu'on appelle les “copy edit”. Ce sont des corrections de grammaire, de cohérence interne comme par exemple se dire que : “tiens, machin avait les yeux bleus au chapitre cinq. C’est marrant, ils ont changé de couleur. Est-ce normal ?” ou encore, “Il s’est levé deux fois dans le chapitre”, ou “Au chapitre précédent, tu sais qu’il s’était fait poignarder ? Parce qu’il m’a l’air un peu vaillant quand même !”. C’est ce genre de problèmes de cohérence narrative interne relativement mineures ou des corrections grammaticales. Par exemple, l’éditeur demande : “T’es sûre que tu veux une phrase qui fasse un paragraphe entier ? Parce que c’est un peu osé quand même” ou me dire que sur les point-virgules, il faut que j’y aille mollo. C’est mon truc préféré, j’adore les points virgules. Mes copy éditeurs me détestent. Ils passent leur temps à les enlever. [Rires] Donc ça c’est la partie copy edit, puis il y a la partie qui se rapproche le plus des preuves : les “proof”. Le texte est mis en page. Je dois relire la mise en page pour vérifier qu’il n’y a pas d’erreurs. Un ou plusieurs relecteurs des preuves vont aussi vérifier qu’il n’y a pas de faute. Généralement, il y a plusieurs rounds de ce processus, deux voire trois, mais ça dépend des maisons d'édition. Je fais la partie correction éditoriale en auto-édition avec des lecteurs qui me relisent et qui me font des commentaires pour que je puisse re-structurer le texte. Je fais une partie “copy edit” et/ou “proof reading” pour faire à la fois des corrections grammaticales donc vérifier qu'il n’y a pas de faute de frappe et à la fois des corrections de cohérence donc que “machin” ne s'est pas levé deux fois dans le même chapitre.
[Pierre-Marie Soncarrieu] C’est donc vraiment une réduction du coût de la part de l’éditeur puisque tu es seule avec tes lecteurs. Un sujet un petit peu épineux, celui des trigger warnings. Où est-ce que ça se passe dans la partie traditionnelle classique ? Est-ce que la maison d’édition fait appel ou est-ce que c’est l’auteur ? Est-ce que c'est une convention ?
[Elisa Huot] En général, quand j'ai eu affaire à ça, ce sont les auteurs eux-mêmes qui le mentionnaient. Ça arrive des fois qu’ils ne soient pas spécialement conscients de tout ce qu’ils mettent non plus dans leurs livres et qu’ils ne soient pas conscients qu'il faut rajouter des trigger warnings.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Avant tout, est-ce que tu peux expliquer ce que c'est pour ceux qui ne le savent pas ?
[Elisa Huot] Vous pouvez le trouver au début du livre voire même des fois sur la quatrième de couverture. Ça sert à informer sur ce que l’on va trouver dans le livre par exemple de l’inceste, la mort d’un animal, des choses qui peuvent être assez violentes pour le lecteur si vous tombez dessus par hasard. Du coup, l'éditeur remarque qu'il faudrait ajouter des trigger warnings. Il y en a qui sont assez pointilleux, où le moindre truc il faut le rajouter. Il y en a qui s'en fichent un peu, qui pour eux, si l'auteur ne les met pas, ils ne les mettront pas. Ça dépend vraiment de l'éditeur et ça dépend de sur qui on tombe.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Même question pour les “sensitivity readers” ?
[Elisa Huot] Les “sensitivity readers” sont des personnes à qui on fait appel pour vérifier que le texte ne heurterait pas la sensibilité des personnes qui sont concernées par un livre. En général, ce sont les éditeurs qui font appel à des “sensitivity readers” parce que eux-mêmes ne sont pas forcément concernés par l'histoire donc ne pourraient pas être à même de dire si tout convient ou pas. Ils ont des “sensitivity readers” à disposition pour à peu près tout et ils font appel à eux quand c’est nécessaire.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Mais, est-ce que c'est quelque chose qui se fait assez facilement, qui est plutôt répandu, ou c'est juste quelques maisons d'édition ?
[Elisa Huot] Plutôt les grandes quand même. Si jamais la maison d'édition ne fait pas appel à un lecteur de ce type et que, à la sortie du livre, on remarque qu’il y a des choses qui ne fonctionnent pas, ça va très mal se passer pour elle et pour les ventes du livre. Maintenant, ils ont vraiment tout intérêt à s'assurer que tout est “nickel” avant de l'envoyer donc c'est de plus en plus répandu.
[Pierre-Marie Soncarrieu] C'est quelque chose qui est à l'initiative des maisons d'édition, donc ni de l'agence, ni de l'auteur.
[Elisa Huot] Oui, ce sont les maisons d'édition puisque l'auteur en général est concerné par l'histoire donc tout va bien, et l'agence elle-même n’est pas du tout responsable de ça. Elles voudront s'assurer que tout convient. Certains auteurs, quand ils écrivent un personnage secondaire par exemple avec qui ils ne s'identifient pas, vont faire appel eux-mêmes mais c'est beaucoup plus rare.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce que tu fais appel à des “sensitivity readers”, Aliette ?
[Aliette de Bodard] Ça dépend. J’ai des projets sur lesquels je fais appel à eux parce que je ne suis pas spécialiste. Quand j’ai écrit The Red Scholar’s Wake, qui est, pour simplifier, un space opera qui se basait sur des conventions vietnamiennes, j'ai beaucoup utilisé ce qu'on appelle du “sino vietnamien” qui est du vietnamien archaïque parlé à l'époque de l'empire vietnamien. C'est un peu comme parler latin si vous voulez et je n’ai pas de connaissances en latin. [Rires] J’ai donc demandé à quelqu'un de relire tous les noms que j'avais donné aux personnages pour vérifier que je n'avais pas appelé quelqu'un “banane de quelque chose” ou un truc hilarant sans le faire exprès. Puis, il y a des trucs pour lesquels je ne suis pas du tout concernée. J’ai écrit In the Vanishers’ Palace qui est de la science-fantasy où le personnage principal est médecin et a pas mal à gérer des questions de maladies ou de handicap. J'avais des personnages non-binaires dedans donc j’ai demandé à quelqu'un de faire la relecture pour tout ça, histoire de m'assurer de ne pas véhiculer des représentations qui pourraient être clichées, complètement fausses et trop éculées.
[Pierre-Marie Soncarrieu] C'est quelque chose qui est de ton initiative. Ce n’est pas de la maison d'édition. Du coup, pour tout ce qui est auto-édition, il y a cette relecture qui se fait en même temps que tes bêta lectures par tes lecteurs.
[Aliette de Bodard] Soit en même temps, soit après. Pour le sino vietnamien, je l'avais fait après parce que j'avais attendu que le manuscrit soit bien sec et d'être sûre qu'il n'y aurait pas trois personnages différents qui allaient arriver, ou que certains des noms étaient symboliquement importants et donc si l'arc ou l'intrigue liés au personnage changeaient, le symbolisme ne serait peut-être plus forcément d'actualité. Je voulais avoir la peinture métaphoriquement très sèche sur l'échafaudage, mais ça dépend. Après, je ne sais pas si on les appelle des “sensitivity readers” quand je ne les paye pas. Je demande leur avis à des ami·es, en disant : “J'ai ça comme idée. Est-ce que c'est vraiment l'idée la plus foireuse que j'ai jamais eue ?”. Mais, ça fait un minimum de “check”. De la même façon, quand vous écrivez un roman de space opéra, on ne va pas se tromper sur la mécanique orbitale, ce serait bien aussi de ne pas se tromper sur des langues. J’ai des gens qui utilisaient du japonais comme si c'était du vietnamien et qui me parlaient de caractères ou je ne sais quoi pour écrire le vietnamien. Pour information, le vietnamien utilise l'alphabet latin depuis, à peu près, le début du XXème siècle. Juste des choses où, je ne sais pas si c’est du niveau des “sensitivity readers”, mais étant concernée, je me dis que Wikipédia existe quand même !
[Pierre-Marie Soncarrieu] Elisa, lorsque tu viens en France et que tu démarches des maisons d'édition, est-ce que ce type de questions sur les “trigger warnings”, “sensitivity readers” joue sur ton approche ?
[Elisa Huot] Pas du tout. On ne m’a jamais posé la question. Je n’en ai jamais vraiment parlé. Dans tous les cas, l’éditeur va lire le livre même si je lui dis qu’il y a des trigger warnings ou ce genre de choses, ça ne lui changera pas spécialement son idée. Je le pitche donc il sait de quoi ça parle. Il le lira et après il estimera si ça lui convient ou pas et si en France il y a besoin de mettre des trigger warning ou pas. Parfois, des éditeurs français ne les mettent pas alors qu'ils y sont aux Etats-Unis et inversement. Ça dépend mais en tout cas, je n’en parle pas.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Et il n’y a aucune cohérence entre l'édition française et anglo-saxonne sur ce type de question ?
[Elisa Huot] Certains les reprennent mais c'est très rare. Je n'ai jamais eu de cas où ils copiaient-collaient les trigger warnings.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Est-ce qu'on pourrait dire - mais là j’y vais avec mes gros sabots - que le marché anglo-saxon est plus précautionneux que le marché français sur la littérature ?
[Elisa Huot] Pour l'instant, je pense oui. En l'état actuel des choses, oui complètement.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Un avis sur la question Aliette ?
[Aliette de Bodard] Le même qu’Elisa ! [Rires] Il y a des discussions aussi sur la représentativité et la place des concerné·es sur le marché qui n’ont absolument pas lieu en France.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Merci ! Le temps file. On va passer au mot de la fin et surtout aux questions du public.
[Public - Personne 1] Merci. J'aurais une question pour madame Huot, mais avant j’aimerai rectifier une petite chose comme je travaille dans l’édition. Vous avez parlé de taux de cinq pourcents. En France, ce n’est pas ça, au cas où, pour les personnes qui voudraient écrire aussi. Je travaille avec plusieurs maisons d’édition, j’ai moi-même été éditée par les maisons traditionnelles. On est autour de huit / dix pourcents. C'est la fourchette de base. Après ça peut monter jusqu'à douze, rarement plus. C’est juste pour vous rassurer. Effectivement dans le secteur jeunesse, on est moins. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi.
[Aliette de Bodard] Les éditeurs utilisent pas mal l’excuse que lorsqu’il y a des illustrations, ils divisent le coût par deux : une moitié pour l'illustrateur, une moitié pour l'auteur. Sauf qu’ils l'utilisent aussi quand il n’y a plus d'illustrations donc pour les livres huit / douze ans.
[Public - Personne 1] C’est une explication qui ne tient pas parce que moi, je suis dans le secteur BD notamment et, bref. J’avais une question : Combien de manuscrits recevez-vous par an et quels sont vos critères de sélection finalement ? Est-ce que la subjectivité rentre vraiment en ligne de compte ou est-ce que vous essayez de vous adapter au maximum au marché français de ce que vous en savez ?
[Elisa Huot] Donc pour la France ?
[Public - Personne 1] Pour la France. Puis après, pour les autres pays.
[Elisa Huot] C’est carrément objectif pour la France puisque les agents ne sont pas encore très répandus, je veux être sûre que le fait d'être représenté par un agent ne mette pas une épine dans le pied de l’auteur. Je veux donc être sûre que je vais pouvoir lui apporter quelque chose. C’est au-delà de si le manuscrit me plaît. C’est aussi si ça aiderait l’auteur·e de m’avoir à ses côtés. Pour l’instant, on a seulement eu une année complète avec l'agence française ouverte. J'ai reçu une centaine de manuscrits. J'en ai signé un et je suis en discussion avec quatre / cinq autres, donc en réflexion encore. En France, c’est très objectif. Pour les Etats-Unis, je reçois entre trois cents et quatre cents manuscrits par mois donc je suis obligé d'être très subjective donc je prends ce qui me plaît, en me demandant quand même toujours si je vais pouvoir le vendre bien sûr. Mais c'est beaucoup plus subjectif.
[Public - Personne 2] J'ai une question toujours par rapport au rôle d'agent, désolé·e. Vous dites que vous représentez des auteurs qui sont déjà installés en récupérant des manuscrits ce qui veut dire, j'imagine, que vous avez des partenariats avec certaines maisons d'édition, ou en tout cas des contacts privilégiés avec certaines maisons d'édition. Est-ce que vous évaluer l'impact de l'intermédiaire agent sur la non résurgence d'auteurs nouveaux ? Quel est l’impact pour les premiers auteurs du coup avec cet intermédiaire ?
[Elisa Huot] Alors l'idée, ce que j'espère en tout cas, c'est que dans quelques années justement ce rôle d'agent puisse évoluer et puisse copier celui qu'on a aux Etats-Unis, c'est-à-dire de découvrir de nouveaux auteurs et de permettre à de nouveaux auteurs d'émerger sur la scène éditoriale française. Aujourd'hui, je pense qu'on est dans une étape de transition donc pour l'instant l'agent ne va pas aider sur grand chose un primo auteur je pense, à moins qu’il le découvre et décide de tenter quand même, mais à l'avenir je l'espère. Pour l'instant, je ne vois pas du tout ça comme ça. La différence que ça fait est qu'effectivement, j'ai des contacts directs donc au lieu d'être évalué par le comité de lecture puis de passer par plusieurs personnes, c'est directement la personne en charge qui lit le manuscrit que je présente. Ça permet à l'auteur d'avoir une réponse beaucoup plus rapide, directe, et d'avoir une réponse tout court aussi souvent. Pour l'instant non, je ne vois pas ça comme ça.
[Public - Personne 3] La question que je me posais c'est, avec trois voire quatre cents manuscrits par mois, est-ce que le choix se fait, comme décrivait Aliette, sur un synopsis et trois chapitres ?
[Elisa Huot] Pour m'envoyer un manuscrit aux Etats-Unis, on a des formulaires ce qui est très pratique. En fait, on demande ce qu'on appelle une “query letter” donc un pitch assez rapide, une mini biographie. Souvent, juste avec le pitch on peut savoir si ça nous plaira ou pas. On peut aussi écrémer parce qu' il y a beaucoup d’auteurs qui ne sont pas du tout prêts à être édités ou qu'on ne fait aucune recherche. Moi ce que je représente est très clair. En termes de demande, on peut demander le nombre de mots. Aux Etats-Unis, on fonctionne en mots. Des fois, on nous propose des projets avec deux millions de mots. On n'accepte rien en général au dessus de cent milles donc deux millions c'est juste impossible. Il y a plus d'un tiers des manuscrits que je refuse comme ça sans même lire la première page. Dans ce formulaire, moi je demande les cinq premières pages. Au début, je lis le pitch. Si le pitch me plaît, je lis le début des pages. Si le style d'écriture me plaît, je demande à lire le manuscrit complet. Mais sur les trois cents, quatre cents par mois, je demande entre quinze et vingt manuscrits complets par mois. Ce qui est déjà beaucoup. La plupart de mes collègues en demandent beaucoup moins mais ont aussi beaucoup moins de place.
[Public - Personne 4] C'est hyper intéressant ce que vous décrivez je trouve, sur la façon d'aborder le texte. N’avez-vous pas l'impression quand même qu’en vous cantonnant à un pitch de passer à côté d’un texte ? Vous allez me dire que l'auteur doit savoir pitcher mais en imaginant qu’il ne s'est pas bien pitcher et ensuite, demander cinq pages. On est vraiment dans l'ère du fast comme on dit, le départ est très rapide. Est-ce que vous avez l'impression de passer à côté de texte ?
[Elisa Huot] Si je pense. Je pense que c'est inévitable. On passe forcément à côté de textes. Malheureusement on ne peut pas faire autrement parce qu'avec trois cents, quatre cents manuscrits par mois et que les “query” que je reçois - les nouveaux auteurs - c'est la dernière chose à faire dans ma liste parce que la priorité c'est toujours les auteurs que je représente déjà. C'est quelque chose qu'on fait quand on a le temps. On n'est pas non plus payé pour ce genre de choses. Les trois cents, quatre cents auteurs que je ne représenterai pas dans le mois, je ne recevrai pas un centime pour les manuscrits que j'ai lu, même en entier. On est obligé de prendre une décision d'une façon ou d'une autre. Malheureusement, c'est la façon la plus efficace de le faire quand même. Je ne pense pas qu'on passe à côté de beaucoup de pépites non plus, ou en tout cas de textes qui ne demandent pas beaucoup de travail mais malheureusement je suis sûre que je suis déjà passée à côté de textes. Je ne sais pas comment faire autrement, je ne pense pas que ce soit possible. Il y a des textes pour lesquels on fait une offre à l'auteur parce qu’on aime son texte mais qui choisit un autre agent et puis, trois semaines après, on voit que le livre s'est vendu aux enchères pour une avance à six chiffres. C'est extrêmement frustrant. Ça arrive tous les deux mois mais c'est le jeu. Dans l’autre sens, ça arrive aussi. Mais oui, ça arrive très souvent.
[Pierre-Marie Soncarrieu] Une question pour Aliette de Bodard. Est-ce qu'il y a une raison particulière pour laquelle tes textes en auto-édition ne sont pas traduits en France ?
[Aliette de Bodard] J'ai envie dire, il manque un éditeur ! A priori mon agence les traitent comme des textes qu’ils proposent à des éditeurs en France donc ce n’est pas du tout un manque de volonté. Avis aux éditeurs, si ça vous intéresse !
[Pierre-Marie Soncarrieu] En deuxième partie, tu parlais de “blacklist”, que ça correspondait au format.
[Elisa Huot] Backlist.
[Aliette de Bodard] Non, backlist, pas blacklist. [Rires] En backlist, ce sont des textes un peu vieux c'est tout.
[Elisa Huot] C'est quelque chose qui est vraiment très répandu là-bas. Une fois que votre texte a plus d'un an et demi, deux ans, il est dans la backlist. Ces projets, on me les présente comme des projets qui peuvent se vendre pour quelques centaines d'euros d'avance en France. Ce sont des projets qui, au bout d'un an et demi pour les américains, à moins que ce soient des best-sellers, sont en backlist et sont quasi morts.
[Aliette de Bodard] Par contre, en auto-édition, j’ai une “long tail” absolument phénoménale sur ce genre de textes. Par exemple, In the Vanishers’ Palace continue à se vendre hyper bien tous les mois juste parce que les gens se passent le mot.
[Elisa Huot] C’est la grosse différence.
[Aliette de Bodard] C'est la grosse différence avec l'auto-édition puisqu'il est toujours disponible sur Amazon, il est toujours commandable. Je n’en vends pas des centaines et des milliers tous les mois mais ça fait quand même une grosse différence financière dans l'année, et il y a la librairie du festival aussi !
[Pierre-Marie Soncarrieu] On va pouvoir clôturer cette table ronde. Merci beaucoup à ces deux intervenantes qui ont pu vous présenter le marché anglo-saxon. Je pense qu’on peut les applaudir.
[Applaudissements]
[Elisa Huot] Merci !
[Aliette de Bodard] Merci !