Deux auteurs débattent de la façon dont, dans leurs fictions, ils se servent de l’Histoire pour donner corps à leurs histoires.

Transcription de l'épisode

Voix Off :

  • Les conférences de l'Ouest Hurlant, le festival des cultures de l'imaginaire...

Introduction

Modérateur :

  • Bienvenue. C'est la première conférence, enfin la première table ronde… La première table CARRÉE du festival L'Ouest Hurlant grand public. J'ai une petite incise : hier on avait des journées scolaires et universitaires, qui se sont très bien passées. Merci Lionel ! Lionel en était le parrain, Estelle Faye en était la marraine et donc c'était à l'université Rennes 2. Maintenant on est sur autre chose, on est sur des journées grand public. Moi je suis ravi d'animer cette table ronde. A priori vous devez connaître les deux impétrants, mais néanmoins je vais quand même leur permettre de se présenter à leur manière.

Adrien Tomas :

  • Bonjour, je suis Adrien Tomas. Je suis écrivain de fantasy, fantastique, jeunesse… enfin tous les mauvais genres du coup. Et je suis écrivain depuis 2011. Je vis de ma plume depuis 2017, et avant je travaillais dans les parcs zoologiques avec les animaux et crocodiles tout ça... [rires]

Lionel Davoust :

  • Bonjour je suis Lionel Davoust. Étonnamment j'ai aussi bossé dans les parcs zoologiques ! Et donc j'ai un peu roulé ma bosse dans l'édition. J'ai fait beaucoup de traduction, de l'éditorial mais surtout de l'écriture. En gros, je fais ça à plein temps depuis 2011-2012. Un peu thriller, surtout fantasy matinée de SF… Même moi je ne sais pas trop !

Modérateur :

  • Et tu participes également à un podcast qui s'appelle Procrastination. Tu peux peut-être en dire un mot pour celles et ceux qui ne connaissent pas.

Lionel :

  • Alors je vais essayer de vous la faire courte mais, quand j'ai commencé à vouloir écrire sérieusement, c'est-à-dire pétri d'idéalisme à 21 ans, en ayant tout juste fini mes études et en ne me rend pas compte que la route serait un tout petit peu plus longue que ça… J'ai toujours été convaincu, ce qui est un truc qui a quand même fait son chemin en France, mais à l'époque c'était vraiment pas aussi évident que ça. J'ai toujours été convaincu… De ce qui était très naturel dans le monde anglophone, notamment chez les Américains. Qui est que : L'écriture c'est aussi une technique. C'est pas juste "Je vais sur la falaise battue par les flots être frappé par le génie, et revenir chez moi et écrire ça va être génial". C'est comme en musique, comme en dessin, comme dans tous les arts : il y a une technique aussi quoi. Et, pour moi, pour arriver plus vite et de façon moins douloureuse aux résultats qui me plaisaient, j'ai beaucoup bossé cette technique là et exploré ces trucs là. Ce qui va forcément après déborder vers la psychologie de la créativité, de la productivité etc. Bah l'étape d'après naturelle c'était finalement aussi d'en parler, de transmettre le truc en disant "ben j'ai pu apprendre des machins". Voilà donc avec Estelle Faye et Mélanie Fazi on a le podcast Procrastination qui va fêter sa 7ème année. Qui est donc 15 minutes d'écriture tous les 15 jours. Qui est en fait une formule reprise d'un podcast américain, qui s'appelle Writing Excuses, avec leur bénédiction.

Modérateur :

  • Donc pas d'écrivain maudit dans cette salle ?

Adrien :

  • Je suis complètement d'accord avec Lionel. Pour le coup, moi j'ai un fonctionnement un peu plus "boîte noire". C'est à dire j'ai beaucoup de mal à conceptualiser ma manière d'écrire, mais je sais que c'est un fonctionnement qui est technique et issu de l'expérience et qui s'affine au fil du temps et au fil de ce qu'on de ce qu'on fait, en fait. Donc je suis aussi convaincu que, contrairement à ce que certains écrivains/écrivaines disent, c'est pas de la magie, c'est pas une muse qui te souffle à ton oreille, c'est du taf. C'est du travail. C'est avancer dans son métier en fait ! Je n'écris plus maintenant de la même manière que j'écrivais il y a 10 ans et je sais que j'ai évolué sur certains points. Alors je disais : j'ai une boîte noire. C'est que j'arrive pas à chercher le concept, à le creuser, à savoir comment je fais pour écrire. Mais je sais que je le fais comme ça. En fait, je sais que je suis pas mystérieusement touché par la grâce. A mon avis ça n'existe pas et c'est beaucoup de posture pour ceux qui prétendent que c'est ça… Après peut-être que ça existe dans certains cas. J'en sais rien... On sait jamais mais moi, je demande encore à ce qu'on me le prouve.

Lionel :

  • Là dessus, je crois que c'est Fitzgerald qui disait à "Mais comment est-ce que vous faites pour avoir l'inspiration ?". Il fait "Moi j'ai beaucoup de chance, je mets tous les jours à travailler à 9h et là l'inspiration arrive !"

1) Votre vision de l’Histoire

Modérateur :

  • Alors notre thème de ce matin c'est : Comment détourner l'Histoire dans ses histoires ? Si vous avez bien lu le programme cette Histoire à détourner, elle a un grand H. Donc ma première question, elle va être sur ce point là : Quelle est votre approche de la matière historique ? Est-ce que c'est quelque chose que vous conceptualisez ? Est-ce que vous avez un background universitaire éventuellement par rapport à ça ? Et derrière du coup, cette histoire avec un grand H, quelle est votre focale par rapport à elle?

Adrien :

  • Alors moi j'ai un background universitaire de biologie. Je pense que toi aussi ? Du coup la seule histoire que j'ai étudiée, un peu de manière intensive, c'est l'histoire des sciences. Ce qui m'a donné plutôt une approche de recherche d'objectivité en fait. C'est à dire que, contrairement à ce qu'on croit, l'histoire telle qu'elle est racontée, elle n'est pas totalement objective. Parce qu'elle est forcément un minimum influencée par les historiens qui la racontent. Il y a beaucoup de parties de l'histoire qui sont revues, et revues, et re-revues tous les ans, parce qu'on fait des nouvelles découvertes. Et parce qu'on éjecte des éléments qui sont très subjectifs en fait, qui dépendaient de la manière des historiens de le montrer. C'est quelque chose que j'ai conceptualisé dans mes premiers romans de fantasy. Il y avait une sorte d'espèce absolument neutre qui a été chargée de consigner l'histoire de manière ultra objective, en fait. C'est un fantasme absolu ! C'est-à-dire que c'est… À mon sens c'est pas possible. Mais, en fantasy, je fais ce que je veux. Du coup c'était possible. Mais, à mon avis, ce n'est pas possible de consigner l'histoire de manière parfaitement objective. On est toujours un minimum influencé. On est toujours un minimum biaisé. Et c'est quelque chose que j'ai repéré assez rapidement dans l'histoire de la science, parce qu'on essaie toujours de mettre en avant les réussites scientifiques, les évolutions, les nouvelles choses qui ont été découvertes… Les Darwin, les Einstein etc… On ne montre pas les légions de loosers qui se sont plantés, qui se sont fait péter leur laboratoire à la gueule, qui se sont viandés, qui ont formulé des hypothèses complètement fausses… Mais qui ont permis en formulant ces hypothèses fausses, d'évacuer des erreurs et d'arriver à la vérité en fait ! Et pour moi l'histoire à la base c'est ça. C'est une sorte de recherche de la vérité la plus objective possible, tout en sachant qu'on n'arrivera jamais à une objectivité parfaite.

Lionel :

  • Entièrement d'accord avec toi sur justement l'aspect "mouvant". Ce qui est fascinant aussi c'est que : quand on fait des découvertes, comme tu le dis, on reprend, on réévalue nos connaissances. Finalement, ça revient au fait de dire qu'à chaque fois qu'on fait une découverte sur le passé, notre présent change. Parce que le récit qui nous amène à l'endroit où nous sommes maintenant n'est plus le même. On se rend compte qu'il était faux. Ce qui est quand même un truc assez vertigineux, je trouve. Et la fantaisie, pour moi, est vraiment un domaine rêvé pour ça. D'une part parce que, comme tu dis, on fait ce qu'on veut. Et aussi parce que parmi les grands "tropes", c'est-à-dire les grandes caractéristiques narratives ou de décor d'un genre, il y en a un que moi j'aime beaucoup… Alors c'est surtout les Américains qui l'ont théorisé, donc c'est là ce qu'on appelle en anglais la "time abyss", on va dire l'abîme temporelle. C'est un truc qui est assez fréquemment utilisé en fantasy. Parce qu'un monde de fantasy souvent... il y a un espèce de mise en perspective ou de mise en abyme temporelle. Vous avez fréquemment fantaisie des trucs : "Nous en sommes aujourd'hui comme ça parce que X siècle, 5000 ans plus tôt, il s'est passé tel truc, tel cataclysme, tel machin… Qu'on découvre et qui vient nous expliquer, qui vient nous éclairer la situation." Ce qui est une dynamique évidemment qui est historique et qui déborde vers le mythique. Et à la base ce truc là vient comme une révélation. Par exemple dans Tolkien, il n'y a pas vraiment de remise en cause de la dynamique historique. C'est plus Gandalf qui va dire [voix de vieillard] "Oui, mais parce que 2000 ans plus tôt il s'est passé telle chose" [rires] Et du coup ce qui m'amusait dans Les Dieux sauvages et ce qui m'amuse dans mon boulot autour de l'univers d'Evanégyre, où s'inscrit Les Dieux sauvages, c'est de s'emparer vraiment de ce truc là et de le travailler de l'intérieur. C'est de voir : "Ok, comment vraiment mettre en scène cet abîme temporel ?" Et comment est-ce qu'une dynamique historique ou mythique va se construire ? Souvent, enfin toujours, parce que sinon c'est pas drôle, narrativement de manière complètement biaisée, et de partager ce plaisir là avec le lecteur ou lectrice. En disant avec une espèce de complicité : "Toi tu sais ce qui s'est passé parce que tu étais là. Tu as vu les événements… Et ben voilà ce que les gens en ont gardé. Et voilà comment ça s'est construit." Ce qui est un jeu assez rigolo de complicité aussi avec le lectorat.

2) Comment l’histoire intervient dans vos récit ?

Modérateur :

  • Et du coup la question qui nous est posée là par Xavier Dolo, le directeur artistique : Comment détourner les histoires ? J'ai l'impression que, en tout cas toi, à travers par exemple Les dieux sauvages, le monde d'Evanégyre, qui est un monde secondaire, un monde créé de toutes pièces à partir d'éléments historiques, culturels, d'inventions personnelles... Et toi, par exemple, Adrien avec Notre Dame des loups… Je prends cet exemple là, qui lui s'inscrit dans l'Amérique du début du 19e siècle de mémoire. Je l'ai plus exactement en tête... du milieu du 19e siècle ! Vous ne détournez pas l'histoire de la même manière… Donc ce détournement pour vous ? Vous l'aborderiez comme on détourne un fleuve ou comme quelque chose de machiavélique en fait ? Où on cherche à détourner et à dire des choses sans les dire directement ?

Adrien :

  • Alors dans mon cas, dans Notre Dame des loups, c'est pas vraiment une réécriture de l'Histoire. En fait c'est l'intégration d'éléments fantastiques dans l'Histoire telle qu'elle s'est passée. C'est-à-dire... C'est la définition même du fantastique. C'est qu'il y a des événements surnaturels et perturbants qui arrivent et qui interviennent dans notre quotidien. Sauf que là le quotidien, il est en 1868 ! Donc en gros la thématique : c'est des cowboys qui se mettent à chasser la reine des loups-garous dans le grand nord américain. Sachant que ça reprend... En fait, ça reprend un certain nombre de codes du fantastique. C'est à dire que l'immense majorité de la population n'est pas au courant de l'existence des loups-garous, et encore moins, de l'existence de Notre Dame des loups. C'est à dire qu'à part les personnages principaux qui sont des chasseurs, qui sont là pour lui faire la peau, le reste du monde vit l'Histoire telle qu'elle s'est effectivement déroulée en fait. Donc c'est une sorte d'incise au sein de l'Histoire qui reprend quand même toutes les informations historiques que j'ai trouvées sur la période et que j'essaie, là encore, de montrer de la manière la plus objective possible. De montrer que les cowboys, qu'on voit comme une image romantique... En fait c'est pas si romantique que ça ! Que c'était un métier de merde et très prenant. Et qui demandait beaucoup, beaucoup d'investissements pour très très peu d'argent. Et qui était vraiment un métier pourri. De montrer que l'esclavage, qui venait tout juste d'être aboli suite à la guerre civile, enfin… C'est pas la guerre civile, c'est la guerre de sécession ! C'est ça ! Ça fait 7 ans que j'ai écrit j'ai une excuse. [rires] De montrer qu'il y avait encore un bon paquet de relents de racisme, vis-à-vis des noirs, et vis-à-vis des natifs. Donc en fait c'est une manière de montrer, autant que possible, la réalité historique, qu'il y avait effectivement en ce moment-là. Tout en intégrant des parties fantastiques, qui remettent en question ces éléments là en fait.

Lionel :

  • Alors, sur l'histoire. Si on part du principe que la fantaisie, en gros, extrapole une certaine pensée mythique ou magique, comme l'a très bien abordé Adrien tout à l'heure. L'histoire aussi est toujours un récit, et donc elle amène ses propres mythes. On a plein de mythes historiques. Si vous regardez par exemple Gladiator, l'Empire romain qui nous est dépeint est très joli très... mais c'est un fantasme. Il y a beaucoup de choses qui sont pas comme ça… Et donc moi ce qui m'intéresse dans le travail, par rapport à la fantasy, donc la fantasy qui va extrapoler, qui va jouer, qui va se replonger avec une certaine forme de pensée mythique… Moi ce qui m'intéresse c'est le mythe historique justement, plus que le fait historique lui-même. Et dans Les Dieux sauvages, je joue avec Jeanne d'Arc, mais c'est pas Jeanne d'Arc. C'est une jeune femme qui s'appelle Mériane. C'est pas en France… Elle est pas du tout croyante pour deux sous. Mais je m'approprie le motif de l'élue entendant Dieu lui parler dans sa tête. Et en fait ce qui m'intéresse là dedans, c'est le mythe qu'on a gardé. Pourquoi Jeanne d'Arc par exemple ? On a gardé Jeanne d'Arc en France mais c'est pas la seule prophétesse qui a fait des trucs dans l'histoire de France… Des jeunes femmes qui se sont proclamées élues de Dieu, pour aller mener les Français vers la victoire, il y en a eu plusieurs. Pourquoi on a retenu celle-là ? Alors, entre autres, ça s'explique par un certain besoin de construire, reconstruire un roman historique, au sens roman national. Au 19e par exemple où il y a certains auteurs qui se sont appropriés cette figure là, qui l'ont remise sur le devant de la scène. Qu'est-ce qui fait... Pourquoi on a pris celle là ? Qu'est-ce qui fait que dans cette figure là, il y a des choses qui ont frappé le l'inconscient collectif ? Et qui fait que on l'a retenue ? Donc ouais ce qui m'intéresse c'est la dimension mythique de l'histoire. Cette mythologie là et comment est-ce qu'elle se construit. Et surtout, évidemment, l'interroger, la battre en brèche, jouer avec… Enfin je veux dire : je ne pouvais pas résister au plaisir de m'approprier la figure de Jeanne d'Arc et d'en profiter pour donner quelques gros, gros coups de canif dans certaines appropriations peu savoureuses qui en sont faites aujourd'hui.

3) Essayez-vous de faire passer des messages ?

Modérateur :

  • Alors l'analogie avec Gladiator est intéressante, parce que Gladiator c'est le premier péplum de l'histoire du cinéma américain qui dit du bien de l'Empire.Il n'y en a pas un seul avant qu'il dit bien de l'Empire. Et c'est pas étonnant puisque c'est l'époque où, après l'effondrement de l'empire soviétique, les États-Unis théorisent l'hyperpuissance. Et donc l'Empire c'est bien. Alors qu'avant ça n'était pas bien. Donc il y a une approche qui est là, on va dire de propagande, à travers le film. Loin de moi l'idée de dire que tu vas faire de la propagande à travers tes romans ou Adrien aussi… Mais aborder un mythe pour l'aborder, est-ce seulement ça ? Aborder une histoire, une période historique pour créer un cadre est-ce seulement ça ? Ou est-ce que vous y mettez une attention supplémentaire ?

Lionel :

  • 200% carrément sinon c'est pas drôle ! Alors, c'est toujours difficile, je trouve… Alors, encore une fois ça n'engage que moi. Je trouve toujours difficile… J'aime pas l'idée de messages dans la littérature. Parce qu'on est là pour raconter des HISTOIRES avant toute chose. Orson Scott Card, grand auteur de SF et grand mormon aussi, disait, si ma mémoire est bonne… Alors que pourtant, il a été connu pour ses positions hyper conservatrices, notamment sur la guerre en Irak de Georges W. Bush. Il était à 200% pour ect. Malgré tout, il dit : "Il faut pas mettre un pamphlet dans la fiction, parce que ça fait un mauvais pamphlet et de la mauvaise fiction." Et je trouve qu'il a entièrement raison. Par contre, ce qui est intéressant et que la fiction fait, à mon avis, très bien c'est justement interroger… C'est malaxer, inviter à la barre des points de vue opposés et différents. Ce qu'en fantasy on appelle un roman choral, avec des tas de points de vue. Ça permet de le faire extrêmement bien parce que vous rentrez dans l'univers interne de tout le monde, y compris des salopards le cas échéant, et de voir comment est-ce que ces gens-là fonctionnent, et ensuite de donner cette espèce de grande boîte à outils, tout en passant un bon moment à raconter une histoire au lecteur/lectrice et finalement de dire : "ben le monde c'est de la complexité aussi, et la dynamique historique en particulier". Et donc en regardant comment, en tout cas dans mon cas avec Les Dieux sauvages, en regardant comment est-ce que des gens, qui font ce qu'ils peuvent face à une situation désespérée, à un moment on va construire un mythe parce que bah forcément il y a des récupérations politiques. Mais aussi à un moment le mythe est aussi un outil de défense, un outil, un outil en l'occurrence de propagande, mais quelque part de survie parce que les gens ont besoin de croire à un truc. Parce que sinon ils vont se faire ratiboiser, c'est la fin, c'est la fin de partie. Donc le mythe devient un outil de survie, mais au bout d'un moment, quand la guerre est finie, qu'est-ce qu'on en fait ? Il reste bien là. Donc tout ce genre de choses... Et le simple fait que l'histoire va construire une narration et aussi construire une morale sur les événements alors que dans la réalité des choses, les choses sont beaucoup plus complexes et beaucoup plus troubles, et que souvent aussi il y a des coïncidences, qui sont érigés en messages, qui sont érigés en mythes, qui sont érigés en religion etc.

Adrien :

  • Globalement je suis d'accord avec tout ce que tu dis. Moi je sais que j'ai fait QUE du roman choral, effectivement pour montrer le point de vue d'un maximum de monde, pour essayer de comprendre... Je supporte pas le concept du méchant qui est méchant pour être méchant. Ça me hérisse. Et même les gens qu'on considère comme des sales cons, ils considèrent avoir une bonne raison d'être des sales cons. Et donc j'ai tendance à utiliser le roman choral. Je crois que tous mes romans sont des romans choraux. Il y a aussi le fait que je m'ennuie très vite si je parle toujours avec le même personnage, donc je pense que ça joue aussi sur ma conception du truc. Mais oui, en fait l'histoire, c'est ce que je disais, elle ne peut être objective que si on prend en compte tous les points de vue. Donc raconter une histoire pour moi, c'est avoir la même histoire racontée par plusieurs personnes. Si c'est raconté par une seule personne, c'est pas l'histoire c'est de la propagande. Et donc du coup l'important pour moi c'est effectivement de, ce que tu disais, de poser des questions. Pour moi, effectivement, un roman ne doit pas passer un message. Par contre, il doit poser des questions. Et c'est au lecteur/lectrice de répondre de sa propre manière en fait. Moi j'ai des gens qui sont venus me voir pour me dire qu'ils comprenaient complètement les raisons de tel ou tel méchant, alors que d'autres qui sont venus me voir en disant "C'est un sale con et je suis pas du tout d'accord avec lui." Et les deux on peut les entendre, parce que le principe c'est de raconter des histoires qui permettent d'émettre son avis, d'avoir une opinion et de répondre aux questions qui sont posées. Moi je sais que j'interroge beaucoup, autant que possible sur la politique, sur le féminisme, sur l'environnement, sur l'histoire même, pour dire : "Voilà la question que je vous pose et c'est à vous de dire ce que vous en pensez". Sachant que ça doit pas non plus, passer au dessus l'autre chose importante d'un roman d'imaginaire qu'est la distraction. Il y a rien de mal à se distraire en lisant un bon bouquin d'aventure avec des boules de feu qui volent dans tous les sens. C'est très cool. C'est bien. Tant mieux. Et on peut très bien le lire en passant à côté des questions. Il n'y a rien qui empêche de... Il y a rien qui force les gens à se pencher, de philosopher mille ans sur les questions qui sont soulevées par le roman. On a le droit de juste lire un bon bouquin parce qu'il y a des chevaliers qui se mettent sur la gueule. C'est cool en fait. Et on peut aussi, si on veut, s'interroger sur les raisons qui font que les chevaliers se tapent sur la gueule.

4) Prendre en compte le lecteur dans la façon de raconter

Modérateur :

  • Et donc, il y a différents niveaux de lecture. Il y a différents cadres de lecture et du coup, quand vous écrivez et que vous insérez des éléments historiques, ou que vous faites référence à des éléments historiques, d'ordre mythique par exemple, est-ce que vous pensez à VOS lecteurs ? C'est-à-dire est-ce que vous pensez, est-ce que vous réfléchissez à la manière dont vous arrivez à faire passer… J'imagine que vous vous avez forcément cette question là, au moins ne serait-ce que par la qualité littéraire, le plaisir à lire, etc… Le plaisir à écrire soi-même et donc à transmettre. Est-ce qu'à ce moment-là ou à un autre moment, vous pensez à votre lecteur ? À la manière dont il va pouvoir apprécier les thèmes que vous abordez ? Est-ce que vous construisez en fonction de ça ? Est-ce que vous mettez des petits jalons ou... ? Comment est-ce que vous abordez cette relation au lecteur, pour la compréhension de cette partie de références historiques ?

Adrien :

  • Pour moi, c'est ce qu'on disait tout à l'heure pour moi écrire c'est un métier, donc c'est effectivement… J'ai discuté avec Justine hier justement sur ce sujet c'était marrant : Est-ce que tu écris pour écrire ou est-ce que tu écris pour être lu ? Et écrire pour écrire c'est très cool, c'est une manière d'employer son temps pour faire des choses qui nous éclatent, de décrire ce qu'on a envie de raconter. Écrire pour être lu, c'est pas exactement la même dynamique, parce que forcément on va penser au lecteur, forcément on va penser à la manière d'être compris par notre lecteur, par un maximum de lecteurs. On peut pas plaire à tout le monde. Il y a toujours des gens qui vont pas aimer ce qu'on fait. Et c'est pas grave, c'est ok. Ils ont le droit d'avoir mauvais goût [rires] En fait le fonctionnement c'est ça, c'est qu'on doit penser à notre lecteur et on doit pas forcément toujours le tenir par la main. L'un des premiers trucs que j'ai appris en fantasy, c'est les romans qui commencent par trois chapitres d'exposition sur le monde, l'univers, la religion, les espèces, etc... Ça donne qu'une envie c'est de refermer le bouquin en fait. C'est une encyclopédie. On s'en fout on veut pas le savoir ! Et donc, du coup...

Modérateur :

  • Il n'y a que Tolkien qui peut se le permettre.

Adrien :

  • Et encore... Moi je sais quand je relis Le Seigneur des Anneaux, je passe la première moitié du premier bouquin, toujours. Ça me fatigue ! Donc en gros, le principe c'est que : Oui on va penser au lecteur, parce que l'important quand on écrit pour les autres, c'est que les autres prennent leur pied. Pas que nous on prenne notre pied. C'est bien si on le fait. Tant mieux, c'est cool. Mais c'est notre métier. en fait. C'est à dire que si le matin à 9h, avec notre café on dit "Oh pu***n, j'ai pas envie d'écrire", et ben c'est pas grave on va écrire quand même en fait, parce que c'est notre boulot. Et que notre boulot c'est d'écrire pour les autres. On n'est pas là pour kiffer en fait. Si on kiffe, c'est un bénéfice secondaire ! C'est cool. C'est très bien, tant mieux. On apprécie notre métier, comme tous les gens qui font un métier et qui peuvent l'apprécier. Ou qui des fois ont pas envie de le faire. Mais pour moi on est tous au même niveau. Donc du coup, oui effectivement, je vais mettre des jalons historiques pour que les lecteurs comprennent où je vais. À quoi ressemble l'univers dans lequel j'intègre le truc. Je mets des références généralement plus ou moins connues ou critiques, selon ce que j'ai envie de faire passer. Notre Dame des loups, il y a des références à la bête du Gévaudan qui est globalement… Que tout le monde peut vaguement connaître de quoi ça cause. Et des références aux wendygos qui sont des esprits nord-américains, de la faim. Qui, là demandent un petit peu plus de de connaissances et sinon, bah c'est une occasion de se renseigner dessus en fait. Donc pour moi, c'est comme ça que je le vois. Je mets des jalons, de manière à guider les lecteurs. Parce que quand j'écris, c'est pour les lecteurs.

Modérateur :

  • D'autant plus que, sauf erreur, tu écris également des romans sous licence.

Adrien :

  • Oui j'ai fait deux romans sous licence ces dernières années. Où c'est pas moi qui a inventé l'univers. Donc du coup c'était encore plus intéressant parce que c'était à moi de faire passer les codes d'un univers que je n'ai pas inventé.

Modérateur :

  • Tu peux rappeler quelles licences ?

Adrien :

  • Alors j'ai fait un roman sur Immortal Phoenix Rising, qui est un jeu Ubisoft basé sur la mythologie grecque. Qui est mon kiff absolu, donc j'étais trop content qu'on me propose ça. Et j'ai fait un roman plus historique du coup, sur Assassin's Creed. Sur la licence Assassin's Creed. Qui se base sur les procès en sorcellerie dans le sud-ouest français en 1609. Voilà donc, là encore, je me suis renseigné d'un point de vue historique, pour faire passer les infos historiques qu'il y avait dedans. Tout en laissant place à de l'aventure et des trucs un peu chelous, comme dans Assassin's Creed en fait.

Modérateur :

  • Je te voyais hocher la tête tout à l'heure...

Lionel :

  • Évidemment, entièrement d'accord avec ce que Adrien vient de dire. Et effectivement, sur le fait de se rendre accessible, qui est que : moi je… Alors ça va être extrêmement culturel ce que je vais dire attention. Pour moi le métier d'auteur ou d'autrice c'est comme un DJ en fait. C'est à dire que quand t'est DJ, ton but c'est de faire danser la salle donc c'est que les gens effectivement ils kiffent ! Mais en même temps, si possible, en passant pas des trucs qui te font saigner les oreilles toi. Donc en gros le métier d'écrivain et d'écrivaine, il est à cette intersection là en disant : "Je vais faire le truc qui moi fait plaisir et a du sens, mais je vais faire d'une manière que les gens vont pouvoir apprécier, et s'approprier, et rentrer dedans." Et ça, comme tu l'as très justement rappelé, il y a une grande part de technicité qui va derrière ça, et dans l'exécution. Pour prolonger aussi, je pense que c'est aussi quelque chose qui t'anime beaucoup, sur l'histoire et ce qu'on dit. J'ai un peu truandé tout à l'heure, en disant que je n'aimais pas trop les messages etc. dans les bouquins. Mais en même temps, auteur c'est un métier de truand donc je suis je suis pardonné ! Il y a un concept auquel je réfléchis beaucoup en ce moment qui est que : effectivement on invite, comme on disait tout à l'heure, tous les personnages, tous les points de vue y compris les pires enf*rés à la barre, mais ça veut pas dire… Et c'est pour revenir à ce que tu disais au début, ça ne veut pas dire que… Au bout d'un moment dans l'univers narratif, disons qu'il faut faire… C'est un truc auquel je fais super attention, dans l'écriture et surtout à la correction, c'est à savoir ce que mon travail va véhiculer derrière comme idée. Tu parlais de féminisme... Dans Les Dieux sauvages c'est quand même très ouvertement aussi une critique des religions dogmatiques patriarcales, et des mauvais traitements fait aux femmes par les religions monothéistes depuis la nuit des temps. Il y a un concept, qui est pour moi super important, encore plus de nos jours où on est de plus en plus… On aurait toujours dû y être attentif mais bon, mieux vaut tard que jamais… Et notamment on fait attention à ce que nos œuvres véhiculent, c'est la validation autoriale. C'est-à-dire : qu'est-ce que moi en tant qu'auteur, mon histoire valide et justifie ? Et je dirais pas on prend parti, mais si j'ai un s**part qui fait des choses dégueulasses, il me semble important que les choses soient quand même jalonnées comme telles. Que, au bout d'un moment, il y ai pas une justification de l'horreur parce que déjà, j'ai pas envie qu'on retire ça de mes bouquins. Et j'ai pas envie qu'on retire ça de moi aussi, tout simplement. Et c'est quelque chose auquel je… Donc pour revenir sur ta question qui est : Est-ce qu'on pense au lectorat ? Pour moi c'est important qu'il soit clair ce que je dénonce et ce que je critique, et-ce que je vais questionner, au sens là plutôt "interrogatoire de police". Prendre les religions patriarcales, leur mettre la main dans la tronche et dire vas-y crache ! [rires]

5) Utiliser l’histoire comme justification de thématiques violentes

Modérateur :

  • Alors, il y a un auteur très connu George Martin qui lui utilise, et sur-utilise, et surexploite de très belle manière, enfin chacun appréciera... Je trouve de très belle manière l'histoire, qui aurait certainement une approche différente je pense. Puisqu'il a plutôt tendance à dire : Bah oui je parle de viol parce que les viols ça existait.

Lionel :

  • Je trouve ça facile. Il a raison c'est vrai. C'est vrai que c'était comme ça etc. Donc, présenter certaines exactions et certaines horreurs dans un contexte où elles avaient lieu peut se justifier. Mais je trouve ça un peu facile, parce que la fantasy c'est pas du roman historique. Même s'il existe de la fantasy historique. La fantasy, elle existe, dans l'espace entre notre sensibilité contemporaine, moderne et une représentation mythique ou magique en l'occurrence du moyen-âge. Et c'est par la distance entre ces deux temps que la fantaisie s'insère. C'est là qu'elle existe. Si, évidemment ça marcherait pas comme ça mais, si George Martin ses romans était sortis à l'époque du Moyen- ge, ça serait pas de la fantasy, ça serait du roman point barre. Même si le roman existait pas, enfin vous voyez ce que je veux dire... Mais ça serait considéré comme la réalité contemporaine. Ça n'est pas la nôtre. La fantasy existe parce qu'il y a justement ce pas de côté. Donc on ne peut pas exclure, à mon avis, de la théorisation de la fantaisie le fait qu'il y a aussi un regard moderne, et que notre relation avec toutes ces choses là a changé. Donc le fait de dire : "Oui c'était comme ça donc je vais le présenter brut de décoffrage", c'est faire abstraction du fait que la fantasy est un genre résolument moderne et contemporain, et que donc le fait de se cacher derrière la réalité historique oublie un pan de l'équation. Et ça ne veut pas dire qu'on ne peut pas parler de ces choses là et qu'on ne peut pas le dire. Mais le balancer brut de décoffrage en se dédouanant derrière l'histoire, je trouve que c'est que la moitié de la réponse.

Modérateur :

  • Je vais pousser le bouchon un peu plus loin avant que tu répondes, Adrien. Alexandre Dumas disait cette phrase très célèbre : "On peut violer l'histoire, à condition de lui faire de beaux enfants". Alors je la prends pas pour moi spécifiquement, et puis par viol on peut l'entendre au second, au troisième degré chacun l'entendra comme il voudra. Je mets ça dans ta boîte à idées pour répondre à l'interrogation.

Adrien :

  • Alors moi pour le coup, je suis à la fois 100% et à la fois 50% d'accord avec ce que tu viens de dire. C'est assez bizarre. [rires] Voilà en fait je suis d'accord avec le fait que la fantasy, le fantastique, les littérature de l'imaginaire en général… C'est des genres qui sont modernes et qui doivent interroger le monde de maintenant en fait. C'est à dire que, c'est très mignon de dire "Oui mais à l'époque". Il n'y a pas d'époque en fait ! C'est de la fantasy, donc tu peux pas dire que c'était une époque. C'est pas un roman hostorique en effet, et donc effectivement utiliser le viol pour choquer, pour perturber, pour donner une importance plus ou moins importante à un personnage féminin, ou dire "oh là là elle est résiliente, elle est forte, machin truc..." Toutes ces conneries là ! Je vois pas l'intérêt. Pour moi c'est pas comme ça qu'on doit employer ce genre de thématiques. Ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas l'employer, parce que je pense que c'est quelque chose qui est important. Moi je sais que je l'ai utilisé dans un de mes romans, comme quelque chose de relativement central. Parce que une immense majorité des femmes ont connu, ou vont connaître une agression sexuelle au cours de leur vie. C'est horrible. C'est affreux. Et c'est un truc dont on doit parler en fait. C'est un truc qui est important, qui fait partie des sujets de société, qui font partie des choses qui doivent être abordés. Pas comme des éléments choquants. Pas en montrant graphiquement un viol, parce que "ouh là là faut choquer". Mais pour en parler, pour dire que ça arrive encore en fait. Et c'est toujours aussi dégueulasse, aussi bien que ce soit au Moyen- ge que maintenant ! Et donc du coup c'est quelque chose qui doit être… Alors, pas forcément mis en avant et je peux comprendre aussi que certaines personnes, certaines femmes n'aient juste pas envie de lire sur ça parce que… Sortir du quotidien pour lire un bouquin de fantasy où il se passe les mêmes saloperies qu'au quotidien, je comprends que c'est chiant en fait. T'as pas envie... T'as pas forcément envie de vivre ça. T'as envie des fois de t'extraire et c'est tout aussi acceptable. Ça n'empêche qu'il y ait aussi... Pour moi c'est une sorte de mix des deux en fait. C'est qu'à la fois on doit dépeindre notre société de manière honnête, et montrer que ben... que les agressions sexuelles, que la guerre, que la religion, que plus ou moins n'importe quel sujet… Ce sont des sujets importants qu'on peut traiter à travers la fantasy, sans pour autant s'en servir de levier… Pour moi c'est ça le vrai truc, c'est le levier. Utiliser ça comme un levier pour rendre le personnage intéressant… Pour moi c'est cheap en fait. Ça n'a aucun intérêt.

Lionel :

  • Je suis évidemment entièrement d'accord avec toi et je suis totalement du côté de ta réponse qui je trouve est la bonne réponse. Celle de Martins est trop facile.

Modérateur :

  • C'est dit !

Lionel :

  • BIM !

Modérateur :

  • Il aurait été défoncé ici ! Alors, on a déjà fait un beau panorama et je serais bien passé sur des questions dans la salle...

6) Respecter la mémoire des personnages historiques réels quand on écrit de la fiction

Spectateur·ice :

  • Bonjour. J'ai une question : Quelle liberté est-ce qu'on peut prendre avec des personnages historiques réels, vivants, ou morts, ou morts depuis peu ? Même si on les met dans des uchronies, même si... Même si c'est du fantastique, de la fantasy… Quelle liberté on peut prendre ? Et quelles limites on peut se mettre ? On doit se mettre ?

Adrien :

  • Alors pour moi, il y a effectivement une différence, sans doute un peu hypocrite. Mais il y a une différence entre des personnages qui sont morts il y a très longtemps et qu'on peut difficilement retracer et des gens qui sont morts il y a 10 ans. C'est triste, mais c'est comme ça. Je pense que parce que déjà on risque de faire mal à leurs proches, à leur famille etc… En le dépeignant pas comme il faudrait… Donc j'aurais tendance à peut-être un peu plus… J'ai jamais fait, en fait. Je suis jamais tombé sur un bouquin où je parle de personnes historiques récemment décédées. Mais je pense que si j'avais à la faire, je serais peut-être un peu plus strict sur mes recherches de personnages et sur mes recherches de caractères, sur mes recherches de "dépiction" du personnage, que ne je l'ai été par exemple dans Assassin's Creed. J'ai décrit l'inquisiteur, enfin c'est pas l'inquisiteur, le juge Pierre de Lancre qui a mené les procès en sorcellerie dans le Labourd. Je l'ai décrit comme un sale c** machiavélique et je fais bien ce que je veux en fait. Mais bon il se trouve que les textes historiques tendaient à pas mal dépeindre le sale c** machiavélique donc voilà… Mais je sais que si ce mec là était mort il y a 10 ans, je l'aurais peut-être pas dépeint comme ça. Parce que, peut-être que je n'aurais pas aimé que sa petite fille ou son fils viennent me voir en disant : "Vous avez dépeint mon père, mon grand-père comme ça et c'est quand même pas très cool." Et oui en fait. Oui c'est vrai. Faut pas oublier que les personnages historiques restent quand même, d'une manière d'une autre, des personnes et qu'on augmente la chance que ces personnes aient des liens avec d'autres personnes s'ils sont morts il y a pas longtemps. Moi je le vois comme ça.

Lionel :

  • Tu disais genre, tu t'excuses à moitié : "C'est un peu hypocrite". Je pense que ça ne l'est pas du tout. Je veux dire la distance avec les événements change, de toute façon, notre coloration des choses. Quand on parle d'Empire, un conte dans notre inconscient collectif... Tu parlais de Gladiator aussi, enfin on en parlait tout à l'heure. Dans l'inconscient collectif, personne ne se pose de questions sur ce qu'a commis l'Empire romain. L'Empire romain c'est la fondation de notre civilisation. Ça prouve bien, encore une fois, que l'histoire est écrite par les vainqueurs et comme, en gros, c'est le berceau de notre civilisation, c'est forcément le bien. Mais je veux dire, je pense qu'il y a pas mal de gens à l'époque qui auraient pu trouver des choses à redire. Sur la vraisemblance des événements etc, il y a un truc qui est fondamental dans l'imaginaire qui est que : l'univers qui est donné, qui est dépeint doit évidemment être crédible. Et ça veut dire aussi que tout ce qui relève de la réalité consensuelle, relève de notre monde, doit être étayé et construit, et c'est la base, pour que l'on puisse croire aux éléments fantastiques. Si je vous dis n'importe quoi, je vous raconte n'importe quoi sur la vie médiévale. Et que ça tient visiblement pas debout, que je fais des anachronismes ou des trucs comme ça qui sont pas explicables, pourquoi est-ce que vous me croiriez quand je vous raconte de la magie ? Donc la vraisemblance historique, à partir du moment où on s'appuie sur des éléments, doit être étayée autant qu'il est humainement possible de faire, je pense. Alors l'uchronie brouille un peu les cartes, mais il faut quand même que la vraisemblance soit présente. Que l'illusion de réalité soit là. C'est pour ça que, pour ma part résolument j'ai pas pris Jeanne d'Arc parce que je voulais… Mais après la fiction a un truc truc assez génial et assez bizarre qui est, je pense que toutes et tous ici vous avez certainement vu, lu, joué à des oeuvres de fiction qui sont donc complètement fictives et imaginées dont vous avez retiré des choses pour votre vie, ou des illuminations qui ont été hyper importantes et qui ont été des guides. Et la fiction à ce pouvoir assez génial qui est qu'en parlant de trucs complètement inventés, on peut toucher à quelque chose d'authentique et réel. Dans Les Dieux sauvages, moi justement, je ne voulais pas prendre Jeanne d'Arc et je ne voulais pas prendre la France, parce que je voulais traiter des mécanismes historiques qui allaient derrière avec la force que donne la métaphore, d'une manière beaucoup plus libre. En tout cas c'est, alors c'est pas moi de dire, si j'ai réussi mais en tout cas c'était mon projet : finalement quelque part avec plus d'authenticité, de sincérité que ce que j'aurais pu le faire si j'étais resté concentré sur les faits historiques. Je suis en train d'écrire le tome 5, forcément je suis obligé de passer par le procès en hérésie et le fait de jouer avec les événements réels tout en y étant pas permet, quelque part, de revenir finalement au mécanisme même de l'histoire. J'écris des bouquins aussi dans l'univers d'Évanégyre, c'était plus basé sur l'impérialisme. Un truc qui me fait extrêmement plaisir c'est quand les gens viennent me voir et me disent : "ah c'était une vachement bonne métaphore de l'empire américain", "ah c'était une vachement bonne métaphore d'Alexandre le Grand", "ah c'était une vachement bonne métaphore..." et personne n'est d'accord sur l'empire dont je parle, mais c'est très bien. Parce que ça veut dire que les empires, au bout du compte, c'est toujours un peu les mêmes mécanismes et ça veut dire que moi j'ai réussi à toucher à ces mécanismes-là. Et c'est ça qui m'intéresse, et c'est ça aussi que le fait de prendre de la distance avec l'histoire permet. C'est à dire qu'on peut laisser un peu tomber les préjugés culturels pour toucher aux mécanismes, et finalement c'est ça qui est plus intéressant, je trouve que s'interroger sur les faits précis.

7) La réalité historique dans la fiction

Spectateur·ice :

  • Bonjour. Ma question c'est que, il y a l'histoire que les universitaires connaissent qui est admise dans les universités et il y a l'histoire que le public perçoit, avec tout un certain nombre de clichés qu'on a tellement intégrés qu'on pense que c'est la réalité, alors que si on regarde les études historiques il y a un décalage… Comment vous faites pour gérer ça dans vos romans ?

Adrien :

  • Alors je sais que j'ai tendance à m'appuyer davantage sur… En fait ça dépend complètement du bouquin ! J'avoue que sur Notre Dame des loups, je me suis inspiré davantage sur le fantasme des cowboys et des Indiens. Et je l'ai démonté ensuite par le menu en intégrant des doses de réalité historique. Même si à la base c'est une bande de cow-boy wouhou qui vont traquer des loups-garous dans le Grand Nord avec des flingues. C'est fun ! Sauf que, par en dessous, j'essaie de faire passer des réalités historiques sur l'esclavage, sur le métier de cow-boy, sur la réalité du terrain. Pour Assassin's Creed, à l'inverse je me suis beaucoup renseigné avant même de commencer à écrire. Et je me suis appuyé exclusivement sur les travaux universitaires, en fait. Parce que sur les... Parce qu'il y a énormément, notamment sur les procès en sorcellerie, il y a beaucoup de mythologie autour de ça. Forcément on parle de sorcellerie… Donc de toute façon y'a des gens qui s'imaginent qu'il y avait potentiellement des vraies sorcières dans le lot. Il y a des gens qui s'imaginent que les inquisiteurs c'est que des connards et qui étaient que des fanatiques religieux. Alors que non en fait ! C'est aussi des gens qui sont aussi machiavéliques et intelligents poétiquement. Et qui savent que mater une région en cramant toutes les sorcières, ben c'est aussi asseoir la puissance royale, et asseoir le pouvoir local, pour asseoir le pouvoir royal sur le pouvoir local. C'est ce qui s'est passé dans le Labourd en fait. C'est que il y a une raison pour laquelle Henri IV a ordonné les procès en sorcellerie dans cette région-là. C'est que le sud-ouest français commençait à jouer un petit peu trop avec l'indépendance. Et commençait à faire des assemblées régionales entre les petits nobles qu'il y avait dans le coin pour décider du dessein de leur propre région. Et en plus de ça, c'est une région qui était extrêmement pêcheuse donc la plupart des mecs étaient toujours en mer et n'obéissait qu'à leur capitaine. C'est à dire que le roi, en fait, ils s'en battaient les steaks en fait. Et donc, du coup ce qui restait dans la région, c'était en immense majorité des femmes, qui étaient la cible parfaite pour balancer de la sorcellerie dans la gueule ! En disant : Il y a plein de femmes, forcément il y a de la sorcellerie dedans. Et donc, tout ça, c'est la réalité historique. C'est ça en fait et ça s'appuie sur un grand nombre de clichés qui sont pas vrais en fait. On part du principe qu'ils ont envoyé des fanatiques religieux qui citaient le "malum maleficarum" à bout de bras. En fait non ! C'est des mecs qui étaient là pour mater une possible évolution vers une rébellion contre l'autorité royale. La réalité historique c'est pas que ça, évidemment, mais c'est en partie ça. Et donc je me suis appuyé effectivement, quasiment exclusivement sur des travaux d'universitaires, de gens spécialisés là-dessus. Parce que je pense que l'important c'est de montrer autant que possible, même si forcément, ce que je disais au début, il y a forcément des biais, mais autant que possible de raconter ce qui était les réalités dans cette époque là. Même s'il y a des assassins et Templiers dans le tas !

Modérateur :

  • Je me permets une petite anecdote, puisque je travaille à l'université Rennes 2 et notamment à l'UFR de sciences sociales dans laquelle il y a un département d'histoire. Quand on a organisé les journées scolaires, on a eu l'occasion de discuter avec un enseignant d'histoire qui fait un travail magnifique sur l'histoire de l'incendie de Rennes de 1720. Et du coup lui, la fantasy, le merveilleux, l'imaginaire c'est pas son univers. Il en est a assez éloigné, mais il était très intéressé par la démarche et il m'a dit la chose suivante, il m'a dit : "Après tout moi, je découvre des sources, je découvre des traces, je découvre des archives. Et ça fait un maillage très large et j'y mets forcément de l'interprétation. J'y mets forcément de l'interprétation". Alors cette interprétation, elle est maîtrisée par des codes scientifiques, une méthode : le doute scientifique etc. Mais il y met forcément de l'interprétation, donc voilà je voulais apporter ce petit écho à ce que vous disiez avant de repasser la parole.

Lionel :

  • Tout à fait l'Histoire est une histoire. Et à un moment, il faut bien, effectivement, tracer une narration et un récit. Et c'est super intéressant effectivement. Pour ta question : C'est très clairement un défi. C'est très clairement un défi d'écriture auquel il faut prendre garde, parce qu'alors si on se replace dans la perspective (par exemple) du Moyen ge, les relations sont pas les mêmes, la conception du monde n'est pas la même, le prix de la vie n'est pas la même. En faisant les recherches sur Jeanne d'Arc pour voir où est-ce que moi j'allais insérer mes accents, où est-ce que j'allais trouver mes résidences mythiques etc. Il y a un épisode qui est un peu moins connu dans le siège d'Orléans qui est la Journée des harengs avant l'arrivée de Jeanne si ma mémoire est bonne. Où, en fait, Orléans on le dépeint comme un siège. C'est un siège évidemment, mais Orléans c'est quand même sur un grand fleuve. Enfin les mecs ils pouvaient un peu sortir quand même. Évidemment il y avait des lignes à franchir et tout, mais c'était quand même pas complètement impossible. Et surtout, c'était au début du siège. Où les lignes étaient, quand même, un peu poreuses. Et donc la ville d'Orléans se dit une bonne idée qui est : Les lignes anglaises elles vont forcément être approvisionnées par quelque part, on va passer par derrière et on va essayer de couper les lignes d'approvisionnement. Pour que en gros les assiégeants se retrouvent assiégés. Plutôt une bonne idée. Et ils partent, tombent sur la colonne de ravitaillement et se disent "Ah ! On les a chopés par surprise". Et là les Français, et ils étaient, je crois avec des Écossais qui étaient venus aider évidemment, parce que les Écossais et Français ont toujours été tout à fait d'accord pour aller taper sur les Anglais, si ma mémoire est bonne. Et donc commencent discuter pour se dire, parce que c'est super important : "Qui va commander ?" Ils arrivent pas à s'entendre, ils arrivent pas s'entendre... Ça prend longtemps. Mais c'est super important pour les gens de l'époque. Qui va commander ? Qui va avoir le prestige du truc ? Et le problème c'est qu'il y a des nobles ou des commandants un peu tous de même rang. Le temps que les mecs s'entendent, les Anglais évidemment ont vu qu'il y avait avoir une embuscade. Ils se sont proprement organisés pour leur ligne de défense. À partir du moment où les Français et leurs alliés ont été prêts à y aller, ils y sont aller. Et évidemment il y avait plus du tout l'effet de surprise ! Évidemment, ils se sont fait tailler en pièces. La mission a été un "epic fail" militaire. Et ça s'appelle la journée des harengs, parce que la colonne de ravitaillement est bien arrivée sous les murs d'Orléans. Et que les types, ils ont ouvert leurs tonneau de hareng séchées et ils ont montré leurs harengs sous les murs d'Orléans en faisant : "Nananère nous on a à bouffer". Donc ce genre de truc, tu le racontes aujourd'hui… Je le raconte comme je le fais, on rigole bien en faisant "Ah ! Quelle bande de nazes" ! Mais, malgré tout pour l'époque, c'était une vraie question. Et pour prendre, par exemple un grand truc de la fantasy épique, qui est les opérations militaires. Il y a un véritable travail d'accessibilité et presque de pédagogie. Et des fois, quasiment il est impossible ! Parce que la distance entre notre sensibilité et la sensibilité médiévale des événements est tellement lointaine que c'est très difficile de faire comprendre. Par exemple sur un champ de bataille, à l'époque mettons du Moyen- ge, il y a des tas de choses qui sont tellement sorties de notre inconscient collectif, qu'on a du mal à saisir. Par exemple, l'information n'est pas immédiate. Il y a pas de radio, ni même évidemment le téléphone, on n'en parle pas. Il y a pas de radio, donc l'information c'est des types... Vous regardez probablement Kaamelott ? Bon, bah mine de rien dans Kaamelott, comme beaucoup de choses sous le couvert de la blague, le coup des petits drapeaux sur le champ de bataille, bah c'est vrai ! Il faut bien réussir à faire comprendre aux mecs. Et quand les mecs ils nous regardent pas, ils sont en train de se faire tailler en pièces, ça veut dire qu'il faut envoyer des messagers. Mais les messagers ça mets du temps. Ils se font tuer. Ils arrivent en retard… Je crois que Napoléon a perdu Waterloo à cause de ça. À cause du problème d'une estafette qui est arrivée trop tard. Il y a ça. Il y a le fait qu'on n'a pas de vision d'ensemble du champ de bataille, qu'il y a des gens qui sont beaucoup plus apte à être sacrifiables et qu'on va envoyer. Ça aussi, dans la pensée militaire moderne c'est parti. En tout cas dans la nôtre, en Russie c'est autre chose... mais bon. Donc il y a un véritable travail d'accessibilité à faire, et il n'y a pas de réponse universelle, parce que ça va dépendre de la situation qu'on dépeint, mais il y a toujours en tâche de fond la conscience de se dire : "Quels sont les codes et les attentes modernes, par rapport à la réalité fictionnelle que je dépeins ? Et comme je fais de la fantasy, à un certain moment... Où est-ce que je vais peut-être accepter de faire des entorses à la réalité historique, en connaissance de cause, parce que c'est pas pertinent dans la narration et c'est pas là que je veux aller ?" Et, oui dans les faits ça se sera peut-être passé un peu différemment et tout, mais je suis aussi là pour raconter une histoire. Et, quelque part, c'est ça qui compte.

Modérateur :

  • Donc il faut accepter qu'il y ait un peu de brouillard, un peu de brume peut-être dans sa narration, pour éviter les effets d'incohérence. Mettre du liant et faire avancer l'histoire, sans s'appesantir sur des détails inutiles ?

Lionel :

  • Et si c'est important, aussi ça serait vraiment trop grotesque de faire l'effort dans la narration de l'expliciter sans l'expliquer, puisque expliquer effectivement ça devient le prologue de Tolkien, et on est tous morts à cause de l'abus d'exposition ! Mais, donc c'est un vrai boulot. Et ça va s'insérer dans la conscience que j'ai, parce que je fais partie de l'esprit du temps, comme tout le monde, de la conscience que j'ai de ces attentes là, de la réalité fictionnelle… Et essayer d'arriver à faire la jonction entre les deux, d'une manière élégante qui ne se voit pas. Ce qui n'est pas toujours facile, mais c'est là que la technique littéraire intervient.

Modérateur :

  • Tu veux ajouter quelque chose là-dessus Adrien ? Où on prend une autre question ?

Adrien :

  • Non, globalement, je suis d'accord avec ça. Enfin, c'est oui. Clairement, le brouillard c'est effectivement une technique qu'on peut utiliser, pour pas rentrer trop loin dans les détails. Très clairement, il y a des éléments qui sont super intéressants, mais si on les dit de manière trop explicite, bah déjà ça casse l'ambiance, parce que ce qu'on disait c'est qu'on utilise souvent des romans choraux, donc du coup c'est les personnages de l'époque, qui pensent avec leur manière de faire et de voir les choses de l'époque, globalement. Souvent un roman choral c'est caméra sur l'épaule, donc on est plus ou moins dans les pensées du personnage. Il peut pas avoir de vision macroscopique, de l'intégralité de la bataille ou du contexte religieux ou politique. En fait, généralement, il est dans son monde en fait et il a quelques compétences, quelques connaissances mais il sait pas tout. Il peut pas tout avoir, et c'est normal. Et donc du coup c'est aussi une manière d'exploiter le brouillard, c'est de dire : "bah ça on sait pas". Tant mieux, ça m'arrange qu'on sache pas, mais on sait pas. Et ça empêche pas de l'utiliser.

Modérateur :

  • D'autres questions ? Madame là-bas ?

8) L’uchronie et la narration

Spectateur·ice :

  • Alors j'aurai une question sur les limites de l'uchronie, parce que, par exemple quand on veut parler d'une guerre qui a existé et qui a fait des centaines de milliers de morts… si on évite cette guerre de justesse, est-ce que ça peut pas paraître irrespectueux pour les gens qui ont vécu ? Avec un côté... En fait on aurait pu l'éviter. Et est-ce que ça pose pas problème après ?

Adrien :

  • Alors, pour le coup j'ai pas de réponse parfaite pour ça. Déjà parce que j'ai jamais écrit d'uchronie. Mais j'ai tendance à penser, que le respect des victimes de la guerre n'empêche pas d'imaginer ce qui aurait pu se passer si la guerre n'avait pas eu en fait. C'est effectivement, comme on disait tout à l'heure, beaucoup plus facile quand la guerre c'était il y a vachement longtemps et que du coup les mecs ils sont morts, on les connaît pas. Mais, effectivement, j'ai vu passer pas mal d'uchronies où les nazis ont même pas fait la guerre, ou au contraire ont gagné la guerre. Et dans les deux cas ça me semble intéressant en fait, parce que ça permet de démontrer les mécaniques qui vont jusqu'à causer une guerre. Et à quel point ces mécaniques sont ou non évitables, et à quel point les défaites et les victoires reposent finalement sur pas tant de choses que ça en fait. Et du coup j'aime bien l'idée d'interroger l'histoire sur ce qui aurait pu se passer si… Et je pense à mon sens, je pense pas forcément que c'est irrespectueux des victimes, d'imaginer que ça se serait pas passé. Au contraire, je pense que je pense que les victimes auraient préféré que ça se passe pas non plus en fait donc pour le coup...

Modérateur :

  • Du coup, Lionel dans ton monde d'Évanégyre et notamment dans Les Dieux sauvages, quelque part il y a une forme d'uchronie, puisque tu vas utiliser des éléments historiques. Peut-être que tu seras pas d'accord avec ce que je dis… Tu vas les retransposer, et du coup tu peux les retravailler et dire : "non là cette réflexion là, ou cette manière de faire, ou ce qui s'est passé m'intéresse pas. Je vais plutôt réfléchir à la manière dont auraient pu se dérouler les choses différemment à partir de tel point." L'uchronie c'est ça, à un moment donné on bifurque par rapport à l'histoire telle que telle qu'elle a existé et on essaye d'en tirer toutes les conséquences...

Lionel :

  • Alors pour moi, j'écris pas d'uchronie. Les Dieux sauvages c'est pas de l'uchronie parce que c'est dans un monde secondaire et dans un contexte complètement différent. On voit au fur et à mesure Les Dieux sauvages nait aussi de la chute d'un grand empire technologique avant, et le rôle des Anglais est pris par une invasion démoniaque moitié cybernétique. J'ai des origines anglaises, donc j'ai le droit de pouvoir dire que les anglais sont des... Puis ils ont quitté l'Europe alors bon ! C'est... Pour moi justement, Les Dieux sauvages c'est pas un travail uchronique, parce qu'il n'y a pas de divergence. Pour moi c'est plus un travail de remix dans l'esprit. C'est à dire que je prends certains motifs, certaines mélodies de l'histoire et je recompose une partition complètement différente autour. Ce qui fait que ça a la saveur et le goût, et certains repères mythiques vraiment, au même titre que Gladiator "mythifie" bien ou mal l'Empire romain. Je "mythifie" plus ce truc là. Pour moi, il n'y a pas de divergence, parce que c'est un… L'idée, c'est plus de jouer avec les causes et les mécaniques historiques sous-jacentes, et de voir en quoi les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ou pas ! Selon si l'on change quelques variations, si on a juste un certain nombre de variables à la base. Et, justement pour réinterroger ce truc là. C'est pour ça que je vois plus l'aspect remix. Sur la question, pour moi il y a un truc qui me tient très à cœur c'est que : un fait narratif pur n'existe pas. C'est à dire que il est impossible, à mon humble avis et je le partage, de juger un fait narratif ou un motif narratif indépendamment de son exécution. On ne peut pas dire, à mon avis c'est pas possible, de dire : "si j'évite telle guerre c'est irrespectueux pour les victimes." Ça n'existe pas en narration. Puisqu'un fait narratif ou un motif narratif est complètement indissociable de la manière dont il est traité. Et c'est là que la validation autoriale est super importante. Si ! Ça peut être traité de cette manière là, effectivement. En disant : "Regardez tous ces gens là, pauvres gars quand même !" Mais, on peut également le traiter d'une autre manière qui est : "Regardez, ça aurait pu être évité à telle ou telle chose. Quelle tragédie !" Donc... et c'est... c'est... Je m'enflamme un peu, parce que je suis un homme enflammé. Mais c'est un truc aussi, qu'on voit aussi beaucoup passer dans certaines analyses et sur les réseaux comme quoi, le fait narratif serait indissociable de son exécution. Ça n'existe pas puisqu'on est...Et ça va aussi avec l'histoire la dynamique historique de manière générale. Un fait historique n'existe pas en isolation. Un fait historique est toujours lié, comme tu le disais, à un récit. Et, on aurait espéré moins maintenant, mais en tout cas c'était pas vraiment le cas au 18e et 19e, à une intention derrière. Pareil, il y a le roman national et ce genre de choses, en disant : "on a besoin d'une figure à un moment. Tiens on va prendre Jeanne d'Arc, on va fédérer les gens derrière." Et on en subit encore les... On subit encore certaines...

Voix de Jean-Marie Le Pen :

  • "Jeanne" [rires]

Lionel :

  • Voilà ! Donc, pour moi, c'est super important ce truc là. Un motif narratif est indissociable de l'exécution de l'œuvre, de la validation autoriale qui va derrière. Et l'exécution, elle peut être ratée. C'est possible ! À ce moment-là on dit : "bah écoute, tu as voulu dire un truc et c'est ballot c'est l'inverse qui est sorti !" Bon, bah c'est tragique, aussi ça arrive !

9) Parenthèse sur le festival scolaire 2023

Modérateur :

  • Je fais une incise avant ma dernière question. L'incise est la suivante : puisque j'organise les journées scolaires du festival, c'est que justement nous avons décidé pour la deuxième édition (car il va y avoir une deuxième édition et une troisième édition c'est déjà prévu) du festival de travailler sur l'uchronie et notamment... Je vous annonce le thème. Il a été annoncé hier en petit groupe officieux. Je le dis, au cas où il y aurait des enseignants... Au cas où, il y aurait des enseignants, au cas où il y aurait des gens qui seraient proches des milieux éducatifs et qui voudraient dire "ah bah tiens j'ai entendu parler de ceci, ou ça m'intéresse". Je profite de la situation, je fais de la pub : 1720, l'incendie de Rennes n'a pas eu lieu. Qu'est devenue cette ville ? Qu'est devenue cette population ? Qu'est devenue cette région ? Comment on peut imaginer ? Et voilà et ce sera le sujet du concours d'écriture pour les collégiens et lycéens. C'est encore à travailler, mais c'est la grande orientation sur laquelle on va bosser.Voilà ça c'est mon incise. J'en profite, j'ai fait ma pub.

10) Votre actualité

Modérateur :

  • Et maintenant je vous pose la question : vous écrivez, c'est votre travail, vous l'avez dit. Et vous écrivez quoi là ? Vous êtes sur quel projet ? Vous avez sorti quoi ? Qu'est-ce que vous pouvez nous dire ? C'est quoi vos idées ? Bon, vous êtes totalement libre d'effleurer vos sujets de travail, je ne vous force à rien. Bien que nous soyons ici, je le précise cette salle là, elle a été construite par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale, puisqu'ils occupaient la Cité Universitaire c'était leur messe (carré des officiers) mais c'était peut-être pas que le messe. C'était peut-être une salle d'autres choses.. On pourrait... Vous travaillez là-dessus ?

Adrien :

  • Alors moi je travaille pas sur les nazis, de base. Mais, non je travaille... Alors, je viens de terminer, enfin il y a quelque temps, le deuxième tome de vaisseaux d'arcane. Qui est une duologie que... On dit un dyptique? Je sais pas j'ai jamais compris… De fantasy steampunk. Techniquement ça s'appelle de l'Arcane punk. Donc le deuxième tome va sortir dans un mois. Là je suis en train de travailler sur, le deuxième tome aussi, des Dossiers du Voile, qui est un bouquin plutôt jeunesse.Fantastique aussi, mais qui se passe de nos jours avec une flic qui tape sur des loups-garous, des vampires des fées et des trolls. Et en parallèle, je travaille sur une nouvelle série de romans beaucoup plus jeunesse. Qui devrait sortir en... Les deux premiers tomes devraient sortir en septembre. D'un gamin qui passe dans un autre monde et qui doit maîtriser toutes les sortes de magie pour réussir à rentrer chez lui, globalement en étant très très large. Et désolé on me parle de mes projets, j'en ai plein donc voilà.

Modérateur :

  • C'est très bien, c'est très bien, on est contents nous !

Adrien :

  • Et à côté de ça je vais peut-être, très probablement, faire mes premiers pas en BD, dans les mois qui viennent. Donc j'ai un scénario de BD jeunesse qui vient d'être validé, donc du coup je vais faire les premiers essais, là. Donc j'espère que ça va bien se passer voilà !

Modérateur :

  • Lionel ?

Lionel :

  • Moi je suis très en retard. J'aurais dû sortir le cinquième et dernier tome des Dieux sauvages là...

Modérateur :

  • T'es comme Georges Martins hein ? [rires] Là dessus ! Là dessus ! En moins barbu ? [rires]

Lionel :

  • Et en plus chauve ! Hum... Sauf que, à la fin de l'année dernière j'étais arrivé au volume à peu près d'un roman des Dieux sauvages. Sauf que j'étais arrivé à la moitié de l'histoire... Donc mathématiquement il me fallait un an de plus ! Donc, voilà je suis en train d'essayer de survivre à la conclusion des Dieux sauvages, qui est probablement… Enfin, chaque fois je dis ça, mais qui est le bouquin le plus ambitieux de la saga à ce jour. Ils le sont de plus en plus. Comme quoi il faut vraiment que ça s'arrête ! Où en gros même si je suis à très grands traits les grands motifs de l'épopée de Jeanne d'Arc… Forcément, je suis forcé, je ne peux pas ne pas traiter le procès en hérésie mais j'ai quelques atouts et quelques surprises dans ma manche pour le faire ! Et donc, en gros le dernier tome des Dieux sauvages qui s'appelle la succession des âges, qui sortira l'année prochaine, traite à la fois du moment où tout s'écroule dans l'épopée d'un ou d'une élue qui a été instrumentalisée / qui a essayé de faire ce qu'elle pouvait pour pour sauver son monde. Et aussi les répercussions… Et je joue aussi avec les mythes des répercussions, le mythe des survivants qui vont après ce genre de choses. Et évidemment, parce que évidemment c'est loin de parler que de l'épopée de Jeanne, il y a plein de trucs qui viennent se greffer autour qui sont pure fantasy et qui viennent se greffer là-dessus. On verra... Je crois qu'il y a quelques lecteurs dans la salle… On verra, on aura vraiment le fin mot de l'histoire et la raison de la guerre entre les dieux sauvages qui donnent leur nom à la série. D'où ils viennent. Qu'est-ce qu'ils sont. Qu'est-ce que c'est que la cité des justes. Et, pourquoi tout ça a été construit de cette manière là. Avec un certain nombre de révélations finales de qui sont derrière les mensonges, qu'on SAIT qui ont lieu depuis le début de la saga.

Modérateur :

  • Bon, tu as teasé, c'est bien, bravo !
    Adrien merci, Lionel merci d'avoir supporté mes questions.

Lionel :

  • Merci Axel

Modérateur :

  • Merci à la salle ! Bon festival ! Bon festival...

[Applaudissements]

FIN

Crédits

Production des captations
Guillaume Genest
guillaume.genest@usertales.fr
www.usertales.fr

Générique par Elie Cardinal